AlloCiné : La saison 2 de "Docteur Foster" allait très loin. TF1 et les auteurs d'"Infidèle" ont fait le choix de ne pas l'adapter. Est-ce que vous comprenez pourquoi et est-ce que vous y avez adhéré tout de suite ?
Claire Keim : Je peux comprendre que la saison 2 de la BBC ait pu effrayer les producteurs, qui trouvaient qu'on perdait un peu les personnages et qu'on finissait par tous les détester. Moi, ça me plaisait beaucoup mais j'étais tout à fait capable d'entendre que d'autres décisions avaient été prises. Cet "incendie géant" en fin de la saison 1 était puissant et on pouvait amener la suite à plein d'endroits différents. Je ne m'attendais pas à ce que l'on soit encore dans le chaos, je pensais qu'on jouerait avec le temps et qu'une guerre plus froide encore renaîtrait. Finalement, un peu de temps a passé mais rien n'est rêglé, pas même la garde de Luigi. Je pensais qu'on retrouverait Emma plus forte mais elle est toujours en reconstruction en réalité et ça c'est intéressant. Elle essaye de se réapproprier son corps, son désir, son estime de soi. Elle est tellement centrée sur elle-même qu'elle ne percute pas sur le mauvais virage qu'est en train de prendre son fils. J'ai abordé cette saison 2 comme Emma, en me prenant une sorte de boing 747 sur la tête !
On découvre quand même une Emma plus libérée et épanouie, il y a des scènes de sexe sensuelles et pas vulgaires, on montre une héroïne désirée et désirante, qui mène la danse, comme rarement dans les fictions de prime-time à la télévision française...
La fiction française a souvent un petit temps de retard sur la société et tout ce qui se passe en ce moment commence seulement à avoir une répercussion sur la façon d'écrire les personnages féminins. Une journaliste me disait récemment qu'Emma "se comportait comme un mec" dans cette saison 2 mais pourquoi faudrait-il comparer une femme qui décide de prendre les choses en main et d'assumer son désir à un homme ? Je trouve au contraire qu'elle va davantage vers qui elle est en tant que femme. Elle a modelé sa vie sur de l'argile, pour être parfaite en toutes circonstances, en tant que mère, épouse et médecin. Cette image qu'elle a d'elle-même vole en éclats avec tout ce qui lui arrive en saison 1 et désormais, elle prend le parti d'être celle qu'elle a toujours été ou qu'elle a toujours voulu être au fond. Je ne sais pas si on peut parler de féminisme mais on ne peut plus écrire un personnage féminin qui ne soit pas en conquête d'elle-même. On va toutes vers ça et c'était important de le raconter.
L'amitié entre Emma et Gwen (Vanessa David) est d'ailleurs extrêmement intéressante de ce point de vue car elle est complexe, rugueuse, encore plus dans la saison 2...
On avait des points de vue complètement différents avec Vanessa quand on s'est retrouvées et qu'on a commencé à débriefer nos scènes. C'était génial car on était dans la vérité des personnages. De mon point de vue, je ne pouvais pas lui pardonner ce qu'elle m'avait fait, il y avait quelque chose de cassé qui ne pouvait pas s'oublier, tandis qu'elle considérait que leur lien d'amitié était plus fort et qu'Emma était en capacité d'entendre ce que Gwen pouvait lui dire car elle n'était pas dans le jugement. Cet antagonisme était à la fois chez les héroïnes et chez nous et ça nous a amené loin dans nos discussions. Son point de vue m'a nourri.
Est-ce que vous avez compris Emma dans cette saison 2 et l'évolution de son parcours ?
En toute franchise, parfois j'avais du mal à comprendre le mécanisme qui provoquait certaines scènes, et moi, en tant que Claire, je ne comprenais pas toujours ses réactions. Puis j'essayais de me mettre vraiment à sa place, en imaginant que j'avais vécu tout ce qu'elle avait vécu, et là ça s'éclairait. Cette saison 2 était plus compliquée pour moi, je l'avoue. J'avais peur, je n'avais pas le modèle rassurant de la saison 1 de la BBC. On était sans filet. J'avais une énorme pression parce que je ne voulais surtout pas abîmer le personnage qui est si puissant et si bien imaginé par Mike Bartlett (ndlr : le créateur original). Le sentiment que tout m'échappait n'était pas inintéressant au final et a enrichi le personnage d'autre chose.
