Polanski est de retour. Après une adaptation plutôt décevante du célèbre « Oliver Twist » de Dickens, un gros projet tombé à l’eau (« Pompéi », déjà d’après un roman de Robert Harris, avec qui il collabore de nouveau ici), et des déboires judiciaires. D’ailleurs, « The ghost writer » a failli ne jamais être terminé, Polanski ayant dû boucler la post-production dans son chalet en Suisse, car il était assigné à résidence par un mandat d’arrêt américain. Mais le voilà, et on peut dire après visionnage que les cinéphiles auraient sûrement loupés quelque chose. Car on y retrouve ce que l’on avait plus vu chez le réalisateur depuis des années, et les génialissimes « Chinatown » et « Le locataire », voir même « Frantic ». C'est-à-dire cette théorie du complot qui lui est très chère, entourée de zones d’ombres ensorcelantes, et qui se referment autour de gens ordinaires. Le premier point important à soulever, est le fait que ce film s’intéresse à la fonction de nègre littéraire. Difficile exercice, n’est-ce pas ? Etre constamment dans l’ombre, écrivant de sa plume chaques mots qui seront attribués à d’autres, sans en avoir la reconnaissance, ni la notoriété. Ce métier tout aussi spécial qu’il est méconnu, a le mérite de renforcer la paranoïa ambiante. Il est au centre de cette espèce de huis clos de bord de mer, où Ewan McGregor se retrouve bien perdu, au cœur d’un monde qui le dépasse totalement, plein d’hypocrisie, de façades et de coup bas, dans lequel la moindre petite lettre de chaque missive peut peser extrêmement lourd, et où tout est question de sécurité nationale, de relations diplomatiques, de terreurs.... Au passage, l’anti-héros de « Trainspotting » est parfait dans ce rôle, réussissant vraiment à retranscrire son malaise. Face à lui, Pierce Brosnan, en politicard charismatique et énigmatique, dont toute éventuelle ressemblance avec un certain Tony Blair serait purement fortuite, et Olivia Williams, en femme manipulatrice et tout aussi sibylline, lui donne une réplique d’envergure. Notons au passage l’apparition d’un monstre sacré, Eli Wallach, 93 printemps au compteur, rendu célèbre par ses rôles dans des légendes du western, tels « Le bon, la brute et le truand » ou « Les sept mercenaires ».
L’approche politique, elle, est excellente, accessible sans être trop simpliste. L’envers du décor nous est dévoilé avec beaucoup de discernement, sans pour autant être dénonciateur ou faussement « engagé ». Faut-il préciser que le film doit sûrement son réalisme accru au fait qu’il soit tiré du bouquin d’un ancien journaliste politique anglais éminent, Robert Harris, co-auteur du script pour le coup ? Et voilà une magnifique transition pour parler du scénario. Dense, intelligent, captivant, impeccablement écrit, il nous lance d’entrée de jeu dans l’action, se permettant une subtile touche d’humour, de légèreté. On peut même ne pas s’empêcher de faire le parallèle entre l’ironie de divers points de l’intrigue qui nous est proposé, et les récents éléments de la vie de Polanski… Et la façon dont le réalisateur oscarisé à Hollywood en 2003 pour « Le pianiste » matérialise tout ça à l’écran laissera bouche bée bien des amateurs de films de pure mise en scène. D’abord la bande-son, quasiment inexistante dans la première heure, elle devient de plus en plus présente par la suite. Et chaque plan, souvent fixe, est épuré, soigné jusqu’au détail. Les deux dernières scènes, ce plan-séquence en travelling qui suit un papier passé de main en main, et le magistral plan final, ne sont-elles pas l’œuvre d’un grand metteur en scène ? Il n’y a possiblement pas de réponse à cette question qui n’en était pas une.
Doublement récompensé lors du très prestigieux festival du cinéma international de Berlin en 2010 (meilleur réalisateur pour Polanski, et l’Ours d’Or, qui décore le meilleur film), « The ghost writer » est un long-métrage envoûtant et élégant, qui n’a aucunement besoin de faire de l’esbroufe, ni de se saturer d’effets de mise en scène ultra-stylisé sur fond de rock’n’roll psychédélique et de fusillades sanglantes, pour passionner de bout en bout. Une conspiration brumeuse, froide comme une tombe, avec des personnages secondaires aux intentions ombrageuses, que n’aurait pas renier le Maître incontesté du suspense, Sir Alfred.
D'autres critiques, avec photos et anecdotes autour des films, sur mon blog ciné : http://soldatguignol.blogs.allocine.fr/ Merci !