Attention, spoilers. Il est conseillé d’être à jour sur l’Univers Cinématographique Marvel et sur la série Falcon et le Soldat de l’Hiver avant de poursuivre la lecture de cet article.
Radicalement différente de la très originale WandaVision, première série des studios Marvel sur Disney+ qui a lancé la phase IV du MCU, Falcon et le Soldat de l’Hiver repose sur une dynamique plus classique dans un style buddy movie. Elle met en avant un duo atypique et décalé de super-héros que sont Sam Wilson alias Falcon (Anthony Mackie) et Bucky Barnes alias le Soldat de l’Hiver / Le Loup Blanc (Sebastian Stan).
La série mise sur la recette qui a fait le succès des films du MCU : une réalisation plus musclée, de grandes scènes d’action et une bonne dose d’humour. Mais sous cette façade et quelques défauts de construction narrative, entre raccourcis et gros sabots dans certaines transitions, Falcon et le Soldat de l’Hiver peut se targuer d’avoir exploré et questionné plus frontalement des problématiques de son univers notamment sur le pouvoir des politiques, sur le racisme et sur la place des super-héros.
Entre critique de la politique et écho à l’actualité
Alors qu’elle devait être le fer de lance de la phase IV du MCU, la série Falcon et le Soldat de l’Hiver a été repoussée en raison de la pandémie et proposée sur Disney+ après WandaVision. Malgré elle, la crise sanitaire se ressent dans l’intrigue de la série à travers la catastrophe mondiale qui a touché le monde des Avengers, à savoir le "Snap", l’éradication de la moitié de la population de la planète à cause de Thanos.
Durant cinq ans, période appelée l’Eclipse, les survivants ont été obligés de s’adapter et le voeu du Titan fou a été exaucé. Malgré le deuil mondial, la vie était "plus simple" et les richesses mieux réparties. Après l’intervention des Avengers pour ramener les disparus, le Conseil Mondial de Rapatriement, qui gère la crise des réfugiés, est attaqué par les Flag Smashers, un groupe extrémiste souhaitant revenir à l’époque de l’Eclipse où les frontières étaient abolies.
Sam Wilson, alias Falcon, et Bucky Barnes, alias le Soldat de l’Hiver, doivent alors faire équipe pour neutraliser cette organisation luttant à leur manière radicale pour aider les démunis et les délaissés des politiques. Mais la tâche est difficile puisque les Flag Smashers sont composés de la cheffe Karli Morgenthau (Erin Kellyman) et de ses compagnons, devenus des Super Soldats grâce à une nouvelle formule du sérum qui avait donné ses capacités extraordinaires à Steve Rogers (Chris Evans) pour devenir Captain America.
La solution du gouvernement américain pour redonner de l’espoir à la population mais surtout pour assoir sa position de leader mondial est de présenter un nouveau héros étoilé, un nouveau Captain America. C’est le soldat émérite John Walker (Wyatt Russell) qui prend la suite de Steve Rogers avec une introduction médiatique en fanfare sur le thème patriotique "Star Spangled Man" sur lequel Steve Rogers apparaissait déjà lors de son introduction au peuple américain dans les années 1940 dans Captain America : First Avenger.
Ce nouveau héros choisi n’est qu’un écran de fumée pour cacher des politiques répressives et abusives concernant la crise des réfugiés qui fait écho aux décisions politiques du gouvernement américain. Surtout que John Walker se révèle être aux antipodes de Steve Rogers. Le personnage incarné par Chris Evans a vite compris qu’il ne voulait plus être un pion du gouvernement américain en prônant des valeurs plus humanistes et ouvertes sur un monde moderne qu’il appréhende à son rythme, non sans un style "old school".
De son côté, John Walker représente tout ce que les États-Unis veulent montrer au reste du monde : une certaine supériorité, une arrogance désarmante, un esprit patriotique inégalable et une force de frappe que personne ne devrait remettre en cause. Le nouveau Captain America s’en prendra même aux Dora Milaje du Wakanda en leur assénant qu’elles n’ont aucune juridiction en Lettonie alors qu’il n’est lui-même pas sur le sol américain à ce moment critique dans l’épisode 4.
Le conflit intérieur qui anime John Walker, tiraillé entre son dévouement à l’étiquette Captain America et son manque de maîtrise va le pousser à prendre le sérum afin de devenir un Super Soldat. Mais ce nouvel état va le pousser à franchir la ligne rouge en tuant de sang-froid un Flag Smasher avec le bouclier devant un public horrifié. Cet acte lui enlèvera sa nouvelle identité de Captain America, qui ne lui appartenait pas de toute façon.
