"Le rideau déchiré" est l'un des derniers Hitchcock, réalisés à une période où le Maitre était déjà malade, et perdant la confiance des studios. Dans ce contexte difficile, Sir Alfred réussit pourtant un thriller très réussi et portant indéniablement sa majestueuse signature. Le scénario est dans la lignée de "La mort aux trousses", avec un homme ordinaire pris dans une affaire d'espionnage internationale. Un complot autours de formules scientifiques et d'armes nucléaires, entre l'Europe du Nord et le rideau de fer, en plein dans le contexte de la guerre froide. Pourtant, on sent bien que ce scénario n'intéresse pas tellement Hitch, qui s'en sert comme d'un McGuffin pour continuer à expérimenter toutes les possibilités visuelles de scènes à suspens. La première partie, un peu laborieuse, joue sur l'ambiguité du personnage de Newman, à travers le point de vue de Andrews. Ensuite, on bascule de l'autre côté, et le couple va se retrouver et se sauver ensemble. Le film monte en puissance au fil du temps, et propose un bon nombre de séquences visuellement passionnantes. La plus connue est sans doute le meurtre "interminable" du personnage de Gromek. On y voit souvent une illustration de la difficulté à tuer un homme, en contraste avec les meurtres ordinairement montrés à l'écran. Je suis d'accord, mais je voudrais aussi insister sur la qualité de la mise en scène de ce meurtre, surtout le dernier plan, magnifique dans son utilisation du hors-champ. Une leçon de cinéma, du point de vue de la représentation de la violence. On peut aussi parler de la scène du musée, remarquable par son travail sonore : aucun dialogue, seulement des bruits de pas, qui font penser aux battements du coeur des personnages. Il y a aussi la scène du bus, qui joue intelligemment avec les nerfs du spectateur, avec beaucoup de fausses pistes. On pourrait évoquer encore la scène du théâtre, qui utilise une mise en abyme pour renforcer le suspens tout en accentuant le spectacle, avec une maestra presque égale à celle de la séquence à l'Albert Hall dans "L'homme qui en savait trop". Bref, au niveau visuel, c'est un grand Hitchcock, pas de doutes. Au niveau du fond, on est un peu moins certains, mais cela n'empêche pas le film d'être une réussite indéniable, et un Hitch un peu méconnu à ne pas manquer pour les amateurs du cinéaste.