"Zack Snyder's Justice League" est disponible sur les plateformes de VOD à l'achat dès le 18 mars. Et à partir du 31 en location.
Le 4 octobre 2010, Christopher Nolan travaille sur le troisième et dernier volet de sa trilogie autour de Batman. Spider-Man s'apprête à se réinventer sous les traits d'Andrew Garfield. Et le Marvel Cinematic Universe (MCU) n'est pas encore la machine de guerre que l'on connaît aujourd'hui. Mais les super-héros ont déjà reconquis le public et les producteurs, et c'est le jour que la Warner choisit pour confier à Zack Snyder les rênes de son reboot des aventures de Superman.
Quelques années après avoir refusé Superman Returns, craignant de ne pas avoir les épaules suffisamment larges, le réalisateur de 300 et Watchmen ne laisse pas passer sa seconde chance. Battu par Brandon Routh pendant le casting du film de Bryan Singer, puis recalé pour les rôles principaux de Batman Begins et Casino Royale, Henry Cavill enfile enfin la cape du super-héros DC aux côtés d'Amy Adams, Michael Shannon, Russell Crowe et Kevin Costner. Et le long métrage, intitulé Man of Steel, se pose dans les salles mondiales à partir de la mi-juin 2013.
Épique et stylisé, le film rapporte 668 millions de dollars à travers le globe. Et si la surenchère du combat final divise les spectateurs, le résultat séduit la majorité du public. Mêlant les thématiques super-héroïques et mythologiques de Watchmen et 300, avec un soupçon d'imagerie religieuse au moment de présenter le natif de Krypton comme le sauveur de l'humanité, Zack Snyder offre un vrai nouveau souffle à l'icône de DC. Et c'est tout naturellement que la Warner lui renouvelle sa confiance en lui offrant les commandes de la suite, officialisée quelques jours avant la sortie de Man of Steel.
Comme le réalisateur le révèle quelques semaines plus tard au Comic-Con de San Diego, devant un public en transe, la suite mettra aux prises Batman et Superman, en s'inspirant notamment du comic book "The Dark Knight Returns" de Frank Miller. Pour les fans, il s'agit de la concrétisation d'un projet qui remonte à plusieurs années mais n'avait abouti qu'à un easter egg amusant dans Je suis une légende. Sauf que quelques-uns d'entre eux vont déchanter au mois d'août : alors qu'une rumeur a parlé d'une approche de Christian Bale pour un retour, c'est Ben Affleck qui est choisi pour être le nouvel Homme Chauve-Souris.
A JUSTICE LEAGUE OF THEIR OWN
Avant d'en arriver là, les choses n'ont pas été faciles : après avoir refusé de réaliser Man of Steel (ce qui a fait les affaires de… Zack Snyder), il a décliné par deux fois le rôle de Batman avant de se raviser. Et il tient bon face au flot de critiques et autres pétitions en tous genres qui fleurissent sur la Toile lorsque son choix est rendu officiel. Soutenu par ses prédécesseurs, Ben Affleck s'est même engagé pour plusieurs films. Dont Justice League, autre serpent de mer hollywoodien sur lequel George Miller s'était cassé les dents quelques années plus tôt, à cause de la grève des scénaristes de 2008 et d'un budget prévisionnel jugé trop élevé.
Sans doute motivée par le succès stratosphérique des Avengers de Marvel, la Warner avait en effet relancé le projet en juin 2012, en le confiant au scénariste Will Beall (Gangster Squad). Alors que la sortie de Man of Steel approchait, il se murmurait même que le studio était prêt à en offrir les commandes à Zack Snyder, si les résultats de son reboot étaient bons. 668 millions de billets verts plus tard, le réalisateur s'empare officiellement des rênes de Justice League le 27 avril 2014.
Alors en pleine préparation du tournage de Batman v Superman, il apparaît plus que jamais comme l'homme fort et l'architecte de l'univers connecté de DC, régulièrement appelé DC Extended Universe, concurrent du MCU au box-office.
Le modus operandi ne sera toutefois pas le même, puisqu'il est d'abord question de rassembler les super-héros avant de leur offrir des films solo, et non l'inverse comme chez Marvel. Outre l'Homme Chauve-Souris et le Natif de Krypton, Wonder Woman est vite annoncée sous les traits de Gal Gadot, tandis que Flash (Ezra Miller), Aquaman (Jason Momoa) et le méconnu Cyborg (Ray Fisher) sont également attendus dès Batman v Superman, pour des apparitions plus ou moins longues, alors que le film est repoussé de 2015 à 2016.