Le poids du passé sur les épaules d’un héros Afro-Américain
Même si Steve Rogers lui a légué le bouclier de Captain America à la fin d’Avengers: Endgame, Sam Wilson, alias le Faucon, ne se sentait pas capable de reprendre le flambeau et le donne aux autorités américaines. Censé trôner au musée Smithsonian, le bouclier sera finalement donné à John Walker, le nouveau Captain America, au mépris de Sam, qui saluait les actions des hommes et des femmes plutôt que ce symbole lourd à porter de l’héritage de Steve.
Sam pensait qu’il devait se refuser à prendre la suite de Captain America en raison de l’aura de Steve et parce qu’il est un homme noir. Le gouvernement américain lui a bien fait comprendre qu’il "avait raison" de douter de lui en choisissant John Walker, un autre homme blanc, un soldat loyal, ultra patriote et plus nerveux que Steve pour récupérer le bouclier.
Malgré tout ce qu’il a fait pour les États-Unis, en tant que para-sauveteur militaire, en tant que vétéran et en tant que Falcon, Sam n’échappe pas au racisme structurel de son pays. Son statut de super-héros et membre des Avengers ne lui permet pas au début de la série d’être cautionné par le gouvernement en tant que Captain America ni même d’obtenir un prêt à la banque pour sa soeur.
Pire encore, Sam se retrouve confronté à une situation tristement courante aux États-Unis, lorsque des officiers de police veulent l’embarquer de force quand ils pensent que Sam veut s’attaquer à Bucky. Même si cette fois, son statut de super-héros lui sauve la peau, cette séquence dans le deuxième épisode fait écho à l’exposition plus forte des violences policières aux Etats-Unis, depuis les meurtres de Breonna Tayor et George Floyd, notamment, qui ont fait grandir le mouvement #BlackLivesMatter.
La trajectoire de Sam dans Falcon et le Soldat de l’Hiver est très actuelle et le héros se pose des questions pertinentes sur ce qu’il est et ce qu’il peut représenter. Malcolm Spellman, le directeur d’écriture de la série, expliquait à AlloCiné que pour mettre en lumière ces problématiques, existantes depuis des décennies, il fallait des personnes concernées au sein du groupe de scénaristes :
"Lorsque vous mettez des personnes noires à des postes créatifs, elles savent très bien de quoi elles parlent. Pas une seule chose ne nous a surpris, pas un seul évènement ne s’était pas déjà produit auparavant. Donc, rien de ce que vous voyez dans la série n’est un accident.
Ce qui s’est passé plus récemment aux États-Unis est une version plus forte et plus criante de ce qui se passe depuis un long moment. Je suis vraiment très fier de notre équipe créative d’avoir pu et su prendre cette place et d’avoir conçu quelque chose de très pertinent et de très actuel."
Les scénaristes se sont réappropriés l’histoire de Sam et mettent en premier plan un héros Afro-Américain qui prend enfin la place qu’il mérite, chose rare dans le MCU, mais sûrement davantage possible depuis le succès du film Black Panther. Le fait que Sam reprenne le nom, le costume et l’aura de Captain America est hautement symbolique et synonyme d’un optimisme bienvenu.
Quelle place pour les super-héros ?
La place des super-héros dans le monde du MCU a souvent été questionnée dans les films et ce, dès l’apparition du premier d’entre eux, Steve Rogers alias Captain America. Ce super soldat patriote avec un grand sens du sacrifice verra ses idéaux détruits lorsqu’il reviendra dans le monde moderne. Les complots du SHIELD et les menaces d’HYDRA vont remettre en question ses principes et sa confiance envers les institutions de pouvoir alors qu’il a été créé comme une figure contre le régime nazi.
Le point de non retour pour les super-héros du MCU, et en particulier Steve Rogers, reste la question des Accords de Sokovie pour lequel les Avengers se battent dans Captain America : Civil War. Être à la solde des gouvernements afin de remplir certaines missions avec prudence ou être libre de ses mouvements quitte à mettre en danger des milliers de vies ?
Le gouvernement n’a eu aucune pitié avec les super-héros Marvel puisqu’ils n’ont pas hésité à enfermer Clint Barton (Jeremy Renner), Wanda Maximoff (Elizabeth Olsen), Scott Lang (Paul Rudd) et Sam Wilson au Raft, la prison sous-marine, à la fin de Civil War avant que Captain America ne les libère et que la moitié d’entre eux ne soit en cavale. Mais avec Falcon et le Soldat de l’Hiver, on apprend bien pire.
La série a remis en lumière un super-héros afro-américain abusé, maltraité et effacé par le gouvernement américain. Ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale, Isaiah Bradley (Carl Lumbly) a été choisi par l’armée américaine pour recevoir le sérum et devenir un Super Soldat afin de combattre le régime Nazi.
