Il existe des films où le spectateur se rend compte, dès la première séquence, qu’un grand metteur en scène est aux commandes. "La soif du mal" en fait incontestablement partie. En un plan séquence magistralement tourné et diablement efficace, Orson Welles frappe un grand coup et nous rappelle qu’il est bien le réalisateur de "Citizen Kane". Il plante, de surcroît, son décor dans un lieu atypique (la frontière américano-mexicaine) qui change des habituelles métropoles urbaines et dont il exploite le potentiel avec sont talent habituel (on traite, ici, des conflits de juridictions, du racisme, des différences culturelles, de l’immigration, d’une Amérique en mutation…). Welles se sert, ainsi, de son décor comme d’un moteur renforçant l’antagonisme entre les personnages, ce qui densifie considérablement l’intrigue, par ailleurs, assez classique. En effet, cette histoire d’affrontement entre un procureur mexicain intègre (Charlton Heston, très bien pour peu qu’on mette de côté son maquillage un peu grossier censé le faire ressembler à un latino) et un flic américain ripoux (Orson Welles lui-même, qui s’est offert le meilleur rôle et qui s’avère, une fois de plus, époustouflant de charisme) n’est pas la plus révolutionnaire qui soit puisqu’on retrouve les thèmes habituels, tels que les combines entre collègues, les connivences mafieuses ou encore la corruption. Il semblerait, cependant, que l’intérêt de Welles se soit porté ailleurs… En effet, "La soif du mal" est le dernier film hollywoodien de cet artiste maudit (des producteurs) et il est difficile de ne pas voir ce film comme une sorte d’adieu de Welles au grand écran (ou plutôt au grand public). Le film baigne, ainsi, dans une ambiance de nostalgie d’une époque révolue, notamment à travers le personnage du flic ripoux, dont on évoque le flamboyant passé. Le fait que Welles se soit attribué ce rôle mais, plus éclatant encore, la présence de Marlène Dietrich (icône mondiale du cinéma des années 30 et 40), comme souvenir de ce glorieux passé, vient confirmer que le réalisateur entend profiter de son film pour opposer la génération des illustres anciens aux jeunes nouveaux représentant la relève (Charlton Heston, donc, mais également, Janet Leigh). Cette opposition vient, d’ailleurs, appuyer le propos du film, avec ce monde en plein renouveau, dans lequel les anciens ne se reconnaissent plus. C’est cette superbe allégorie qui offre, à mon sens, tout son cachet à "La soif du mal" qui, à défaut, serait, pour autant, resté un bon film, malgré un rythme parfois un peu lancinant et des effets de mise en scène parfois un peu datées
(voir la scène de l’apparition du visage du cadavre du mafieux fraîchement étranglé).
Il confirme, s’il en était encore besoin, que Welles était effectivement un génie incroyablement moderne pour son époque…