Dévoilé au Festival de Cannes 2018, Les Chatouilles a remporté de nombreux prix, donc les Césars de la Meilleure adaptation et de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Karin Viard. Tiré de la pièce de théâtre à succès d'Andréa Bescond et Eric Métayer, le film raconte l'histoire d'Odette, huit ans.
Elle aime danser et dessiner. Pourquoi se méfierait-elle d’un ami de ses parents qui lui propose de « jouer aux chatouilles » ? Adulte, Odette danse sa colère, libère sa parole et embrasse la vie...
Andréa Bescond s'est inspirée de sa propre expérience pour sa pièce puis son adaptation au cinéma. La comédienne et réalisatrice a été victime d'abus sexuels de la part d'un ami de sa famille quand elle était enfant.
Devenue adulte, elle parvient à libérer sa parole pour combattre la pédocriminalité aux côtés de son compagnon Eric Métayer.
Depuis, d'autres voix se sont élevées pour dénoncer des violences sexuelles sur mineures, notamment Vanessa Springora, à travers son livre, Le Consentement. Plus récemment, c'est Camille Kouchner qui libérait sa parole au sujet des agressions subies dans sa famille via un ouvrage choc : La Familia Grande.
Les Chatouilles est donc on ne peut plus d'actualité. Nous avions rencontré les metteurs en scène Andréa Bescond et Eric Métayer lors du Festival de Cannes 2018, pour discuter de ce sujet délicat et brûlant.
"On se disait que si la pièce était un succès, si elle marchait à Paris, si on avait un Molière... on pourrait réaliser ça. Et puis François Kraus et Denis Pineau-Valencienne, les producteurs, sont venus à Avignon voir la pièce et ça a tout changé", confie Andréa Bescond.
Le but c'était d'envisager le film sous l'angle de la vie, de la reconstruction, la réparation.
Ils ont eu un vrai choc quand ils ont vu la pièce Les Chatouilles ou la danse de la colère. "Pour François Kraus et Denis Pineau-Valencienne, il fallait en parler de ce sujet. C'est sûr que c'est dangereux, pas facile mais il faut faire valoir cette parole. La forme théâtrale de la pièce a également convaincu les producteurs qu'un scénario de film était possible", explique Eric Métayer.
Pour Andréa Bescond, le but était d'envisager le film sous l'angle de la vie, de la reconstruction, la réparation. "On ne voulait pas occulter le côté comique de certaines situations, de la maladresse humaine", affirme-t-elle.
"Il fallait créer cette balance et ancrer le film dans la vie. En faire une chose uniquement dramatique ne donnait pas l'impression d'être du côté de la vie... on ne voulait pas dire aux gens "souffrez avec elle, regardez comme c'est difficile"", ajoute la réalisatrice.
Je prône énormément la libération de la parole.
Selon Andréa Bescond, pour parvenir à libérer sa parole, il faut surmonter son traumatisme. "Je n'ai pas toujours dit ça, il y a des fois où j'étais très très mal quand je jouais le spectacle par exemple. Mais avec Eric, on a vécu cette épreuve ensemble, on a chuté, on s'est relevés...
Et à partir du moment où j'ai révélé que la pièce était très largement inspirée de mon histoire, les planètes se sont alignées et j'allais beaucoup mieux. C'est pour ça que je prône énormément la libération de la parole", déclare la cinéaste.
Dans le film, Cyril Mairesse interprète Odette. Andréa Bescond et Eric Métayer ont tout fait pour préserver la jeune actrice des moments difficiles de l'histoire. "Cyrille a des parents merveilleux qui l'ont protégée, énormément expliqué les choses.
Il ont participé à lui faire comprendre qu'il y avait un combat, un enjeu important. Il y aussi la magie du cinéma. On pouvait jouer avec les champs contre-champs et éviter ainsi que Cyrille ne soit présente pour certaines scènes", explique Métayer.
La pédo-criminalité touche tous les milieux sociaux, chez les riches, les pauvres, toutes les religions.
Pour le duo de cinéastes, la pédocriminalité n'est pas uniquement liée au milieu artistique. "Cela touche tous les milieux, il ne faut pas uniquement se focaliser sur le milieu artistique en voyant partout des dégénérés, des pervers. Il y a aussi de nombreux cas dans des petits villages impliquant des notables qui n'ont strictement rien à voir avec le milieu artistique", dénonce le réalisateur.
Selon Andréa Bescond, la pédo-criminalité est présente dans tous les milieux sociaux, chez les riches, les pauvres, toutes les religions...
"On peut se planquer derrière n'importe quelle religion, il y a une racine de la violence chez l'être humain ; et il faut revenir à ça et comprendre pourquoi ça s'interprète après de cette manière. Pourquoi quelqu'un devient auteur de violences sexuelles ? Je suis intimement convaincue que tout vient de l'enfance.
Cela concerne tout le monde, d'où l'importance de la prévention, de faire confiance à ses enfants, de leur dire que leur intimité leur appartient, que personne n'a le droit de les toucher au niveau de la culotte, que leurs parties intimes n'appartiennent qu'à eux.
On peut se planquer derrière n'importe quelle religion, il y a une racine de la violence chez l'être humain.
Il y a des caresses interdites, même entre enfants d'ailleurs. Il faut aussi faire attention aux écrans car les enfant sont confrontés à toutes sortes d'images. Parfois, ils voient des choses qu'ils ne devraient pas voir et reproduisent des choses qu'ils ne devraient pas reproduire.
On a une vraie responsabilité et on est très très en retard à ce niveau-là. Il faut vraiment qu'on ouvre les yeux sur la manière de communiquer autour de la violence en règle générale et notamment les violences sexuelles", indique la réalisatrice.
Il va falloir trouver des solutions pour essayer d'éradiquer le fléau qu'est la pédophilie.
"Depuis le temps des romains, la pédophilie existe, ainsi que la sexualité débridée", déplore Eric Métayer. "Mais cela n'était pas visible, on n'en parlait moins. Les choses se faisaient à couvert. Mai 68 a changé la donne en disant : "la sexualité on peut en parler, on peut la montrer"", précise-t-il.
"Simone de Beauvoir a même signé un manifeste qui prônait les relations sexuelles avec des enfants... La pédophilie existe depuis toujours... on communique plus maintenant à ce propos mais ça ne veut pas dire qu'on trouve des solutions.
Mais on peut au moins communiquer, dénoncer, c'est déjà pas mal, chaque chose en son temps. Maintenant, il va falloir trouver des solutions pour essayer d'éradiquer ce fléau", conclut la combative Andréa Bescond.