Avez-vous eu un retour de Mike Bartlett sur la série d'ailleurs ?
Pas de lui directement, mais je sais que ce que la BBC aime dans notre version c'est qu'elle est davantage tournée vers la famille, là où la série originale était plus centrée sur le couple. Emma est beaucoup plus une mère que Gemma, finalement. Gemma était davantage une maîtresse. Mais on a gardé cette atmosphère si particulière qui fait l'identité de la série.
La bande-annonce de la saison 2 d'Infidèle :
Il y a une belle alchimie entre vous et Tom Leeb, et donc entre Emma et Gabriel, son nouvel amant. Comment vous définiriez cette relation qui les unit et l'importance qu'elle a dans le parcours de l'héroïne ?
Ils ne sont pas tout à fait sur la même fréquence au début. Il est très beau et charmant, mais ils n'attendent pas forcément la même chose de cette relation. Emma est dans la reconquête de son désir, et il va l'y aider. Mais la réalité va vitre les rattraper, l'un comme l'autre. Gabriel est un garçon mystérieux, une énigme, et je trouve qu'il le reste jusqu'au bout, même si on découvre ses secrets.
Est-ce que vous considérez que la fin de la saison clôt habilement la série ou est-ce que vous espérez malgré tout une saison 3, sachant que Docteur Foster n'en a pas connu à ce jour ?
J'ai l'impression qu'on est arrivé au bout de quelque chose, mais je suis la première à me laisser surprendre et à aimer ça, donc j'ai envie d'avoir tort. En tout cas, il est possible que ce soit la fin.
Vous venez de démarrer le tournage d'une nouvelle série pour TF1, Renaissances. Est-ce que vous pouvez nous présenter ce projet qui s'annonce très différent d'I"nfidèle" ?
C'est une magnifique histoire et ça fait 5 ans environ que ce projet est en préparation avec le producteur Jean-Benoît Gillig, que j'aime beaucoup, qui était venu me chercher pour Insoupçonnable où je jouais l'épouse de Melvil Poupaud. Il a développé cette série pour moi, c'est du sur-mesure donc c'est très rassurant. C'est une histoire familiale très forte, avec une incursion dans le thriller et le genre. Je vais camper le rôle de Florence, une femme en attente d'une greffe de coeur, qui a une fille adoptive. On raconte les existences de plusieurs personnes qui vont se rejoindre. C'est une série sur l'identité, un thème qui me tient à coeur. J'ai un trac de fou. Je n'avais jamais lu de projet comme ça pour la télévision. J'adore les séries d'OCS, Netflix, Amazon Prime, j'en bouffe toute la journée et toute la nuit. Et en lisant le scénario de Renaissances, j'ai eu pour la première fois le sentiment de toucher aux séries que je regarde et j'ai été émue aux larmes. Avec Infidèle aussi, mais c'était une adaptation. Là c'est une création, on va être les premiers à la raconter. C'est vertigineux et excitant.
Quelles sont vos séries du moment ?
Mes trois séries ultimes, c'est Six Feet Under, Breaking Bad et The Wire. Plus récemment, il y a eu The Leftovers, Sharp Objects, Fleabag; j'ai vu deux fois les 8 saisons de Game Of Thrones, je la mets au-dessus de tout et j'ai l'impression que c'est ma vie, je peux crier "Dracarys" dans les embouteillages sans problème (rires); j'adore Ozark, Handmaid's Tale, Master of None, The Night Of, Big Little Lies, Dark et The Outsider. Je suis fan de Ricky Gervais, notamment After Life. J'ai une liste dans mon téléphone en fait. Je n'aurais jamais assez de toute une vie pour voir tout ce que je voudrais voir ! En ce moment, je suis à fond dans The Boys même si un épisode par semaine c'est vraiment pas assez pour moi, on n'est plus habitués. Upload aussi, qui est géniale. Je suis archi fan de Black Mirror et je vous conseille Electric Dreams dans le même genre, même si c'est un tout petit peu moins bien. Bref, je suis accro aux séries et je ne dors pas beaucoup !