Vimala Pons n'est pas Tom Cruise (et inversement). Mais, si la comédienne s'est davantage illustrée dans la comédie que la star des Mission : Impossible, tous deux ont en commun une approche physique de leur travail, et cette idée qu'un acteur est aussi un auteur, qui se construit un univers et même un personnage récurrent d'une œuvre à l'autre.
C'est ce dont nous avons parlé avec l'actrice française, qui se décrit comme "auteur-performeur de pièces physiques", et dont le cinéma hexagonal et les planches profitent du talent, à intervalles réguliers, depuis plus d'une décennie. Si son premier rôle sur grand écran remonte à 2006 et Enfermés dehors d'Albert Dupontel, la révélation a lieu avec La Fille du 14 juillet, sorti au même moment que son premier spectacle.
De La Loi de la jungle à Vincent doit mourir, en passant par Comme un avion, Les Garçons sauvages, Je suis à vous tout de suite ou Marie et les naufragés, Vimala Pons apporte régulièrement son côté pétillant aux films dans lesquels elle s'illustre, avec un goût marqué pour la comédie, le burlesque et le cinéma de genre.
Associée à William Lebghil dans Le Beau rôle, premier long métrage de Victor Rodenbach, elle joue la carte de la mise en abyme, en incarnant un metteur en scène de théâtre. L'occasion pour elle de lier le cinéma et la scène sur grand écran. Et pour nous de discuter avec elle de la manière dont elle construit sa carrière et son personnage d'une œuvre à l'autre.
AlloCiné : Dans "Le Beau rôle", vous jouez un metteur en scène de théâtre. Est-ce cette mise en abyme qui vous a attiré, dans la mesure où le personnage était proche de vous en tant qu'artiste ?
Vimala Pons : C'est évident que ça a été l'une des donnes, dans la mesure où, quelque part, tu as à la fois 60% du travail qui est déjà fait, et tu sais de quoi tu parles. Et, en même temps, ça te propose de repasser par des choses un peu similaires à ce que tu as vécu, pour pouvoir les comprendre à nouveau. Finalement, c'est le principe du psychodrame en live, et c'est assez chouette de pouvoir aborder un rôle, et de comprendre à nouveau des choses à travers lesquelles, dans la vie, tu es passée à côté.
Donc c'est un rôle que vous n'auriez pas pu jouer avant, parce que c'est ce que vous avez fait avant qui vous y a conduit ?
En tout cas, il tombait bien parce que je sais ce que c'est que d'être chargée d'un projet, ce que c'est que de mener une équipe. Il y avait plein de moments où cette expérience permettait de trouver des points d'humour, ou les spécificités de certaines situations. Après, j'ai vraiment le sentiment qu'on ne peut pas tout jouer et que souvent, bizarrement, on me propose souvent des rôles que je suis un peu.
Je pense que jouer, c'est un peu éteindre des endroits de soi pour en laisser d'autres allumés, qui permettent d'aborder certaines psychologies de personnages. Et là, moi, je ne suis pas une metteur en scène de théâtre, très clairement : je suis auteur-performeur de pièces physiques, donc adapter Tchékhov, je ne le ferai jamais. Avec des feuilles mortes, c'est hors de question (rires)
Donc c'était quand même un rôle de composition, d'une certaine manière, puisque Victor Rodenbach s'inspire aussi de sa compagne Pauline Bayle, qui est metteur en scène et directrice du théâtre de Montreuil. Et je pense que, pour nous tous, c'était un espèce de psychodrame géant aussi. Il y avait plein de choses qui résonnaient dans la vie des autres, plus que sur un film dystopique.
Son tout premier rôle, c'était face à… Titi et Grosminet :
Vous parliez du fait qu'on ne peut pas tout jouer : où est votre limite justement ? Quel est le type de rôle qui semble hors de votre portée ?
