Entre autres choses, The Ghost Writer parle de manipulation et d'échanges de procédés qui n'ont souvent rien de bon. Soit la relation entre Lang et Paul Emmett, ou, plus important encore et faisant directement écho à l'histoire récente, la relation entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis juste avant la seconde invasion en Irak. Plusieurs fois dans le film, on pense à cette fameuse phrase qui faisait de Blair le caniche de Bush. Comme lui, Lang semble réagir au doigt et à l'oeil au gouvernement américain, et se débarrasse de toute considération humaine au profit de la loi économique dont l'Irak permettra le développement. D'ailleurs, le fait de situer l'action du film aux Etats-Unis n'est pas anodin : c'est comme si le Royaume-Uni lui-même était, symboliquement mais pas seulement, une sorte de 51ème état, appartenant à l'Amérique et donc à l'Etat fédéral. Le Royaume-Uni est donc totalement incorporé au territoire américain, et dès lors il en suivra la ligne exécutive directrice. Ce qui fait de lui un " personnage " soumis, passif, laissant apparaître des ficelles dans son dos que d'autres prennent un malin plaisir à tirer. Et le film parle beaucoup de ça, puisque tout est affaire de manipulation ou d'échange permanent d'identités, donc de fonctions. Lang a des mémoires à écrire, mais ce n'est pas lui qui les rédigera, de la même façon qu'il a des décisions à prendre sur le plan international qu'il ne décide pas réellement puisque leur choix est la conséquence de la mainmise américaine sur le Royaume-Uni.
Le personnage du nègre joué par McGregor est dans le même cas, et se retrouve dans la peau du personnage hitchcockien typique puisqu'il n'est pas à sa place et qu'il ne maîtrise pas les événements. Il a beau choisir ses actes, il ne fait finalement qu'accentuer l'incessante propension à la répétition d'un destin qui condamne les " bons " pour, ironiquement et cruellement, laisser s'en tirer les " méchants ". McGregor aura beau lutter, sa volonté de mettre les choses au clair ne fera que trouver un écho dans le geste sisyphien du balayeur qui ne peut vaincre la parade des feuilles à l'extérieur. Les nègres passent, suivent tous la même mécanique ( l'écriture-l'enquête-la mort ), mais toujours, à la fin, ce sont les feuilles - qu'elles viennent d'arbres ou d'un manuscrit - qui viendront recouvrir leur tombe en même temps qu'elles recouvrent l'écran pour conclure le film.
L'atmosphère paranoïaque de The Ghost Writer trouve évidemment sa source dans cette sensation de ne pas tout savoir, et surtout de ne pas savoir qui fait quoi et qui est qui. Une importance est donc donnée aux faux-semblants, au caractère dangereux de l'apparence ( qu'est-ce qui se cache derrière le sourire ultra-bright de Brosnan ? Une colère soudaine ), à cette impression que voir une chose ne suffit pas à en déceler la nature profonde. A ce propos, le travail sur les décors est absolument prodigieux. Il y a bien sûr ce paysage d'un ciel gris et cette mer déchaînée, de la même couleur, propres à renforcer un certain malaise, instillant une atmosphère délétère. Mais surtout il y a les baies vitrées et donc le verre, participant pleinement et intelligemment de cette dualité au sein du film, et rejoignant le discours de Baudrillard : le verre est à la fois ce qui permet l'ouverture vers un extérieur, et à la fois ce qui enferme les personnages. Sa double nature est un parallèle aux propos que le film développe sur l'apparence. Ici le verre permet de voir des personnages à l'extérieur, mais on ne sait pas ce qu'ils disent ( McGregor observant Brosnan depuis l'intérieur ).
Le terme " nègre " ne permet pas d'être aussi profond que sa traduction anglophone, dont le mot Ghost offre au film une éloquence évidente. Le dernier Polanski regorge de fantômes, d'individus vivants qui n'en ont pas l'air puisque leurs actes sont finalement dictés par d'autres. La première traduction du titre en français était idéale puisque le film fait la lumière sur l'ombre et les hommes - et les femmes - qui s'y cachent, contrôlant sournoisement un monde rempli de valeurs morales déréglées. Polanski filme ça à l'ancienne, sans exagération. On pense un peu à Shutter Island - une île, une enquête, et même, un plan inaugural sur un bâteau - que Scorsese filmait plus viscéralement et nerveusement - " scorsesément quoi ". Polanski, lui, fait dans le classicisme pur, se met totalement au service de son histoire. Mais la marque des grands réalisateurs c'est justement de parvenir à susciter l'intérêt par leur mise en scène quand - comme ici - l'histoire perd quelque peu en intérêt sur la fin ( ça devient franchement mécanique et poussif ). Une mise en scène limpide, intelligente, à la fois discrète et vigoureuse.