On parle alors d'un scénario plus long que prévu à boucler, d'une envie d'esquiver les mastodontes Avengers 2, Terminator Genisys et Jurassic World, mais également d'une volonté d'enchaîner ce tournage et celui de Justice League. Et c'est là que les choses vont commencer à se corser.
Car les prises de vues de Justice League débutent le 11 avril 2016, quelques jours après la sortie mondiale de Batman v Superman, sous-titré L'Aube de la Justice. Une fois de plus, le style et l'ambition de Zack Snyder impressionnent, au même titre que les thèmes et le propos qu'il développe. Mais le final tombe, une fois de plus, dans la surenchère. Et le récit donne trop souvent l'impression de précipiter la mise en place de l'univers connecté DC. La version longue éditée en vidéo aidera à corriger ce défaut et réhabiliter le film, en le rendant plus digeste et cohérent notamment, mais trop tard.
Les 873,6 millions de dollars engrangés dans le monde en font pourtant l'un des succès de 2016, mais ce n'est pas assez pour les producteurs, qui visaient le milliard dont Marvel est alors devenu coutumier. Si la maladresse de la résolution liée au fait que les mères de Bruce Wayne et Clark Kent portent le même prénom est critiquée (voire moquée), les producteurs semblent davantage réceptifs aux comparaisons entre leur univers partagé et celui de leur concurrent principal.
Et notamment sur le manque d'humour reproché par quelques blogueurs américains. Dévoilé par surprise pendant le Comic-Con de San Diego alors que les prises de vues sont en cours, le premier teaser de Justice League apporte un premier élément de réponse en faisant la part belle à la légéreté.
Charcuté en post-production, pour se rapprocher davantage des Gardiens de la Galaxie ou de Deadpool dans le ton, Suicide Squad fait lui aussi les frais de ce changement de stratégie que Geoff Johns, président de DC Entertainment, confirme dans les pages du Wall Street Journal en septembre 2016 : "Par le passé, le studio a commis une erreur : penser que les films DC étaient sombres et réalistes et que c'est ce qui les rendaient différents. Or c'est faux. Il s'agit en réalité d'une vision optimiste et pleine d'espoir de la vie (…) Nous sommes actuellement en train de regarder attentivement tout ça afin de rester fidèles aux personnages." Quelques jours plus tard, le patron de Time Warner Jeff Bewkes persiste et signe : "Les personnages de l’univers DC (…) ont sans doute un peu plus de légèreté en eux que ce que vous avez vu dans les films précédents."
CHAOS REIGNS
Si Patty Jenkins se verra contrainte de changer le combat final de son film, Wonder Woman n'est pas affecté par ce virage annoncé. Justice League va, en revanche, être davantage impacté. À l'époque, bien sûr, rien ne transparaît derrière les photos et rumeurs qui l'entourent. Mais les coulisses sont houleuses et la vision de Zack Snyder se heurte aux nouvelles directives du studio, qui souhaite plus de légéreté et une durée plus réduite que celle de Batman v Superman.
D'abord envisagé comme un dyptique, le projet est d'ailleurs ramené à un seul film avec une option pour une suite… que le cinéaste ne souhaite visiblement pas diriger, comme l'indique un bruit de couloir né sur le forum 4chan.
La volonté de s'écarter de l'univers DC au profit de projets plus modestes est alors évoquée. Avec le recul et les informations que nous avons apprises depuis, tout porte à croire qu'il n'y avait pas de fumée sans feu. En l'occurrence celui allumé par Kevin Tsujihara, alors président de la Warner, lorsqu'il a imposé les présences sur le plateau de Geoff Johns et Jon Berg, co-responsable des productions du studio, pour surveiller celui en qui il a de moins en moins confiance. Deux hommes qui, comme Ray Fisher le révèlera en 2020, ont eu un comportement odieux, au même titre que Joss Whedon, engagé pour aider Zack Snyder à peaufiner et alléger son montage.
("La manière dont Joss Whedon a traité le casting et l'équipe technique de Justice League sur le plateau était répugnante, abusive, non-professionnelle et totalement inacceptable. Tout cela lui a été permis, de bien des façons, par Geoff Johns et Jon Berg. Les responsabilités sont plus importante que le divertissement.")
