Alors que le réchauffement climatique s’accélère et que les catastrophes naturelles se succèdent à un rythme absolument frénétique, scientifiques et militants le clament haut et fort depuis des années : il faut radicalement changer de modèle de société. Face à ces revendications, le monde de l’économie semble se remettre en question.
L'industrie textile s’est lancé dans le durable ; celle de l’alimentation, dans l'agriculture biologique. Et la finance ? Elle entend quant à elle devenir plus verte. Depuis quelques années, la croissance des fonds et placements labellisés "durables" s’avère exponentielle.
Rien qu'entre 2014 et 2017, le marché de ces placements a quasi triplé. Et n'allez pas croire que la pandémie du Covid-19 a fait ralentir la cadence pour ces fonds, bien au contraire. En septembre 2020, près de 800 fonds estampillés "durables" ont connu une croissance de 70%, avec un volume d'encours (NDR : l'encours est le montant total des crédits émis par une ou des institutions financières à une date donnée et non remboursés) de plus de 300 milliards €.
Un nouvel eldorado, qui donne l’occasion pour la place bancaire de redorer son blason après la crise financière et les scandales fiscaux à répétition de ces dernières années. Que trouve-t-on réellement sous le vernis de ces produits attractifs et des campagnes de communication ?
Comme le raconte en voix off les auteurs de La finance lave plus vert, édifiant documentaire diffusé ce soir sur Arte, ce qu’ils ont découvert en confrontant les acteurs financiers à la réalité de leurs montages les "laissent pantois". Le maître-mot ? Greenwashing, ou éco-blanchiment.
Impunité et opacité
Car ces placements dits "verts", censés alimenter uniquement des entreprises responsables, font apparaître toute une galaxie d'entreprises pas franchement réputées pour leur image écologique : Dassault Systèmes, Coca-Cola, Exxon, TotalEnergies... Dans cette nébuleuse, les industries pétro-chimiques occupent une place de choix.
Romain Girard et Matteo Born, les réalisateurs du documentaire, développent alors leur passionnante réflexion avec deux exemples sidérants. On se bornera à évoquer celui de la société belge Umicore, spécialisée dans le recyclage des métaux. Dans les années 1980, celle-ci gérait le traitement des métaux lourds dans les mines, notamment pour exploiter le plomb.
L'ancien site minier de Saint-Félix de Pallières, situé dans les Cévennes, et fermé depuis 40 ans, s'en souvient encore... L'entreprise a laissé durant des années des milliers de tonnes de résidus toxiques dans les forêts des Cévennes, contaminant les sols et les eaux de tous les environs. Et si elle s'active (un peu) désormais à nettoyer la zone dramatiquement polluée, le chantier prendra des années, alors que le mal est déjà fait.
Ces résidus ont provoqué des cancers chez les animaux et les hommes vivants dans les environs. Jadis heureux propriétaires de maisons au milieu de la nature, ils n'ont plus que leurs yeux pour pleurer : elles sont désormais invendables ou presque.
Le site du siège belge de l'entreprise, situé à Olen, n'est pas mieux loti... Ici, c'est carrément une montagne de déchets radioactifs de 265.000 m³ qui entoure le site, au point d'en faire la décharge la plus importante de Belgique. Le problème est d'ailleurs un énorme caillou dans la chaussure des autorités, car Umicore pèse lourd : 8 milliards €. La contraindre à nettoyer et dépolluer la zone coûterait des milliards d'euros, et mettrait l'entreprise en faillite...
Malgré ce lourd passif et les explications nébuleuses du service de communication de la société, Umicore figure parmi les entreprises les plus appréciées dans ces investissements verts. Comment est-ce possible ? Grâce au rôle des agences de notation extra financières.
Celles-ci aident les entreprises à figurer dans ces fonds d'investissements labellisés "verts" en leur attribuant des notes, basées sur des critères sociaux et environnementaux, regroupés sous l'acronyme E.S.G : Environnemental, Social, Gouvernance. Le problème, c'est que ces critères d'évaluation ne répondent à aucun standard ; et ils varient d'une agence à l'autre...
Un système opportuniste et cynique
Peu importe que les banques, qui investissent dans ces fonds, utilisent toutes sortes de termes pour surfer sur la tendance écologique pour mieux rassurer ceux et celles qui engagent leur argent, entre les investissements "100% bio", "éthique", "éco-responsable"... Au final, l'opacité demeure derrière ce pedigree vaguement écologique.
En 2020, la toute puissante Deutsche Bank se vantait dans son rapport annuel de gérer la somme astronomique de 459 milliards € placés dans des fonds "durables". Un record absolu. Mais l'établissement bancaire est pris depuis un moment dans l'oeil du cyclone. Mardi 1er juin, des perquisitions dans une enquête sur des investissements vendus comme plus durables qu'ils ne l'étaient en réalité ont été menées.
La justice a, à ce jour, trouvé "des indices que, contrairement à ce qui est indiqué dans les prospectus de vente des fonds promus comme "durables" et gérés par DWS [NDR : la filiale de la Deutsche Bank], les critères ESG n'ont pas été pris en compte dans un grand nombre d'investissements".
L'alerte avait été donnée par Desiree Fixler, l'ancienne responsable du développement durable au sein de DWS, qui témoigne d'ailleurs dans le documentaire La finance lave plus vert. Son témoignage est d'autant plus intéressant qu'il est bien antérieur au tout récent développement judiciaire de l'affaire. Virée pour ses bons et déloyaux services au yeux de la direction, elle est devenue lanceuse d'alerte. La finance verte ? "C'est juste un marché basé sur la rhétorique, pas sur les preuves" assène-t-elle. De quoi faire réfléchir...
"La finance lave plus vert", documentaire de Romain Girard et Matteo Born, diffusé ce 7 juin sur Arte. Egalement disponible sur arte.tv jusqu'au 6 juillet 2022.