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    Bertrand Tavernier : notre rencontre avec le cinéaste pour sa série sur le cinéma français

    Alors que Bertrand Tavernier s'est éteint aujourd'hui à l'âge de 79 ans, retour sur notre dernière rencontre avec ce réalisateur d'exception, cet amoureux du cinéma français, qu'il avait exploré avec passion dans une ambitieuse série documentaire.

    Etienne George

    Bertrand Tavernier, célèbre réalisateur de Coup de Torchon, du Juge et l'Assassin ou encore de Quai d'Orsay, lauréat de 5 César, s'est éteint aujourd'hui à l'âge de 79 ans. Véritable amoureux du cinéma français, il avait consacré les dernières années de sa belle carrière à en raconter l'histoire, d'abord à travers un long métrage de plus de 3 heures, présenté à Cannes en 2016, puis dans une série documentaire en 8 épisodes. 

    En octobre 2017, lors du Festival Lumière de Lyon, nous avions eu la chance de le rencontrer pour évoquer avec lui cette encyclopédie filmée du cinéma français...

    (Propos recueillis par Léa Bodin)

    Voyage à travers le cinéma français
    Voyage à travers le cinéma français
    Sortie : 12 octobre 2016 | 3h 21min
    De Bertrand Tavernier
    Avec Bertrand Tavernier, André Marcon, Thierry Frémaux
    Presse
    3,9
    Spectateurs
    4,1
    Streaming

    AlloCiné : Pourquoi ce choix, comme c'était le cas au début du film Voyage à travers le cinéma français, d'introduire chaque épisode par cette phrase : "Imaginez que vous êtes au cinéma" ?

    Bertrand Tavernier : C'est une phrase qui a été trouvée par mon monteur et on l'avait mise dans le long métrage. Il l'avait trouvée dans un film et je pense que c'est une idée de génie qu'il a eue. Quand on a fait la série, on s'est dit qu'il fallait la garder, et les gens nous ont tous dit que ça reliait la série au film.

    On a aussi gardé le même générique pour créer une sorte d'habitude. C'est une phrase extraite du merveilleux film d'Henri Decoin Les Amoureux sont seuls au monde et c'est la voix de Louis Jouvet. Le film vient d'être restauré et va être distribué par Pathé. 

    Etienne George

    Pourquoi avoir voulu commencer le premier des deux épisodes consacré à vos cinéastes de chevet par Henri Grémillon ?

    J'ai présenté le film dans beaucoup de cinéma et beaucoup de pays étrangers et tout le monde parlait des cinéastes que je ne citais pas. Je n'avais pas pu les placer. Je me suis dit qu'il fallait que je commence en incluant des cinéastes qui étaient très importants pour moi et dont je n'avais pas pu parler dans le film.

    J'ai choisi tout de suite Ophüls et Grémillon, car dans les grands cinéastes que j'adore, c'est l'un des plus méconnus. Il n'y a presque pas de livres sur lui, pas d'interviews. Or, Grémillon était un cinéaste très intéressant. J'ai aussi voulu inclure Henri Decoin, qui est un de mes cinéastes préférés et dont on ne parle jamais, qui commence tout juste à être apprécié à sa juste valeur.

    Pathé Distribution

    La porte d'entrée qui me plaisait avec ces deux réalisateurs, c'était aussi la musique. Grémillon a composé, beaucoup, je commence par une musique qu'il a écrite. J'espère pouvoir exaucer ce rêve qui est qu'on finisse par trouver un financement qui permette d'enregistrer une douzaine ou une quinzaine de films français qui n'ont jamais été enregistrés en disques.

    Chez Grémillon, les musiques de Roland Manuel pour Remorques, pour Le Ciel est à vous, n'ont même pas été enregistrées ! Aux Etats-Unis, on a tout enregistré ! En France, la musique préférée de Martin Scorsese, celle des Orgueilleux composée par Paul Misraki, n'a même pas eu des 45 tours. C'est le désert. Decoin, c'est la même chose, il a travaillé avec Henri Dutilleux. Dans un de ces derniers films, Maléfices, il fait appel à Pierre Henry, pape de la musique concrète. La musique de Razzia sur la chnouf aussi était super !

    L'idée, c'est de se demander comment on peut entrer dans l'univers d'un cinéaste par la porte de la musique, et c'est quelque chose qui ne semble pas du tout intéresser les critiques. 

    DR

    Vous avez gardé la même approche très personnelle que sur le film, cela vous donne une grande liberté. Vous faite par exemple ce rapprochement très étonnant entre Tati et Bresson, c'était cette liberté qui vous intéressait avant tout ?

    Oui, c'est ce qui a motivé mon choix. Ca me permet de choisir les films que je veux. Je ne suis pas critique, je ne suis pas historien, ce qui m'intéresse c'est de faire un film de metteur en scène, de faire des choix dramatiques et d'être libre vis à vis de ces choix.

    Je ne prétends pas avoir raison, mais je cherche une porte d'entrée qui soit la mienne et qui me permet de ne pas redire ce qui a été dit. Par exemple, je trouve intéressant dans la partie sur Pagnol de parler de beaucoup de films sauf de la trilogie, qui a été super commentée. Ca me permet aussi par exemple de mélanger Tati et Bresson, et de montrer qu'ils ont des recherches qui sont identiques sur le son, et sur la démarche, sur l'importance des gestes. Et là, ça devient un travail de metteur en scène : quand les bruits de pas se répondent, ça me donne un montage formidable !

    Ca m'intéresse aussi de dire, Les Dames du Bois de Boulogne, est-ce que ce n'est pas un film sur la mise en scène ? Et si le personnage de Maria Casares représentait le metteur en scène ? Je trouve ça plus intéressant que de raconter de manière chronologique la vie et la carrière de Bresson ! D'ailleurs, le témoignage de Maria Casares a l'air d'appuyer plutôt cette théorie. 

    Etienne George

    Vous avez en commun avec Quentin Tarantino que lorsqu'on vous lance sur un réalisateur, plus rien ne vous arrête, ça part sur un autre, puis sur un autre, etc. Est-ce que vous pourriez envisager de faire une série documentaire ou un film où il s'agirait de voyages croisés entre vos deux visions, du cinéma français par exemple ? 

    Cela m'amuserait de croiser les points de vue avec Scorsese ou avec Tarantino. Avec Scorsese, j'aimerais bien faire un truc croisé sur le cinéma anglais, ça m'intéresserait. Je pense que j'ai une très bonne connaissance du cinéma anglais, et un amour pour ce cinéma. Scorsese et moi on partageait le même amour pour Michael Powell, moi ayant été le premier à l'interviewer. Lui, il louait carrément ses films en 16 mm.

    Tarantino, j'adorerais travailler avec lui, mais d'abord il boufferait toute la place (rires) et je ne sais pas, sur le cinéma français, si c'est son grand point fort. Après avoir vu mon film, il a quand même dit à Thierry qu'il n'avait jamais vu un film de Sautet de sa vie, qu'il allait tous les prendre. Becker non plus il ne connaissait pas, alors qu'il connaissait tous les films de Melville formidablement. Je pense qu'il y a des tas de cinéastes français qu'il ne maîtrise pas, sans parler des cinéastes méconnus comme Henri Calef, Pierre Chenal, Jean Boyer, où là, on est carrément dans une province reculée de la Chine !

    Retrouvez la bande-annonce du film "Voyage à travers le cinéma français" : 

     

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