En manque d’inspiration, Sarah Morton trouve refuge dans la maison estivale de son éditeur : elle s’approprie les lieux, découvre une piscine sous bâche qui laisse pourtant, une fois la couverture soulevée, entrevoir quelques feuilles mortes. Un cadavre qui va peu à peu s’incarner à mesure que la fille deviendra personnage : d’abord un corps, magnifique, érotique, sensuel, rivalisant avec sa romancière qui apprendra, à terme, de son protagoniste au point d’en épouser les comportements et les formes, jeu de miroir rendu par un subtil travail de mise en scène où les plans semblent se refléter dans l’eau. L’auteure donne vie à Julie et s’en nourrit – le foie gras vient remplacer le fromage blanc –, elle s’alourdit, dévore un dessert composé de choux à la crème, porte en elle le poids d’une autre qui ne demande qu’à s’incarner par les mots. Julie constitue une projection à la fois idéale et détestable de son auteure-modèle. Une fois le corps croqué vient la « chaire » (appuyée au stylo) : la culotte est ramassée puis conservée, le journal intime est dérobé. Julie est jolie, évoque juillet. Sarah était morte. L’onomastique parle, tout comme les regards et, plus largement, le corps féminin. Ce dernier respire le désir ; c’est lui qui s’inscrit au cœur de l’histoire en train de s’écrire, cet amour assassiné. Le désir est un manque, et le combler exige la mort. Pour se faire, Ozon filme la révolution d’une écriture qui ne passe plus par un support papier mais se dématérialise : Julie écrit ses pensées dans un journal privé que Sarah exploite à travers les lignes froides et marchandes du traitement de texte. Nous glissons du stylo maintenu par la jeune femme dénudée aux touches frappées par des doigts ridés. Il y a d’ailleurs un plan magnifique, tout en mouvement, qui part du visage de Sarah en train d’écrire pour gagner la porte, puis revient à Sarah. La fenêtre est ouverte, un nouveau dossier a été créé sur le bureau informatique : une porte ouverte sur l’inconnu, le mystère, la création. Et ce qu’il y a de plus fort, c’est que les degrés de lecture ne s’effacent guère à mesure que le symbolique prend le pas : tout se superpose, s’emboîte. Les corps se cherchent dans une danse à laquelle le spectateur aimerait participer encore et encore, lui qui frémit, s’impatiente, cherche la clef. Jamais cinéaste n’avait capté avec autant de justesse le processus de création d’un roman policier et exposé en concomitance sa réception par le lecteur-spectateur. Du grand art.