AlloCiné : Vous avez un lien particulier avec Yann Gonzalez, le réalisateur d'Un couteau dans le coeur. C'est votre second long métrage avec lui. Comment l'avez-vous rencontré ?
Nicolas Maury, comédien : Je ne le savais pas, mais il était dans la salle quand je jouais L'Eveil du printemps de Frank Wedekind, au Théâtre de la Colline. Une très belle pièce mise en scène par Guillaume Vincent. Je jouais un adolescent qui s'appelle Moritz, qui avait 14 ans et qui se rendait compte que la sexualité n'était pas faite pour lui. Il y avait un long monologue et mettait fin à ses jours, et revenait d'entre les morts.
Si je vous raconte ça, c'est parce que Yann [Gonzalez] me connaissait de loin en loin dans des seconds rôles, des apparitions, mais là il a eu un choc de me voir sur un plateau de théâtre et il m'a écrit une longue lettre accolée à la proposition pour Les Rencontres d'après minuit [le premier long métrage de Yann Gonzalez, Ndlr.]. Déjà, cette lettre, avant même de lire le scénario, je me suis dit : c'est l'auteur que j'attendais secrètement.
C'est l'auteur que j'attendais secrètement
Pour moi, ce personnage [de Moritz] était très important dans ma vie. Il m'a permis de quitter ma peau d'adolescent, et il l'a vu. J'ai lu le scénario des Rencontres d'après-minuit : c'était tellement radical, tellement fou… Donc on ne s'est pas rencontrés par l'amitié ou parce que l'on se connaissait d'il y a longtemps. On a un rapport qui n'est fait que de cinéma, dans le sens poétique du terme et le plus reliant entre les êtres.
Quand il m'a proposé Un couteau dans le coeur, c'était à nouveau une lettre, avec un scénario. J'étais bouleversé, d'autant plus à l'idée de retrouver Kate Moran, et puis Vanessa Paradis qui était vraiment le plus beau cadeau que l'on puisse me faire de me donner ce rôle à ses côtés.
Qu'est-ce que représentait pour vous Vanessa Paradis ?
Vanessa est une femme très surprenante, très douce, très pleine, très océanique. Je pense qu'on n'en a pas fini de la découvrir. C'est une humaine extraordinaire. Souvent, les acteurs peuvent dire ça en promo de leurs partenaires, ça fait un peu Bisounours. Mais là, je vous assure, je l'aime depuis que j'ai 7 ans.
Il fallait que je taise le feu que j'avais en moi quand on s'est vus pour déjeuner un jour, Vanessa, Yann et moi. Quand elle est arrivée et qu'elle m'a pris dans les bras, et qu'elle a parlé de mon travail, c'était totalement le monde à l'envers pour moi ! J'ai vu tous ses concerts depuis que j'ai 7 ans. Je m'étais fait des pattes d'eph comme elle quand j'avais 13 ans et qu'elle faisait sa tournée Natural High Tour. C'est mon idole.
Il fallait que je taise le feu que j'avais en moi !
Finalement, mon travail le plus grand sur le film était : comment faire pour arriver à travailler. J'ai dû vraiment la rendre abstraite bizarrement, parce que c'est vrai qu'elle est tellement matiérée, elle est faite de nos rêves et nos fantasmes. Elle est ce qu'elle représente, on a grandi avec. On en a des idées, des images, et à la fois, d'un sourire, d'une attention, d'une politesse, elle va tout envoyer valser parce qu'elle est quand même peut être la partenaire la plus à l'écoute, la plus attentionnée, la plus en demande, limite de conseils, mais ce ne sont pas des conseils, la plus concrète qu'il m'ait été donné de travailler avec. Donc c'est une rencontre, non pas qui dépasse mes rêves, car on ne peut pas dépasser ses rêves, mais qui vient enrichir mes rêves que j'ai d'elle.
Vanessa Paradis m'a vraiment aidé à me construire, sans le savoir
Elle m'a vraiment aidé à me construire, sans le savoir. Secrètement, je me disais toujours : je pense qu'elle le verra un jour. C'est fou car je n'ai pas d'autres personnes comme ça dans ma vie. Même là de vous en parler, il y a quelque chose d'irréel. J'avais vraiment un lien très fort. C'était un secret mais là, ça ne peut plus l'être !
J'aime beaucoup ce que vous apportez au personnage dans Un couteau dans le coeur. Vous y apportez une forme de comédie, notamment avec certains des dialogues que l'on peut entendre dans la bande-annonce. Comment l'avez-vous abordé ?
