Pour la première fois, Amin, 36 ans, un jeune réfugié afghan homosexuel, accepte de raconter son histoire. Allongé les yeux clos sur une table recouverte d’un tissu oriental, il replonge dans son passé, entre innocence lumineuse de son enfance à Kaboul dans les années 1980 et traumatismes de la fuite de sa famille pendant la guerre civile, avant la prise du pouvoir par les Talibans.
Après des années de clandestinité en Russie, Amin – un pseudonyme – arrive seul à 16 ans au Danemark, où il rencontre le réalisateur qui devient son ami. Au fil de son récit et des douleurs enfouies, l’émotion resurgit. Aujourd’hui universitaire brillant installé avec son compagnon danois Kasper, le jeune homme confie un secret qu'il cachait depuis vingt ans...
Une bouleversante confession
"Que signifie pour toi le mot "maison" ? - "Maison ? Voyons... Un endroit où je me sens en sécurité. Un endroit où je peux rester et que je ne suis pas contraint de quitter. Ce n'est pas quelque chose de temporaire". C'est par ces mots à la résonnance éminemment douloureuse et intime que s'ouvre Flee, bouleversant documentaire animé diffusé ce soir sur Arte à 20h50.
La chaîne franco-allemande a mis les petits plats dans les grands en diffusant, pour célébrer ses 30 ans, cette coproduction européenne entrée dans l'Histoire des Oscars : elle fut en effet citée trois fois dans l'édition 2022, aux titres du Meilleur documentaire, Meilleur film d'animation et Meilleur film étranger. Portée par les voix françaises de Kyan Khojandi et Damien Bonnard, Flee fut couvert de prix à travers le monde (près de 80 !), dont le Cristal du long métrage à Annecy en 2021, le Grand prix World Documentary au Festival du film de Sundance 2021, ou encore le Prix du cinéma européen des meilleurs documentaire et film d’animation 2021, pour n'en citer qu'une poignée.
On a un peu tendance, par facilité, à faire remonter l'acte de naissance du documentaire animé au superbe film Valse avec Bachir d'Ari Folman, qui avait fait sensation à sa sortie en 2008. Pourtant, l'histoire de ce genre peut quasi remonter à la naissance du cinéma lui-même. Reste que le spectre très large du cinéma d'animation offre un outil exceptionnel pour allier la rencontre du document et de l'image recomposée.
Une animation qui sert justement magnifiquement le propos de Flee, signé par le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, qui endosse ici à la fois la posture de l’intervieweur et de complice. Si le film raconte en couleurs l'épopée du jeune demandeur d’asile afghan, les événements les plus traumatiques sont relatés dans des séquences en noir et blanc au fusain, traversées d’ombres fantomatiques.
Des archives de journaux télévisés balisent aussi le récit, dont celles de l'effroyable naufrage du ferry Estonia en 1994, qui fit 852 morts : ces incursions du réel trouvent une puissante résonance, alors que les drames de réfugiés se répètent, comme l’illustre aujourd’hui la guerre en Ukraine.
"Il y a quinze ans, alors que je réalisais des documentaires radio, je lui avais proposé de témoigner. Mais à l’époque, il ne sentait pas prêt. Il m’a dit que le jour où il se déciderait, ce serait avec moi qu’il partagerait son histoire" raconte Jonas Poher Rasmussen.
"Un atelier associant au Danemark cinéma documentaire et animation nous a fourni une forme appropriée à ce projet. Outre qu’elle rendait émotionnellement vivants des événements passés, l’animation garantissait à Amin un anonymat qui, en le soustrayant au regard du public, lui permettait de se raconter librement et de vivre sans être renvoyé à ses traumas. Mais remonter le cours de sa mémoire s’est avéré un lent processus : il lui a fallu du temps pour se replonger dans certains épisodes et les raconter". Le résultat, entre douloureuse introspection et catharsis salvatrice, est magnifique.
Flee, diffusé ce 30 mai sur Arte à 20h50. Disponible en replay sur arte.tv jusqu'au 28 juillet 2022.