Considéré comme le Captain America Noir, il a pourtant été jugé et incarcéré pour s’être engagé dans une mission suicide afin de sauver ses compagnons d’armes faits prisonniers, contre les ordres. Il a ensuite été soumis pendant des décennies à des tests par des scientifiques qui cherchaient la formule du sérum et fait passer pour mort.
Avec ce nouvel éclairage concernant ce héros vivant désormais avec son petit-fils Eli (Elijah Richardson), Sam ressent d’autant plus la pression de l’héritage de Steve surtout quand Isaiah, souffrant de ce qu’il a vécu, lui dit qu’"ils ne laisseront jamais un homme noir devenir Captain America". Il poursuit en clamant que "de toute façon, jamais un homme noir qui se respecte ne voudrait le devenir".
Mais Sam finit par embrasser sa destinée et à s’entraîner avec le bouclier auprès des siens. Tout ça sous l’oeil bienveillant de Bucky, qui avoue n’avoir pas pris en compte le poids que représentait ce bouclier pour un homme noir. Steve et Bucky ont une centaine d’années et ont longtemps été cryogénisés, ils n’avaient pas conscience du racisme structurel présent aux États-Unis.
Et Falcon devient Captain America
Cette saison de Falcon et le Soldat de l’Hiver met en scène deux sidekicks qui s’extirpent enfin du poids de Steve Rogers et deviennent leurs propres héros. Bucky s’affranchit de son passé meurtrier et suit un chemin nécessaire de rédemption tandis que Sam s’autorise enfin à prendre une plus grande place et à être le super-héros au centre de l’attention.
Et c’est bien ce super-héros Afro-Américain qui prend le pas, son nom placé en premier dans le titre de la série n’étant pas anodin. Dans l’épisode final, le titre Falcon et le Soldat de l’Hiver devient finalement Captain America et le Soldat de l’Hiver après que Sam livre un discours percutant auprès des concitoyens qui appelle à l’unité et non à la division, qui gangrène de plus en plus les États-Unis, notamment sur les questions raciales :
"Je suis un homme noir qui porte le costume étoilé. Qu’est-ce que je ne comprends pas ? Quand je le mets, je sais que des millions de gens vont me haïr. Même maintenant, ici, je le sens. Les regards, les jugements. Et je ne peux rien y faire. Mais je suis toujours là. Je n’ai pas de super sérum, ni les cheveux blonds, ni les yeux bleus. Le seul pouvoir que j’ai, c’est de croire que nous pouvons faire mieux."
Malgré son ouverture d’esprit et son héroïsme exemplaire, Steve Rogers était un homme du passé et ce n’est pas pour rien s’il est retourné auprès de Peggy Carter à la fin d’Avengers : Endgame. Sam, lui, est un homme du présent, conscient de la réalité, des obstacles et des siècles de lutte et il est capable de faire bouger les lignes, malgré les critiques, pour faire mieux contre les divisions politiques et sociales qui cristallisent le pays.
Déjà prêt à être le grand acteur du changement, Sam va faire un premier geste historique en réhabilitant l’existence et l’honneur d’Isaiah Bradley au musée Smithsonian via une statue et une exposition lui rendant hommage ainsi qu’à ses compagnons qui ont servi pendant la Seconde Guerre mondiale et qui ont subi la même chose que lui avant d’en mourir. Cette action de Sam est une première à l’édifice du changement qui peut s’opérer pour que l’Amérique puisse faire face à son passé.
Jamais une oeuvre du MCU n’a été aussi proche du réel et Falcon et le Soldat de l’Hiver sonne comme un renouveau pour cet univers en propulsant une relève diversifiée avec des parcours différents et importants auxquels plus de personnes pourront s’identifier. La représentation, notamment dans la pop culture, est importante pour les jeunes et moins jeunes qui grandissent avec ce genre de films et séries.
Anthony Mackie avait d’ailleurs témoigné pour Vanity Fair l’année dernière de l’impact de cette nouvelle identité de Captain America en racontant la joie de son fils et la compréhension de cet arc narratif important après avoir vu Avengers : Endgame : "Il m’a appelé une semaine après [avoir vu le film au cinéma, ndlr] pour me dire ‘Papa, tu es Captain America, c’est génial, je suis fier de toi’. Et j’ai pleuré".
En tant que Captain America, Sam devient une figure unique et inspirante non seulement pour les Afro-Américains mais aussi pour toutes les personnes issues des minorités comme son allié Joaquin Torres (Danny Ramirez), personnage hispanique destiné à devenir le nouveau Falcon si le MCU suit les comics.
La phase IV du MCU s’ouvre à plus de personnages issus des minorités et compte offrir plus de représentations dans le futur, à l’image du film Captain America 4, avec Anthony Mackie, et de Shang-Chi (Simu Liu), dont le film Shang-Chi et la Légende des Dix Anneaux est attendu le 1er septembre 2021 dans les salles obscures.