Contrairement à ce que disait la version officielle, le metteur en scène de Justice League a bien travaillé avec celui des Avengers, qui développait alors un film autour de Batgirl : "J'ai pensé qu'il pourrait écrire des scènes cool", explique Zack Snyder à Vanity Fair en 2021. "J'ai pensé que ce serait amusant." Mais non. Imposé par la production, Joss Whedon voit son pouvoir grandir de jour en jour, à tel point qu'il ne lui est pas seulement demandé de scénariser de nouvelles séquences mais également de les diriger.
Confronté au suicide de sa fille survenu au mois de mars, quelques jours avant la mise en ligne de la nouvelle bande-annonce, l'instigateur du DC Extended Universe ne parvient plus à se consacrer à son travail, devenu source de douleur plus que de soulagement, et il se retire avec son épouse Déborah le 22 mai.
Le producteur Toby Emmerich officialise alors la reprise en main du projet par Joss Whedon, tout en précisant qu'il n'aura que très peu de scènes à tourner. Sauf que non. Car ce sont deux mois de prises de vues additionnelles qui attendent les comédiens. Et notamment Ray Fisher, dont la partition en Cyborg doit être rendue plus légère, mais qui vit un tournage pesant à cause du nouveau réalisateur, dont il dénoncera par la suite le comportement et les libertés qui lui avaient été laissées. Une enquête a été ouverte suite à ces accusations, et l'acteur est depuis en conflit ouvert avec Walter Hamada, président de DC Films qui aurait tenté d'interférer pendant les investigations, ce qui lui a notamment coûté sa place au casting du film consacré à Flash, prévu pour 2022.
Présentée au Comic-Con de San Diego de 2017, la nouvelle bande-annonce (ci-dessus) fait naître quelques inquiétudes chez les fans, face aux changements qu'ils y aperçoivent. A commencer par ce ciel nocturne devenu rouge dans ce qui semble être le climax du film. Et tandis que Danny Elfman remplace Junkie XL à la musique, et que la durée de deux heures se confirme, il se murmure que Lex Luthor (Jesse Eisenberg) aurait été coupé au montage alors que la fin aurait été changée pour faire de Steppenwolf (Ciaran Hinds) le seul méchant de l'histoire, là où le tyran Darkseid devait apparaître à la fin du récit pour faire comprendre aux héros qu'une autre menace pesait sur eux. Comme si la Warner mettait un frein aux plans de Snyder pour une éventuelle suite.
Autant dire que la confiance n'est pas de mise lorsque le long métrage sort à la mi-novembre. Et les craintes se confirment. Officiellement signé Zack Snyder (Joss Whedon n'est crédité que comme co-scénariste), le long métrage tente en vain de marier deux styles qui n'ont rien à voir l'un avec l'autre. Avec ses 120 minutes au compteur, générique de fin compris, Justice League se révèle moins long qu'une comédie de Judd Apatow alors que son programme est plus chargé.
Il doit en effet faire peser une nouvelle menace sur un monde orphelin de Superman, raconter l'alliance de super-héros et nous présenter certains d'entre eux. Tout ceci demande du temps, mais le (pas si) long métrage semble moins décidé à le prendre qu'à alléger artificiellement l'ambiance originale et copier ce qui se fait chez le voisin.
Avec ces intrigues qui fusent, plus que Flash, Justice League ne nous laisse pas le temps de respirer. Pas plus qu'au récit, qui se met à moins ressembler à un film qu'au multiplexe de Ligue 1 de football, où l'on passe d'une scène à la suivante de la même manière que les commentateurs vont d'un terrain à l'autre. Mais ce qui marche dans le cadre d'une retransmission sportive ne fonctionne pas du tout sur grand écran.
Surtout quand le projet de base se veut aussi épique et convoque des notions mythologiques dans son histoire de super-héros. Sans pour autant être la pire production du genre, car quelques fulgurances subsistent, le résultat se révèle être un vrai cas d'école. Une "créature de Frankenstein", pour reprendre les propos de Zack Snyder qui assiste, de loin, à la débâcle.
Endeuillé et dépossédé de son œuvre, le réalisateur n'a jamais vu le film sorti en salles, sur les bons conseils de Christopher Nolan, crédité comme producteur. Mais il a eu vent des différents changements. Grâce notamment à son chef opérateur Fabian Wagner, qui avoue en août 2019 avoir pleuré en découvrant le résultat. Descendu en flèche par la critique et le public, il ne rapporte que 658 millions de dollars de recettes dans le monde.
Soit à peine la moitié de ce qu'Avengers avait engrangé cinq ans plus tôt. Pire : là où le succès d'Iron Man et consorts avait validé la stratégie de Marvel, l'échec cinglant de Justice League fait s'écrouler celle de DC. Et d'aucuns diront qu'ils l'ont bien cherché.
