Faire voyager ne veut pas forcément dire emmener quelqu’un dans une région/un pays qu’il ne connait pas. Concrètement, cette expression possède bien des définitions, comme amener une personne vers de nouveaux horizons. Lui faire découvrir bien des choses, de manière concrète ou bien spirituelle. De l’émerveiller comme il se doit. Cela, le célèbre réalisateur japonais Hayao Miyazaki l’a bien compris avec sa filmographie, riche en œuvres poétiques, magiques et surtout enivrantes, quelque soit le degré de maturité de chacune. Et avec Le Voyage de Chihiro, le papa de Totoro, Monoké et de Nausicaä est arrivé au paroxysme de son art, livrant ainsi au public l’un des meilleurs films d’animation de sa carrière mais également de tous les temps (Oscar du Meilleur d’animation amplement mérité), rien que cela !
Si vous ne connaissez pas encore Miyazaki – sur ce, je vous conseillerai fortement d’arrêter toute activité et de vous plonger illico dans l’un de ses multiples chefs-d’œuvre –, Le Voyage de Chihiro est l’occasion rêver d’entrer dans son univers, d’aborder ses talents d’écriture innés qui permettent de transformer un banal conte en une véritable odyssée. Par là, il faut comprendre bien des choses. Premièrement, le fait de suivre les péripéties d’une petite fille dans un monde fabuleux rempli de créatures fantastiques, de sorcières charismatiques, de dragons majestueux, de sortilèges envoûtants… de tout ce qui peut emporter une personne et titiller son imagination. D’autant plus que Miyazaki ne se donne nullement la peine de livrer des explications sur telle ou telle situation, ce qui aurait nuit à toute implication du spectateur dans cet univers si atypique, nuit à toute crédibilité de ce dernier. Pas besoin donc de détails dans l’histoire pour nous émerveiller. Juste ce qu’il faut de mystère, de personnages attachants et fantastiques, de détails impressionnants dans l’animation (d’excellente qualité soit dit en passant) et de magie pour nous faire voyager.
Mais Miyazaki ne s’arrête pas qu’à la découverte d’un monde. Son voyage se présente également sous la forme d’une ode initiatique pour notre jeune héroïne.
Une petite fille peureuse de ce qu’elle ne connait pas (aussi bien de cet univers que du déménagement qu’elle vit avec ses parents) et qui va devoir prendre des initiatives pour sauver les êtres qu’elle aime, se retrouver afin d’accomplir de grandes choses pour se faire une place dans ce monde qui semble ne pas aimer les humains.
Vous l’aurez compris, Le Voyage de Chihiro fait preuve d’une très grande complexité, d’une très grande maturité. Qui fait fi de toute barrière pour livrer une intrigue qui se soucie peu des clichés et des frontières. Comme celles entre le Bien et le Mal, qui ici se trouvent inexistantes avec ces personnages qui font ce qu’ils ont à faire sans être ni bons ni mauvais. Ou encore cette ambiguïté entre réalité et imaginaire :
ce que vit l’héroïne, est-ce réel ou bien le pur produit de son imagination suite à ce déménagement impromptu ?
Là encore, rien ne sera révélé (malgré quelques indices) de peur de faire perdre toute magie à ce voyage.
Et enfin, Le Voyage de Chihiro se présente également comme un périple dans le Japon vu par Hayao Miyazaki. Un Japon que le réalisateur ne semble plus du tout reconnaître. Un pays qui semble oublier ses racines et ses traditions (
le fait que des personnages ne sachent plus rien de leur nom et de leurs origines
) pour se plonger dans un modernalisme qui peut s’avérer néfaste. A tel point que ce dernier plonge le Japon (et la société en générale) dans un capitalisme assez péjoratif (
le travail à l’établissement thermal rappelant celui à l’usine
) dans lequel travaillent sans broncher des employés semblables à des esclaves (
le pouvoir du « non » transparaît à chaque situation du film d’animation
). Arrivé à ce niveau de la critique, et en visionnant Le Voyage de Chihiro, vous verrez que ce chef-d’œuvre de Miyazaki est la définition idéale au mot « voyage », dans tout ce qu’il y a de plus complet et détaillé.
Une remarque cependant, même si cela peut se voir comme du chipotage (je l’avoue). L’ambiance hésitante de l’ensemble. Par là, n’y voyez pas une mauvaise critique, étant donné que Le Voyage de Chihiro sait tout autant émerveiller grâce à sa magie et sa légèreté qu’impressionner par son mystère assez pesant et un côté parfois glauque (
l’allure de certains personnages comme le démon nauséabond et la sorcière Yubaba, des passages tel celui où le Sans-Visage dévore des gens sans vergogne…
). Sans oublier la musique féérique du toujours aussi talentueux Joe Hisaishi, collaborateur attitré de Miyazaki. Mais je trouve que ce dernier, au lieu d’assumer pleinement sa légèreté (Mon voisin Totoro) ou bien d’être un film pour adultes (Princesse Mononoké), fait du Voyage de Chihiro un projet switchant maladroitement entre divertissement enfantin et pour public averti. Non pas que ce soit un défaut, plutôt le fait que je trouve dommage que de jeunes spectateurs ne puissent pas profiter pleinement de cette œuvre si extraordinaire. Notamment à cause d’une trop grande complexité et de passages pouvant les effrayer l’air de rien.
Mais encore une fois, il faut voir cela comme du chipotage, car personne ne peut rester insensible face à cet immense voyage, synonyme de poésie, de magie et d’émerveillement. Comme à son habitude, Miyazaki impressionne grandement par ses talents de réalisateur, de conteur et de magicien du cinéma. Dire que Le Voyage de Chihiro est un bijou serait insuffisant pour mettre en valeur ce merveilleux présent qui nous a été offert par un prodige artistique.