De sa première apparition au cinéma en 1998, dans Ceux qui m'aiment prendront le train de Patrice Chéreau, à Garçon chiffon, sa première réalisation, Nicolas Maury a su imposer sa singularité. Au-delà d'une fragilité et d'une élégance naturelle, l'acteur et réalisateur est une force tranquille. C'est sans doute ce beau mélange qui a séduit le public, sur grand écran mais aussi à la télévision avec Dix pour cent, série à succès diffusée sur France 2 et dans laquelle il incarne l'un des héros principaux. Avec ce premier long métrage en tant que cinéaste, il raconte l'histoire de Jérémie, un comédien d'une trentaine d'années qui peine à étouffer sa jalousie maladive. Perdu sur le plan sentimental et professionnel, il décide de retourner chez sa mère, dans le Limousin.
Surtout, ne lui parlez pas d'autobiographie. Garçon chiffon, labellisé Cannes 2020 et présenté en compétition au Festival du film francophone d'Angoulême, reste avant tout une pure fiction. "Quand on est acteur, on signe son interprétation, donc c'est forcément personnel. Pour autant, il ne s'agit pas là de ma vie, insiste-t-il. Je brouille les pistes : je filme le Limousin, qui est ma terre natale, mais je la fantasme aussi. Je filme une relation mère-fils, mais c'est une somme de tout ce que j'ai entendu dans ma vie." Cette mère, justement, appelée Bernadette dans le film, est interprétée par Nathalie Baye. C'est elle qui le surnomme Chiffon.
Je voulais filmer un jaloux, sans que ce soit moral ou un défaut
L'expression "garçon chiffon" désigne l'existence d'un être imparfait, c'est le cas de Jérémie qui lutte contre sa jalousie. "C'est le centre de mon film, explique Nicolas Maury, qui partage ce trait de caractère avec son personnage. Ma vie ne me semble pas passionnante, mais il y a finalement peu de personnages comme Jérémie au cinéma. Je voulais filmer un jaloux, sans que ce soit moral ou un défaut, mais plutôt comme une intranquillité, un état chiffon du monde."
À l'écran, deux acteurs gravitent à ses côtés : Théo Christine - qui se glissera dans la peau de Joeystarr pour le biopic sur NTM, intitulé Suprêmes et réalisé par Audrey Estrougo - et Arnaud Valois - révélé dans 120 battements par minute de Robin Campillo en 2017. Pour le premier, c'est la différence entre son personnage, Kévin, et Jérémie qui l'a séduit : "Ils vont se trouver et il va en ressortir quelque chose de beau. Un lien est créé par le biais de ces différences. C'est un message important." Pour Arnaud Valois, "il s'est passé quelque chose de très fort dès le premier essai". "Il n'y en a eu qu'un. Un moment qu'il ne voulait pas répéter. J'étais décontenancé", se souvient-il. Mais l'acteur raconte aussi avoir ri "à toutes les pages" du scénario.
Ce long métrage, né durant l'été 2011, un "été de désastre" pour l'auteur, accorde une importance particulière aux dialogues. "Mon envie de cinéaste passe par là, précise-t-il. On dit souvent qu'il faut un sujet, un fait de société pour faire un film, mais n'oublions pas que nous sommes l'art du dialogue à la française. Ce n'est pas fait pour les cochons." C'est comme cela qu'il offre de beaux et grands moments à Nathalie Baye, mais aussi une tirade endiablée à Laure Calamy le temps d'une séquence mémorable.
D'une grande liberté, Garçon chiffon s'attèle également à déconstruire les codes de la masculinité. Pour autant, le réalisateur ajoute qu'il ne veut pas "la combattre". "Je trouve ça très mystérieux un garçon et encore plus un homme, confie-t-il. Ce film, c'est une réflexion sur la recherche des hommes perdus. J'aime me dire qu'on devrait avoir le choix d'être plusieurs hommes dans nos vies." Arnaud Valois, lui, rajoute que cette histoire apporte "de nouvelles propositions sur ce que c'est que d'être un homme aujourd'hui." Cette obsession, Nicolas Maury compte bien la cultiver. S'il exprime son désir de filmer Isabelle Adjani dans un futur proche, il annonce également qu'il compte bien "poursuivre ce chemin vers les hommes" dans son prochain film.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Angoulême, en août 2020.
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