Plutôt que de soutenir leur réalisateur au moment de son deuil et de repousser la sortie pour bien faire les choses, les pontes de la Warner ont maintenu sa sortie fin 2017 pour que les résultats entrent dans leurs dividendes, n'étant pas assurés d'être encore en poste l'année suivante. D'où cette décision de bâcler le film (et de réduire sa durée pour maximiser le nombre de séances par jour, et faciliter un éventuel retour sur investissement) qui s'incarne parfaitement dans la moustache d'Henry Cavill. Ou plutôt celle que le comédien porte sur le tournage de Mission Impossible - Fallout lorsqu'on le rappelle pour des reshoots dans le costume de Superman.
Pour Paramount, le studio derrière les Mission Impossible, il est hors de question que le Britannique se rase, ce qui conduit la Warner à prendre une décision parmi les plus lunaires vues ces dernières années : laisser à Henry Cavill sa moustache sur le tournage, pour ensuite l'effacer numériquement. Assurément une fausse bonne idée tant cela se voit à l'écran et créé un sentiment de malaise, tout autant qu'il permet au public de distinguer quelles scènes avec Superman sont le fruit des reshoots.
L'icône de DC devient alors le symbole d'un ratage aux allures de film hybride, tiraillé entre deux ambitions. Mais comme le natif de Krypton, le film de Zack Snyder va lui aussi ressusciter, mais cela va prendre du temps.
LA LÉGENDE DU SNYDER CUT
Dès la sortie du long métrage, les spectateurs affichent à la fois leur déception (voire leur énervement) et leur envie de voir le montage original. Très vite, un mot-dièse fait son apparition sur les réseaux sociaux : #ReleaseTheSnyderCut. Le slogan d'un mouvement qui demande à la Warner de rattraper le coup et qui, contrairement à ce que l'on pouvait imaginer à l'époque, ne faiblit pas au fil des ans. Bien au contraire même, puisqu'il revient régulièrement. Parfois de façon positive et bienveillante, comme lorsque quelques 250 000 dollars à destination de la Fondation Américaine de Prévention contre le Suicide sont collectés en 2020.
Parfois moins, lorsqu'une frange plus toxique des fans s'en prend aux détracteurs du réalisateur (journaliste ou non) et harcèle systématiquement toute personne affiliée à Warner ou DC dès qu'elle poste la moindre chose sur les réseaux sociaux, et pousse certains d'entre eux à fermer leurs comptes. Il faut dire qu'une véritable partie de poker menteur se joue autour de ce Snyder Cut aux atours légendaires, avec des sons de cloche qui divergent.
Certains nient purement et simplement son existence, prétextant que Zack Snyder avait quitté le projet bien trop tôt. Mais pour d'autres (et notamment des gens qui ont travaillé dessus), elle est réelle et dort dans un coffre fort de la Warner. Et certains vont même jusqu'à affirmer qu'elle serait terminée et exploitable, ou presque, comme le prouvent les scènes coupées qui fuitent en ligne, dont celle au cours de laquelle Barry Allen sauve Iris West (Kiersey Clemons).
De son côté, le principal intéressé tease régulièrement sa vision avec des déclarations et des concept arts postés sur le réseau social Vero, nourrissant un peu plus les regrets des spectateurs qui ne perdent cependant pas espoir. Mais le réalisateur se refuse de statuer : un jour, son porte-parole annonce qu'il ne veut pas entendre parler de director's cut ; et un autre, il affirme qu'elle existe mais ne devrait pas être exploitée car elle ne lui appartient pas. En réalité, le cinéaste est en position de force, comme il l'a récemment révélé à Vanity Fair.
Au moment de quitter les bureaux de la Warner, Zack Snyder emporte avec lui un disque dur sur lequel se trouve un montage brut et en noir et blanc de son bébé. "Nous voulions juste le montrer aux gens qui passaient chez nous, et notamment nos amis", se justifie-t-il. Dont les acteurs ? Ray Fisher et Jason Momoa soutiennent en effet le mouvement, qui va même jusqu'à s'afficher sur Times Square, et ils sont rejoints par Gal Gadot et Ben Affleck le 17 novembre 2019, au moment des deux ans de la sortie du long métrage.
