Une "chute en plein vol". C'est de cette façon que Nicolas Maury résume la sortie de son premier long métrage, Garçon Chiffon. Comme tant d'autres, le film est brutalement privé de spectateurs suite à la fermeture des salles, entrée en vigueur depuis le 29 octobre 2020 à minuit. Plusieurs mois sont passés, les portes des cinémas restent closes, pourtant l'Académie des César a dévoilé, ce mercredi 10 février 2021, la liste complète des nominations en vue de la 46e cérémonie. Le nom de Nicolas Maury figure parmi les nommés pour le César du meilleur premier film. Une vitrine non négligeable pour cette œuvre sensible injustement amputée du grand écran. À cette occasion, AlloCiné s'est entretenu avec le cinéaste pour recueillir ses impressions.
AlloCiné : Cette question est simple, pourtant inévitable, mais quelle a été votre réaction à l'annonce des nommés ?
Nicolas Maury : C'est un peu bizarre, j'avais oublié que c'était le jour des César. En ce moment, je traverse des moments personnels un peu difficiles, je me suis donc levé très tard ce matin. J'ai eu Monica Donati au téléphone, mon attachée de presse que j'adore, et elle m'a dit : "Nous y sommes !" Je ne savais même pas de quoi elle parlait. Puis j'ai reçu des messages, notamment de mon agent, Jean-François Gabard. C'était un réveil joyeux, avec cette neige et ce soleil mêlés, même si je ne suis pas très coutumier de cette idée des récompenses. C'est quelque chose en moi qui résiste.
Anne Sylvestre, la chanteuse qui apparaît dans mon film, dit souvent : "N'importe quel artiste veut être incomparable." Et ce n'est pas de la prétention. Mais c'est beau de se sentir regardé. D'ailleurs, la nomination m'intéresse plus que le résultat. En tout cas, plus que d’être élu parmi les autres, même si c'est déjà une sélection puisque d'autres films n'y figurent pas. Aujourd'hui, et plus que jamais, on a besoin de se sentir en équipe. J'espère que cette époque va nous ralentir sur cette idée d’enchevêtrement, de mettre les films les uns contre les autres. C'est peut-être utopique mais en tout cas cela crée un double sentiment en moi. C'est presque une rigueur morale et politique.
Le film est sorti dans une période chaotique. Cette nomination est aussi l'occasion de le mettre en lumière...
Tout à fait. J'essaye de filtrer tout ce désastre qui est arrivé. J'ai dû, pendant les derniers mois, sortir d'une énergie de fatalité. J'en ai profité pour écrire mon deuxième long métrage, ça m'a servi à ça. Mon premier film à moi, il est sorti, puis il est rerentré. Aller à la rencontre du public dans les salles, et j'insiste vraiment sur les salles, c'est le vrai chemin du cinéma. Ce chemin, je me sens triste qu'il ait été à ce point chahuté. J'ai eu Régine Vial, ma distributrice des Films du Losange, juste avant vous, et elle m'a dit que tous les films sortis le 28 octobre dernier reprendront là où ils en étaient. Donc il va ressortir mon Chiffon. Il va être baigné de cette lumière, de cette visibilité de nomination.
Je ne rejoins pas du tout les paroles de Mathieu Kassovitz. Je les lui laisse ses propos !
Vous avez beaucoup pris la parole sur la fermeture des salles, notamment sur votre compte Instagram.
C'est vrai que j'ai un peu personnifié, à la fois malgré moi mais aussi de façon consciente, cette chute en plein vol. Je ne rejoins pas du tout les paroles de Mathieu Kassovitz. Je les lui laisse ses propos ! C'est bien facile pour lui de dire ça sur le plateau de BFM TV. J'avais d'ailleurs été invité ce jour-là, avant qu'ils ne l'invitent, et j'aurais dit l’exacte inverse de ce qu'a dit ce monsieur. J'ai trouvé ça tellement… Il dit que le milieu est égocentrique, mais c'est lui que j'ai trouvé très égocentrique et très peu éclairé en ayant ce discours, surtout à ce moment-là. Je trouve ça vraiment facile pour quelqu'un qui a fait plusieurs films de dire que "Netflix est le devenir du monde". C'est horrible de penser ça. Les salles font vivre tellement de personnes.
Je ne vais pas généraliser les discours. J'avais besoin de dire aux gens, et pas tellement au gouvernement, qu'une société, une ville, une cité sans salle, c'est cruel. Il y a les bars et les restaurants, mais aussi les cinémas. C'est un rendez-vous très important. C'est un endroit de réparation.
Vous me disiez à l'instant que vous écriviez votre second long métrage ?
Tout est en chemin. Ce qui est intéressant, c'est qu'il est déjà formulé dans ma tête. S'il n'y avait pas eu cette COVID-19, j'aurais eu un très beau chemin avec Garçon Chiffon. Il y a tout de même eu Toronto et Cannes. Mais il aurait fallu, quoi qu'il arrive, se poser la question du deuxième film et là, je me suis posé beaucoup de questions avant de poser les premières lettres. Mais ça y est, il y a le début de quelque chose.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 10 février 2021.
Découvrez la bande-annonce de "Garçon chiffon" :
Et la bande originale, composée par O - Olivier Marguerit :