Mon histoire avec "Chihiro" remonte à une dizaine d'années de cela, j'avais observé toute la séquence d'ouverture mais mon visionnage avait été interrompu ; c'est donc bien plus tard que j'ai découvert celui qui s'est annoncé comme mon premier film du grand Miyazaki. La telle notoriété de ce dessin animé m'a aujourd'hui donné la chance de le revoir sur grand écran, dans le cadre d'une sortie scolaire. En plus d'être ma première occasion de regarder une perle "Japanimée", ce fut une raison de plus pour contempler les différents recoins de ce grand film pour une nouvelle fois. Déménagement, nouvel environnement, nouvelle école, mais avant tout découverte d'un nouveau monde, Chihiro, fillette âgée de dix ans, ne s'attendait pas à vivre autant d'aventures. Capricieuse, maladroite et fermée à l'idée du changement, elle s'apprête à commencer une nouvelle vie auprès de ses parents, mais la petite famille va être confrontée pour le moins inattendue. En effet, affamés, les parents de la jeune fille pénètrent dans le restaurant d'un parc abandonné et se métamorphosent en porcs, ce qui empêche cette dernière de quitter cette terre sinistre.Elle découvrira très vite qu'il s'agit du Royaume des esprits, cité habitée par des fantômes faisant irruption la nuit ombée. Livrée à elle-même, ce voyage sera aussi bien initiatique que mouvementé, et elle n'en sortira pas indemne. Considérée comme le conte le plus reconnu du réalisateur avec "Princesse Mononoké"(-san <3), "Le Voyage de Chihiro" est une véritable "Odyssée" d'Homère mise au goût du jour et sous le regard de l'enfant qui sommeille en nous ! En effet, Hayao Sensei nous présente un univers qui serait un cimetière s'il n'était pas fictif ! Ici l'odyssée s'effectue non pas sur mer mais dans une ville fantôme, un lieu glauque où la confiance à autrui semble impossible et où chaque personne croisée peut-être une véritable menace pour l'Homme. Ici en revanche, les différents personnages rencontrés ressemblent sont non pas des cyclopes et des sirènes maléfiques mais des créatures monstrueuses pour la plupart inspirées du folklore japonais. Puis, à noter que la sorcière Yubaba est un véritable substitut de Circé la magicienne dans l'oeuvre d'Homère, puisque tel Chihiro avec ses parents, Ulysse assiste à la métamorphose de ses compagnons en cochons ! Un mélange de différentes cultures élaborées au fil du temps contrastent avec l'univers atypique miyazakien, sombre mais souvent drôle, qui fait des folies depuis quarante ans. A travers l'apparition des personnages mythiques et définitivement rentrés dans l'histoire du studio Ghibli tels que Sans-Visage et les noiraudes (les boules de suie vivantes issues de l'univers de "Totoro"), le film illustre les maux causés en société par les mauvaises passions humaines.
On peut par exemple parler de la gourmandise qui vaudra aux parents de Chihiro d'être retenus prisonniers par Yubaba ; ou encore, l'ambition des esprits, assoiffés par la possession de pépites d'or offertes par Sans-Visage, qui s'avérera être un appât pour les attirer et les dévorer. Le travail imposé dans l'ensemble de la cité et surtout dans le Palais des bains est aussi un cas de "déshumanisation", puisqu'au fond, chaque travailleur est profondément seul, Chihiro la première.
Paradoxalement, du côté de Chihiro, on aperçoit en ce personnage la nécessité d'accepter l'idée du progrès et du changement, et de s'ouvrir à la société et aux autres.
En effet, dans ce monde fantastique auquel elle se retrouve exposée, elle est contrainte de changer de nom suite au pacte signé avec Yubaba ; être privé de son nom dans une société auquel il faut apprendre à s'adapter, c'est en quelque sorte être privé de sa manière d'être, voire de sa liberté. Tel est l'enjeu de la quête de la petite fille: se souvenir de son nom revient à ne pas se perdre dans une société de plus en plus aliénante. Entre autres, son contact avec l'esprit Haku, qu'elle libérera en lui réapprenant son vrai nom, lui sera un biais pour découvrir les valeurs du contact avec autrui, et ainsi son enrichissement personnel.
Finalement, à la sortie de ce rêve éveillé, Chihiro peut ainsi être perçue comme une esclave affranchie, esclave d'une vie qu'elle n'a pas souhaitée dont elle se libérera en s'adaptant à la vie collective, et en restant fidèle à elle-même. Le temps fait des ravages mais il faut savoir rester à sa place et connaître ses limites. Telle est la leçon à tirer de ce film, savoir vivre de son temps sans renier le passé. En fait, la vision de l'histoire du point de vue de Chihiro serait un message à portée individuelle (à savoir, "comment rester soi-même en présence des autres?"), alors que le point de vue des esprits serait un message à portée collective ("reste-je humain dans une société si vaste?"). Sinon ! A la baguette, nous retrouvons de nouveau l'intemporelle bande originale de Joe Hisaishi, dont la douceur s'associe à l'image par un dessin époustouflant, et dont la vision sur grand écran est un privilège pour déguster la moelle du film. "Chihiro" fait ainsi partie du cercle très fermé des films qui laissent une trace au fur et à mesure des visionnages, et qui trottine dans mon esprit longtemps après l'avoir vu. Aventure à double-cryptage à travers l'éternel inconnu, fiction digne des mythes japonais les plus délirants, récit initiatique sans manichéisme aucun, il y a tant de choses à dire sur ce grand dessin animé. Essentiel, particulier et indispensable, l'une des 3 plus grandes oeuvres du monsieur.