S'agit-il d'une manière pour eux de fêter ce triste anniversaire, ou quelque chose se trame-t-il en coulisses alors que la plateforme de streaming HBO Max va avoir besoin d'un produit d'appel fort pour son lancement ? Les fans ne le savent alors pas, mais c'est bien la deuxième option qui constitue la bonne réponse, car la Warner revient vers le réalisateur dès le lendemain des messages. "Beaucoup des membres de la société, et je m'inclus dedans, se sont toujours sentis mal vis-à-vis du fait que Zack n'ait pu achever sa vision du film à cause des circonstances", explique Toby Emmerich. "Donc s'il y avait une façon de rendre la chose possible, techniquement et financièrement (…), et que Zack exprimait la volonté de le faire, ce serait une victoire pour tout le monde."
Je préférais que le Snyder Cut reste aussi mythique qu'une licorne
Une victoire qui va se jouer au bras de fer, car la Warner propose d'abord de mettre en ligne le montage brut, sans le retoucher. Sans succès : "Je leur ai répondu que c'était non, un grand non", raconte Zack Snyder. "Et pour trois raisons : premièrement, ça vous permettrait d'avoir la paix vis-à-vis d'internet, et c'est sans doute la principale raison qui vous pousse à faire cela. Deuxièmement, ça vous donnera l'impression d'avoir bien fait les choses à un certain niveau. Et troisièmement, vous aurez une version merdique du film que vous pourrez montrer en disant 'Vous voyez ? Ça n'est pas si bien. Peut-être que nous avions raison.' Il n'y avait pas moyen. Je préférais que le Snyder Cut reste aussi mythique qu'une licorne."
Voyant là une chance de se réapproprier son film, le réalisateur tient bon. Et il finit par obtenir gain de cause sous la forme d'une enveloppe de 70 millions de dollars (et non 30 comme initialement annoncé), afin de terminer le montage, les effets spéciaux et la musique, et faire un peu de post-synchronisation.
Et l'annonce tant attendue a enfin lieu le 20 mai 2020, à l'issue d'une projection en ligne de Man of Steel avec Henry Cavill en guest : lorsqu'une fan lui pose "la mère de toutes les questions" autour de l'existence et la possibilité de voir son montage de Justice League, Zack Snyder répond, enfin, par l'affirmative avec un visuel officialisant son arrivée sur HBO Max en 2021.
Quelques jours auparavant, un vent d'optimisme s'était remis à souffler. Car plusieurs sites anglo-saxons laissaient entendre qu'une bonne nouvelle était imminente, et semblaient déjà s'excuser pour le scepticisme dont ils avaient fait preuve. Et pas seulement les "scoopers" qui ne cessaient d'affirmer l'existence du Snyder Cut sans qu'il n'y ait rien de concret, puisque des médias plus sérieux entrent dans la danse. Laquelle va durer de nombreux mois, puisque ce Justice League nouveau ne manquera pas une occasion de faire parler de lui.
Après un teaser qui préfigure le retour au montage du méchant Darkseid (Ray Porter), c'est un héros ressuscité, Superman, qui occupe le cœur du premier extrait dévoilé en juillet. Avec le costume noir qui est celui de sa renaissance dans les comic books, et que la Warner avait refusé à Zack Snyder au moment du tournage. Le réalisateur étant adepte du symbole, le choix de ces images ne peut-être anodin, tant elles incarnent sa revanche et sa réappropriation du projet.
Pour bien marquer ce retour aux commandes, il ne manque d'ailleurs pas l'occasion de préciser que ce nouveau montage sera entièrement constitué d'images qu'il a lui-même tournées et jure que jamais il n'utilisera la moindre scène mise en boîte par quelqu'un d'autre que lui (à savoir Joss Whedon, qu'il ne cite jamais ouvertement). Si une séquence du montage de 2017 devait se retrouver dans le sien, c'est tout simplement parce qu'il en est l'auteur initial.
Et il profite de l'exposition offerte par le DC FanDome du mois d'août, équivalent du Comic-Con, en ligne et 100% DC, pour enfoncer le clou et dévoiler une bande-annonce pleine d'espoir.
Là encore, tout est question de symbole. Surtout dans le choix de la chanson qui illustre les images : une reprise du "Hallelujah" de Leonard Cohen par Allison Crowe, amie de la famille qui l'avait chantée aux funérailles d'Autumn Snyder, à qui le film est dédié, et dont c'était la chanson préférée. Comme une manière d'appuyer le côté cathartique de ce montage, tout autant que la métaphore religieuse qui entoure Superman depuis Man of Steel. Et, bien sûr, le miracle de voir cette version enfin exister.