Pendant qu'on le fait, on ne peut pas rire de soi-même. Mais je sentais bien que ça faisait vraiment rire l'équipe. Dès que je rentrais dans la peau d'Archibald, j'étais vraiment quelqu'un, comme un chien, sans être péjoratif, qui n'avait qu'une idée en tête.
Archibald sent bien qu'il y a un désastre autour, qu'il faut tenir la boutique, et il est premier degré. En même temps, il se dit : il faut en passer par les blagues, par l'humour, comme un équilibriste par rapport à tout ce qu'il se passe de trash et de désastreux.
Yann Gonzalez voulait que quelque chose se passe, que je prenne le rôle comme un chorégraphe
J'aimais beaucoup ce rire salvateur qu'il a en lui. Plus concrètement, je sentais que Yann était gourmand de moi. Quand je dirige les garçons, quand il y en a un qui m'envoie un slip sur la tête, je sentais qu'il laissait tourner la caméra… Il voulait que quelque chose se passe, que je prenne le rôle comme un chorégraphe, comme un coach. Parfois il rigolait sur les prises. Il y avait beaucoup de joie à faire ça.
Mais il n'y a pas que ça, il y a aussi des moments, dans mon personnage, plus doux, plus pastel. Des moments plus feutrés pendant lesquels il montre qu'il sera là pour elle quoi qu'il arrive, qu'il sera là pour l'aider. J'y mettais beaucoup de moi-même.
Un rôle qui vous a rendu extrêmement populaire sans doute, c'est Dix pour cent. Avez-vous senti un avant et un après ? C'est une série, ça rentre vraiment dans les foyers, et l'accueil critique et public a été enthousiaste…
Oui, ce qui est très rare aujourd'hui. On a eu très peu de critiques négatives. C'est vrai que pour mon personnage d'Hervé, j'ai senti un changement dès les premiers jours de diffusion, dans mon quartier, à la caisse, etc. Ça m'émeut beaucoup. La chaine m'a fait part des retours des jeunes aussi, dans les collèges, les lycées, ou je reçois des choses sur Instagram, ce qui est super comme outil finalement. Des gens se passent des répliques, qui imitent Hervé à leur façon, c'est devenu comme un trait de BD pour certains.
Des gens se passent des répliques, imitent Hervé à leur façon
J'ai vécu ça effectivement comme un avant / après, parce que beaucoup de gens m'arrêtent, me parlent de ça. Ça ne me gêne pas du tout, au contraire. J'en suis très fier. Je vais tourner un film que j'ai écrit, et je sens que ça permet aussi, dans des endroits de financement, d'avoir un nom plus lisible, qu'il y a quelque chose de moins cinéma d'auteur que j'adore, qui est vraiment mon essence même.
Que pouvez-vous nous dire sur la saison 3 de Dix pour cent ?
Le réalisateur Marc Fitoussi nous a rejoint pour la saison 3. Elle va être vraiment formidable. L'écriture est incroyable et je sens que mon personnage a un effet de levier, qu'il est très attendu. C'est super beau de sentir ça quand on joue. Ça met une grande pression, il ne faut pas rater les scènes, et à la fois, il faut se laisser faire. Hervé, ce n'est pas du tout moi, mais Hervé en sait plus que moi sur ce qu'il a à jouer. Ça fait un peu chamanique ! Et parfois, je dis aux réalisateurs, et ça les fait rire : « non, mais Hervé, il est plus là ! ». (rires) Parfois, je le perds. Et on me dit : « ne t'inquiète pas, il est bien là ». Je suis très fier de ce personnage.
Ça me permet de montrer à la télé un corps peut être moins "réalisme social". Et pourtant, il existe. Il y en a plein qui me disent : « oh, ça me fait penser à mon meilleur ami ; ça me fait penser à quelqu'un que j'ai rencontré ». Ce n'est pas non plus quelqu'un de foufou. Et c'est quelqu'un de beaucoup plus jeune que moi.
Que va-t-il se passer avec votre personnage ?
Je pensais -et c'est souvent ce qu'on me disait- qu'on aimerait aller vers l'intimité d'Hervé, là où il habite… J'ai demandé très tôt à Fanny Herrero (showrunneuse de la série) et à Dominique Besnehard (l'un des producteurs et initateurs de la série) : est-ce qu'on ne pourrait pas lui créer une histoire d'amour ? Même une histoire d'amour qui ne marche pas. En tout cas, quelque chose qui le dévoile un peu par ailleurs que le travail. Et j'ai été gâté !