Moi, je ne sais pas ne rien faire. Donc je suis super active et je ne sais pas jouer des personnages passifs. J'adorerais savoir faire ça, avoir ce lâcher-prise que William a. Je ne dis pas qu'il est plein de passivité (rires). Mais il y a quelque chose de l'ordre de la décontraction. C'est Karim Leklou qui disait ça par rapport au jeu de William : il y a chez lui une immense décontraction, un lâcher-prise et une capacité d'écoute que moi je n'ai pas du tout. Je n'écoute personne et surtout pas la personne avec qui je joue (rires)
Non, ce n'est pas vrai, mais lui m'a beaucoup appris à faire ça. Moi, je pense qu'il y a un aspect de stress et de pudeur, de par la comédie et une question de rythme, qui fait que, moi par une forme de rapidité et lui par une forme de flegme tendre et poétique, nous avons attaqué le film à des endroits très complémentaires et très différents.
Ce goût pour la comédie, souvent burlesque comme chez Bruno Podalydès ou Antonin Peretjatko, est-il né lors de votre passage par l'Ecole des Arts du Cirque ? Ou c'est cet amour du genre qui, via le cirque, vous a ensuite permis d'y participer ?
Ce qui est sûr, c'est que j'ai eu la chance de rencontrer ces réalisateurs et réalisatrices tout au long de ma carrière, car j'ai toujours suivi ces deux voies en même temps. D'ailleurs, La Fille du 14 juillet d'Antonin Peretjatko et J'aurais pu être une pute, le court métrage de Baya Kasmi, sont sortis en même temps que le premier spectacle que j'ai fait. Donc j'ai toujours été sur ces deux fronts.
Ces deux choses se sont nourries l'une et l'autre, et elles me permettaient d'être toujours en action. Pas seulement dans le désir des autres, mais aussi d'exprimer mon propre désir et ma propre vision du monde en étant auteur. Et en même temps, être acteur, c'est être auteur pour moi aussi. C'est une autre façon de l'être.
Il y a une forme d'auteurisme dans les choix que fait un acteur. C'est sa filmographie, son scénario global.
On a effectivement ce sentiment que vous construisez un univers au travers de vos films et spectacles.
Au début, j'avais lu beaucoup de choses dites par Andy Warhol sur le succès et la réussite. Et quand j'ai commencé, je me suis dit que j'allais me faire une coupe au carré avec une frange, parce que c'est incoiffable. Tu es obligé de rester comme ça, tu ne peux pas t'attacher les cheveux. Donc ça me permettait d'avoir toujours la même tête. C'est ce qu'Andy Warhol préconisait, comme ça le produit d'appel est très circonscrit.
Et je me suis aussi dit que j'allais être un personnage un poil plus lunaire que je ne le suis, et le proposer de film en film. Donc, au début, il y avait une volonté d'installer une sorte de méta-narration, et faire que ce personnage passe de film en film. Puis Bertrand Mandico est arrivé, il m'a proposé Les Garçons Sauvages [où elle a les cheveux courts, ndlr] et ça a cassé cet élan. Donc je pense qu'il y a une forme d'auteurisme dans les choix que fait un acteur. C'est sa filmographie, son scénario global.
Mais je pense aussi qu'il y a, à la fois, de l'auteurisme chez les auteurs. Mais également de l'interprétation. Parce qu'interpréter nos vies, c'est comme ça qu'on les écrit. Dans le sens où, lorsque quelque chose t'arrive, tu vas l'interpréter en disant "C'est de la merde" ou "C'est génial". L'interprétation dans ce sens, c'est très puissant. C'est un super pouvoir parmi les plus puissants de ceux qu'on a.
L'interprétation, c'est l'art originel que j'essaye d'exercer : dans un sens, j'interprète la gravité à travers le fait, par exemple, de tenir en équilibre avec un rocher de quatre mètres, lardé de dynamites sur la tête [dans son spectacle Le Périmètre de Denver, photo ci-dessus, ndlr] - des fois quand je le dis, je trouve ça tellement dingue (rires). Et l'art de l'acteur consiste à mettre ce rocher à l'intérieur de soi, pour parler du déséquilibre émotionnel, passer à travers la gravité et se récupérer.
On voit tout le temps beaucoup de comédiens, des grands acteurs qui sont sur la brèche. Il y a un truc d'équilibre émotionnel que je trouve assez commun entre les deux. Et interpréter, encore une fois, c'est écrire. Et écrire c'est interpréter.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 6 décembre 2024