Mais la route qui nous mène à sa sortie est encore longue, et elle passe notamment par des reshoots fin 2020. Lesquels soulèvent quelques questions par rapport au véritable taux de complétion du film, alors que des rumeurs annoncent un retour de tout le casting. Ce qui n'est pas tout à fait vrai. Au final, Ben Affleck et Ray Fisher font partie des heureux élus, au même titre que Joe Manganiello (vu en Deathstroke dans la scène post-générique de 2017 et qui devait être le méchant du Batman réalisé par Affleck avant l'abandon du projet) ou… Jared Leto.
En Joker version Suicide Squad, qui n'apparaissait même pas dans Birds of Prey et dont la Warner semblait vouloir se détourner, comme l'a également montré le projet plus indé porté par Joaquin Phoenix. Le retour de cet autre banni est-il, pour Zack Snyder, un moyen de réapproprier non pas le film mais tout l'univers dans lequel il s'inscrivait et dont Justice League devait être la clé de voûte en même temps que le premier volet d'une trilogie ? Car la séquence dans laquelle il apparaît fait écho à l'un des passages les plus mémorables de Batman v Superman, qu'il prolonge comme s'il avait une idée derrière la tête.
IT'S ALIVE !
A l'arrivée, seules deux nouvelles scènes proviennent des reshoots, et elles se trouvent dans l'épilogue du récit découpé en six chapitres. Et il convient bien de distinguer ce Justice League de la version longue de Batman v Superman, aérée grâce à quelques ajouts. Ici, l'histoire reste la même (l'alliance des plus grands super-héros de DC pour sauver la planète), mais la façon de la raconter change. Plus épique et homérique, le long métrage respire davantage et sa durée totale de 4h02, générique compris, lui offre un meilleur rythme et l'aide à gagner en cohérence. Sans moustache effacée numériquement mais avec, toujours, ces images très graphiques que l'on croirait issues d'un comic book.
Il n'y a peut-être pas autant de changements qu'annoncés, mais ils sont significatifs car ils approfondissent les personnages (Cyborg compris, qui en devient le cœur émotionnel) et font de ce Justice League un vrai cas d'école. Sur la manière dont l'ingérence d'un studio peut entraver une vision singulière. Ou la façon dont le montage peut détruire une histoire, ou donner à des images un tout autre sens en les sortant de leur contexte et de la scène à laquelles elles appartenaient initialement.
Alors que les studios et univers partagés prennent souvent le pas, un réalisateur parvient ici à se réapproprier son travail après en avoir été dépossédé, et ses discours sur la mort, le deuil et la renaissance lui donnent un aspect métatextuel en dressant des parallèles avec son histoire personnelle. Toujours dans l'interview donnée à Vanity Fair, le réalisateur annonce même qu'il avait tourné deux versions de certaines scènes (avec l'humour qu'il lui était demandé d'insuffler et sans), en espérant obtenir gain de cause auprès des producteurs dans un second temps.
Non contentes d'appuyer le changement dans le rapport de force, celles-ci permettent également à son Cut d'être finalement plus proche de son ambition initiale, même si le résultat garde encore des traces des compromis qu'il a dus faire après la sortie de Batman v Superman.
Et maintenant ? Le 22 mai 2020, dans la foulée de la grande annonce, la Warner précise que, même terminé, le projet restera sans suite. Et qu'aucun reshoot ne sera accordé au réalisateur. Le studio a depuis changé son fusil d'épaule sur ce dernier point (peut-être parce que Snyder a demandé à ne pas être payé pour ces trois jours de prises de vues additionnelles), ce qui risque de donner de nouveaux espoirs à beaucoup, alors qu'un #RestoreTheSnyderVerse militant pour la renaissance de l'univers chapeauté par le cinéaste a récemment repris de l'ampleur.
Le 18 mars, jour de son arrivée sur les plateformes mondiales, ce pourrait bien être la fin de l'aventure de Zack Snyder chez DC, qui s'est officiellement réorganisé en multivers audiovisuel, permettant aux séries de cohabiter avec le Joker de Todd Phillips, le futur Batman de Matt Reeves et Robert Pattinson et les héros qu'il a mis en scène. Notamment ceux joués par Ben Affleck et Henry Cavill, dont l'avenir paraît flou.
Au vu des scènes qu'il a obtenues de rajouter, et comme il nous le confirme en interview, le cinéaste ne ferme pas complètement la porte et laisse la balle dans le camp du studio. Et s'il y a un projet avec lequel rien ne semble impossible, c'est bien sa Justice League.