Un excellent péplum, tout pétri d’humanisme et de cruauté, mêlant avec bonheur une dimension spectaculaire (dans la mise en scène des combats, dans la captation des mouvements de foules ou des grands espaces) et une dimension plus intimiste. Le scénario est signé Dalton Trumbo qui réapparaît officiellement au générique d’un film après avoir été longtemps blacklisté en raison de ses sympathies communistes, et après avoir longtemps œuvré sous pseudos. Ce scénario (adapté d’un roman de Howard Fast) est à la fois épique, lyrique et caustique, toujours intense et captivant malgré sa longueur. On se régale des dialogues piquants dans la bouche des sénateurs romains, des subtilités sur les manœuvres politiques, du sous-texte homosexuel d’une scène entre Laurence Olivier et Tony Curtis (censurée à la sortie du film), d’une apologie des arts, de la culture et du savoir au cours d’une séquence bucolique, ou encore d’une réplique culte sur la liberté, la vie et la mort. Pour servir le texte, les acteurs principaux sont excellents : Kirk Douglas, la puissance aux yeux clairs ; Charles Laughton et Peter Ustinov délicieux dans un registre fourbe et calculateur ; Laurence Olivier, parfait d’arrogance détestable. Visuellement, le résultat est superbe : précision de la réalisation, soin apporté à la lumière et aux couleurs, luxe de détails dans les décors et les costumes, avec à la clé quelques séquences mémorables (le déploiement géométrique des légions sur le champ de bataille, la route des crucifiés…).
Stanley Kubrick n’a pourtant jamais caché sa déception et son insatisfaction au vu du résultat. Un résultat qu’il a peu contrôlé. Le réalisateur est arrivé sur le tournage en remplacement d’Anthony Mann, congédié après un différend avec Kirk Douglas, acteur-star et producteur exécutif omnipotent. Douglas et Kubrick avaient travaillé ensemble quelques années plus tôt sur Les Sentiers de la gloire. Ayant quitté l’Angleterre pour les États-Unis après ce film, Kubrick peinait à faire aboutir ses projets, notamment La Vengeance aux deux visages, que Marlon Brando finira par réaliser. Il a ainsi accepté ce qu’il n’avait pas accepté auparavant et n’acceptera jamais par la suite, à savoir diriger un film sans avoir la main sur le scénario et le casting, puis une demi-main sur la mise en scène et le montage, chaque star du film (Douglas en tête) y mettant plus que son grain de sel. Connaissant l’obsession de maîtrise du cinéaste, on comprend qu’il ait mal vécu l’expérience. Par ailleurs, en considérant la tonalité globalement pessimiste de sa filmographie, on se doute que l’humanisme du scénario devait moyennement le convaincre… Voilà qui fait donc de ce Spartacus le moins “kubrickien” des films de Kubrick, tout en étant un grand péplum.