Ça va être un Hervé un peu nouveau, très touchant
Ça va être un Hervé un peu nouveau, très touchant. J'ai eu de très beaux retours de ceux qui ont pu voir les épisodes. C'était un vrai pari. Il a un coup de foudre pour un jeune acteur et il se passe des choses assez dures. Ça enrichit beaucoup le personnage qui va être amené à se poser beaucoup de questions. C'est la saison des éclatements, à la fois un peu apocalyptique et qui annonce une saison 4 du requestionnement, de la révolution chez chacun.
Dans vos choix d'acteur, vous n'allez pas forcément où l'on vous attend. On a pu avoir la surprise de vous découvrir dans Les Tuche 3 par exemple cette année...
C'est radical aussi d'aller dans Les Tuche 3 pour moi. C'est justement décloisonner le côté hype ou je ne sais quoi, ça ce n'est pas mon problème. Mon problème, c'est de sentir déjà un endroit où je suis désiré, et d'aller vers mon danger. Ce n'est pas forcément un danger spectaculaire. C'est en cela que l'acteur est auteur. On a tellement peu d'occasions d'être auteur, puisqu'on est choisi, mais l'endroit où l'on peut choisir, c'est par exemple d'aller là où l'on ne vous attend pas.
Aller dans les Tuche, c'est justement décloisonner le côté hype ou je ne sais quoi, ça ce n'est pas mon problème
Comment justement vous êtes-vous retrouvé sur Les Tuche 3 ?
C'est Olivier Baroux, le réalisateur qui comme tous les autres réalisateurs-auteurs avec qui j'ai travaillé m'a appelé en me disant : "on ne se connaît pas, c'est Olivier Baroux des Tuche". J'ai crû que c'était une blague. "Je fais Les Tuche 3. J'ai envie de mettre votre humour en avant". Je me suis dit qu'il allait m'apprendre des choses. Je ne veux pas être en roue libre avec les gens que je connais.
C'est ça la noblesse d'un acteur, c'est cette faculté (...) à se fondre dans des univers forts
Il m'a fait cette proposition hyper touchante, on s'est vus dans un café, sans avoir lu le scénario, et je lui ai dit oui. Ce que j'aimais bien, c'est que je joue un hétéro ! C'est bien, de temps en temps! Non, mais je rigole un peu, mais je trouve ça super. Je suis hyper fier de faire ça, ou de faire un clip avec Bertrand Mandico, ou de faire Dix pour cent, ou de faire le film de Yann Gonzalez. C'est ça la noblesse d'un acteur, c'est cette faculté, sans jugement de morale, sans jugement trop esthétique, à se fondre dans des univers forts. Les Tuche 3, c'est un univers très fort.
Vous évoquiez plus tôt le fait que vous aviez écrit un film que vous allez réaliser. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Je jouerai dedans aussi. C'est une comédie très écrite. Le titre est un peu provisoire, mais pour le moment, ça s'appelle Le beau personnage. Je suis très inspiré par les premiers longs métrages de Nanni Moretti, qui en profitait pour se filmer lui-même. Il filmait l'Italie de l'époque, cette société-là. Avec une gourmandise de parole, de situations. Filmer ses contemporains. C'est vraiment cette veine de cinéma, mêlée aux comédies des années 90, comme Noémie Lvovsky, Sophie Fillières avec qui j'ai co-écrit ce film. J'ai co-écrit avec Maud Ameline, qui est une superbe scénariste. Elle fait que des films intéressants, je trouve.
C'est dans une veine très classique de films d'apprentissage. Sauf que normalement, on le ferait avec quelqu'un qui a 14-15 ans, ou 25 ans, bon là, j'en ai un petit peu plus ! Je suis un peu un grand enfant ! Il est question d'un été de désastres, d'échecs. Le personnage va voir sa mère, voir son amoureux, comme il ne les a jamais vus. Quelque chose va déclencher la parole, et il va reprendre sa rentrée, car souvent quand on est acteur, il y a une rentrée aussi. Il y a des saisons au théâtre ou au cinéma ou en télé, qui vont de septembre à juin. Comment affronter cette rentrée ? Et puis, au travers d'un rôle, qui sera l'éveil du printemps, Moritz va construire quelque chose de lui-même.
Ça peut paraître un peu triste, mais en fait, c'est très drôle ! J'ai vraiment envie que les gens se marrent, de faire une comédie très glamour, très belle, comme on n'en fait plus trop, où l'on se dit : tiens, mais c'est beau Paris ! Avec une belle image, et à la fois très sensible. Ça sera entre Paris et le Limousin, qui est ma région d'origine. Le film est en financement. Je vais être en casting dans les semaines qui arrivent. J'ai écrit pour une actrice en particulier qui est très prise, qui n'a pas lu les dernières versions donc je ne peux pas en parler, mais elle avait dit oui lors des premières lectures.
La bande-annonce d'Un couteau dans le coeur :