Formé par Charles Laughton, un des plus grands comédiens de théâtre, puis à l'Actors studio par Lee Strasberg qui deviendra son mentor et même un véritable père de substitution, Al Pacino est l'un des plus grands acteurs du cinéma américain et du cinéma tout court, ayant incarné des personnages entrés depuis longtemps dans la légende du 7e art.
Formé à "la méthode" propre à l'Actors Studio, Pacino est connu pour délivrer un jeu très intense et physique. Son approche, qui lui a permis de se glisser dans la peau de quelques-uns des plus grands rôles de l'Histoire du cinéma américain - en tête celui de Michael Corleone bien entendu - a fait de lui un idéal qui a inspiré - et inspire encore - toute une génération d'apprentis acteurs et réalisateurs.
Reconnu aujourd'hui pour son fabuleux don de faire oublier l'acteur caché derrière un personnage, il est aussi parfois devenu, au gré de films médiocres et de choix de rôles faciles sinon malheureux, un peu une caricature de lui-même ; du moins une caricature des rôles qui ont fait sa renommée.
Une ascension de bruit et de fureur
Documentaire de 52' en forme de portrait consacré à cette légende hollywoodienne, disponible en replay sur Arte TV, Al Pacino : le Bronx et la fureur revient beaucoup et intelligemment sur la fulgurante trajectoire ascendante du comédien, qui incarne mieux qu'aucun autre le New York de vertiges et de fureur des années 70.
Car si l'on parle beaucoup et à juste titre de l'amour d'un Woody Allen ou, plus encore, d'un Martin Scorsese pour la ville de New York, au point d'en faire régulièrement un personnage à part entière dans leurs oeuvres, on associe moins les acteurs qui y sont viscéralement attachés. Pacino est de ceux-là.
Une ville alors en proie à une terrible épidémie de drogue, à la criminalité effrayante, au point qu'un manuel de survie est même distribué aux touristes. Une ville au bord de la faillite aussi. L'argent manquait tellement dans les caisses de la municipalité qu'elle ne pouvait même plus payer les éboueurs pour ramasser les ordures, surtout dans les quartiers du Bronx - d'où Pacino est natif - et de Harlem, devenus des ghettos à ciel ouvert. Les Black Panthers iront d'ailleurs jusqu'à menacer de mort le maire de la ville s'il ne faisait pas nettoyer les rues...
Cette urgence sociale d'une Big Apple en déclin sordide se retrouve dans les premiers choix artistiques de Pacino, comme en témoignent Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg (1971), qui le révèle en junkie incandescent ; Serpico, et la corruption généralisée de la police ; Un après-midi de chien, basé sur un fait divers survenu à Brooklyn en 1972.
Le malaise du succès
Très classique dans sa construction, le documentaire est régulièrement illustré de belles images d'archives et ponctué de souvenirs racontés en voix off par Pacino. Comme ces images très émouvantes, montrant l'acteur avec son ami John Cazale, qu'il rencontra en 1968 sur les planches de théâtre. Un autre grand acteur, à la personnalité plus en retrait, que Pacino salue comme "un grand frère".
L'occasion aussi de mesurer à quel point Pacino a mal vécu les feux de la rampe, fuyant le succès et les honneurs. Refusant de se rendre à la Première du film Panique à Needle Park, il préfère rester aux côtés des junkies qu'il avait côtoyés sur le tournage du film, ne parvenant pas à sortir d'un rôle qui le propulsa sur le devant de la scène.
L'impression aussi de se sentir illégitime au cinéma, alors qu'il est bien plus à son aise au théâtre, qui garde sa préférence et reste sa grande passion. Ses débuts dans Le Parrain, le rôle qui le mettra définitivement sur orbite, furent très difficiles pour lui.
"Je voulais être remplacé ; je me demandais ce que je faisais là. Je ne me sentais pas désiré. Jouer demande de la confiance. Vous devez sentir qu'on vous veut dans le rôle" raconte Pacino. A la première du chef-d'oeuvre de Francis Ford Coppola, il est tellement nerveux et mal à l'aise qu'il se bourre de tranquilisants. Après Un après-midi de chien, épuisé, il se perd dans la dépression et l'alcool, au point de partir en cure de désintoxication.
Si l'on devait finalement formuler un regret concernant Al Pacino : le Bronx et la fureur, ce serait son format, bien trop court pour balayer tout le spectre de la carrière d'un tel monstre sacré. Une carrière en dents de scie, faite de sommets vertigineux, d'éclipses et de fracassants retours, pour un acteur qui n'a, depuis longtemps, plus rien à prouver.
Al Pacino : le Bronx et la fureur, disponible en replay sur Arte TV jusqu'au 6 avril.