Ce film a été maudit bien avant le premier jour de tournage, maudit dès sa conception. Il était tout naturel qu’il soit maudit par le public et la presse. Pourtant à sa sortie, j’étais de ceux qui avaient apprécié le film et ne comprenais pas cette cabale envers Verhoeven. Plus de 20 ans après, je le revois en DVD et l’apprécie toujours autant. Le temps, l’âge, les milliers de films ingurgités depuis n’ont pas eu raison de ma première impression. « Showgirls », c’est l’apologie de l’outrance ! Tout est volontairement exagéré. Les lumières, la musique, les dialogues, la nudité, la gestuelle. Le fameux staccato. Celui qui aurait dû se limiter à la danse plutôt que dans le comportement de Nomi. Justement, cela faisait partie pleinement de son personnage ; Nomi, une brûlée vive nourrie à la vache enragée depuis son enfance. Brut de décoffrage, impulsive et parfois non dénuée de réflexion… pour encore mieux frapper telle une vipère heurtante. Elle est à l’image de Las Vegas : agressive. Las Vegas, la représentation même de l’outrance ! Ses lumières, son artificialité, sa superficialité sont agressives. Comme le monde dans lequel baignent les stripteaseuses, les topless et autres meneuses de revue, et ceux qui bavent devant elles. L’insignifiant qui se veut extraordinaire. Et pour qu’il le soit, pour que cela brille avec exagération, il faut de l’argent. L’argent est agressif et rend agressif. Il faut l’être pour briller, et encore plus pour se dépasser et dépasser les autres. Les autres que l’on doit écarter sans état d’âme. Comme Las Vegas. Elle n’a pas d’état d’âme, elle séduit par son outrance, elle éblouit par son outrance les plus faibles et les plus ambitieux. Si les faibles n’ont que leurs yeux pour apprécier les éclats lumineux, pour les ambitieux, Las Vegas peut à terme les engloutir. Pour cela il faut jouer des coudes pour mériter et briller comme Las Vegas. Il n’y a rien de choquant, comme le dit Verhoeven, les politiques ne font rien d’autre ! Ils se bousculent les uns les autres pour parvenir sur la plus haute marche. L’Amérique a été choquée de « Showgirls ». Hypocrite, pudibonderie à deux balles ! La même Amérique qui produit des films pornos en pagaille, la même Amérique qui se vante de Las Vegas et des éléments qui permettent à la rendre unique et sexy. L’Amérique qui joue les saintes Nitouche ! Comme si l’Amérique profonde découvrait pour la première fois en toute innocence l’underground de Las Vegas. Cette partie de l’Amérique qui s’effarait, préférait jouer la politique de l’autruche. Ou ne voir que le côté clinquant, bling-bling. Les mêmes effarouchés qui ont joué, palpé, joui dans tous les sens du terme de Las Vegas. Verhoeven place le miroir de la réalité face à l’Amérique. Un miroir qui peut paraître en effet exagéré, mais qui est en rien exagéré puisqu’il représente une des fiertés de l’Amérique : Las Vegas ! La Babylone de l’Amérique ! Lieu de perversion ! Comme je l’ai souvent écrit, je suis rarement choqué. Ce film est loin d’être choquant. II n’est ni vulgaire, ni grossier. Verhoeven a traduit une certaine Amérique. Celle qui constitue l’Amérique dans sa globalité. Ce qui est vulgaire, c’est la mauvaise foi de ceux qui ont été choqués. Maintenant, on peut reprocher la démarche artistique de Verhoeven, moi je l’approuve, il a été au bout de son propos, il a traduit justement sa vision de Las Vegas et par voie de conséquence une Amérique dans laquelle il vivait. C’est sa perception qu’il imprime sur pellicule à travers ce récit. Et si vulgarité il y avait (ou il y a) ou perçue comme telle, ce que je veux bien concevoir, en quoi la montrer, la filmer, la dénoncer est-il choquant ? Tout aussi choquant d’en vouloir à Elizabeth Berkley. A voir en V.O, je ne sais pas ce que cela donne en VF, je n’ai même pas essayé sur le DVD, et pour tout dire, je n’y pense jamais, mais sans doute que la voix française y est pour quelque chose pour ceux qui la condamnent. Elisabeth Berkley tient le film sur ses épaules et son interprétation est très respectable. J’y ai cru tout de suite, et ses mouvements saccadés s’intégraient naturellement à son personnage. Malheureusement elle est partie avec l’eau du bain. Je crie à l’injustice ! Sa carrière en a sans doute pâti. Verhoeven ne lui a pas rendu service. Ce n’est pas lui qu’il faut incriminer, c’est la faute à une presse influente, à cette Amérique bigote, à ces vierges effarouchées qui sont responsables du fiasco de « Showgirls ». Qu’on en veuille à Verhoeven est une chose, qu’on tire à boulet rouge sur son interprète est injuste ! Elisabeth Burkley n’a fait que suivre les consignes de son directeur d’acteurs. Et en matière de direction, Verhoeven a prouvé maintes fois sa compétence. Je salue l’interprétation de tous les autres acteurs et actrices qui se sont embarqués dans cette aventure à commencer par Gina Gershon, impeccable. « Showgirls » s’avère cohérent dans la filmographie de Verhoeven. « Showgirls » a eu le tort d’être un film en avance sur son temps. Il a eu le tort surtout d’être apprécié par des hypocrites qui n’avaient aucun point de vue artistique comme arguments constructifs à faire valoir. Les mêmes pinailleurs qui devaient se rincer l’oeil dans des cabarets obscurs.« Showgirls » maudit ? Maudits soient les détracteurs de mauvaise foi ! Echec au cinéma, grand succès DVD, maintenant ce n’est que justice que le film soit hissé au rang de film dit culte. Merci Monsieur Verhoeven pour cette oeuvre.