- Frankenweenie est disponible sur Disney+
Avant de donner à Batman ses lettres de noblesses sur grand écran, de lancer un cavalier sans tête aux trousses de Johnny Depp ou de rendre à hommage vibrant à Ed Wood, c'est dans l'animation que Tim Burton a commencé sa carrière, avec une poignée de courts qui ont attiré l'attention de Disney sur lui. Peu en phase avec le ton des films auxquels il collabore, le futur réalisateur de Beetlejuice y connaît une expérience contrastée : si son travail sur Rox & Rouky (1981) se passe plutôt bien, ses concept arts pour Taram et le chaudron magique sont refusés quelques années plus tard. Ce qui n'empêche pas le studio de lui faire confiance en matière de mise en scène et de lui donner sa chance à plusieurs reprises.
Il signe alors deux courts métrages qui se distinguent pour leurs qualités esthétiques et narratives tout autant pour leur aspect personnel : Vincent (1982), histoire animée en stop-motion d'une jeune garçon aux cheveux hirsutes qui, comme Tim Burton, a grandi en regardant des films d'horreur et rêve d'être Vincent Price, star des années 60 qui joue ici les narrateurs et que le cinéaste dirigera dans Edward aux mains d'argent avant sa mort ; et Frankenweenie, récit en prises de vues réelles qui revisite l'un des films cultes du réalisateur, Frankenstein, et raconte comme un enfant sème la pagaille dans le voisinage en ressuscitant son chien mort. Porté par Shelley Duvall, Daniel Stern et l'une des stars montantes de l'époque, Barret Oliver (L'Histoire sans fin), le film devait être projeté en avant-programme lors de la ressortie de Pinocchio en 1984. Mais les projections-test en ont décidé autrement.
Au vu du nombre d'enfants bouleversés par le court métrage malgré son happy end, les studios Disney claquent la porte au nez de Tim Burton, coupable d'avoir gaspillé leurs ressources pour donner naissance à un film bien trop effrayant pour leur cible familiale. Le réalisateur est alors embauché par la Warner, et apprend quelques années plus tard, et à sa grande surprise, que Frankenweenie a été projeté en Australie lors de séances de Brisby et le Secret de Nimh. Car, malgré leur colère, ses anciens patrons ne l'ont pas mis à la poubelle et une version censurée est même éditée en VHS, pour surfer sur la notoriété acquise par leur ancien poulain. Et il faut attendre le début des années 90 pour que les choses s'arrangent, puisque le réalisateur renoue avec eux pour produire et superviser L'Étrange Noël de M. Jack, dont il a imaginé l'histoire et les personnages (l'un d'eux, le chien Spot, apparaît même sur une pierre tombale dans le générique de Frankenweenie). Un long métrage couronné de succès et qui, au moment de sa première exploitation en vidéo, est accompagné de Vincent en guise de bonus. Et c'est tout.
Mais ça n'est que partie remise, car une version non-censurée de Frankenweenie est présente sur l'édition DVD de L'Étrange Noël de M. Jack, premier pas vers une réconciliation en bonne et due forme. En 2007, le réalisateur est annoncé aux commandes de deux projets estampillés Disney : une adaptation d'Alice au pays des merveilles qui devait alors être en performance capture come Le Pôle Express ; et un long métrage adapté de Frankenweenie, animé image par image avant d'être projeté en 3D. Réalisé au sein des studios de la banlieue de Londres qui ont notamment vu naître ses Noces funèbres ou encore le Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson, ce dernier sort dans les salles mondiales à l'automne 2012, et sonne comme une petite revanche et une seconde chance pour son auteur, qui parvient à imposer le noir et blanc et surtout le stop-motion qu'il avait dû sacrifier au profit des prises de vues réelles pendant les années 80, pour des questions de budget.
BURTON CONTRE-ATTAQUE
Contrairement à L'Étrange Noël de M. Jack, signé Henry Selick, ou aux Noces funèbres, co-réalisé avec Mike Johnson, le cinéaste est donc le seul maître à bord de ce triple-retour aux sources. Soit la relecture animée et en noir et blanc du court dans lequel il revisitait le Frankenstein de 1931. Un long métrage qui, comme il l'a plus d'une fois avoué, lui apportait du réconfort quand il était enfant, lui le marginal qui ne se sentait pas à sa place dans la banlieue américaine qu'il a plus d'une fois égratignée sur les écrans, et notamment dans Edward aux mains d'argent, sa version personnelle de… Frankenstein. Co-écrit par Tim Burton et Leonard Ripps, scénariste de l'original, auxquels se joint John August (Big Fish, Charlie et la chocolaterie…), le Frankenweenie de 2012 part du même postulat que son modèle : dévasté par la mort soudaine de son chien Sparky, le jeune Victor Frankenstein décide de faire honneur à son nom et se sert de la science pour tenter de ressusciter celui qui était son meilleur ami. Sans se douter un instant des conséquences que son expérience aura sur son entourage.
Et c'est ensuite que les choses changent et que le long métrage prend de plus en plus d'ampleur. Certes, le budget n'est "que" de 39 millions de dollars, ce qui peut paraître ridicule à côté d'un opus comme Rebelle de Pixar, sorti la même année, et qui en a coûté 185. Mais c'est trente-neuf fois le montant de la somme allouée à l'original. Et on sent que c'est suffisant pour que Tim Burton s'éclate avec, et qu'il peut enfin donner vie au film qu'il avait en tête à l'époque, en multipliant les références à sa propre filmographie (de Sleepy Hollow à Edward aux mains d'argent en passant par Batman) ainsi qu'à tout un pan du cinéma d'horreur classique : un personnage s'appelle Van Helsing, comme la némésis de Dracula ; un autre possède l'apparence de Boris Karloff dans Frankenstein alors qu'une tortue s'appelle Shelley, en hommage à l'auteure du livre dont celui-ci s'inspire ; et Christopher Lee, que le cinéaste a dirigé à plusieurs reprises, apparaît dans la télé des parents du héros, grâce à un extrait du Cauchemar de Dracula. Sans oublier le final.
C'est en effet dans sa seconde moitié que le long métrage se différencie le plus de son modèle. Dans la version de 2012, les expériences de Victor inspirent ses camarades de classe, et il n'est d'ailleurs pas difficile de faire un parallèle avec la situation de Tim Burton, devenu un réalisateur adulé que beaucoup ont tenté de copier, là où il était un marginal trois décennies plus tôt, avec un univers bien trop sombre pour les studios Disney qui l'employaient alors. Toujours est-il que, comme le héros de film d'animation, les autres enfants décident eux aussi de ressusciter leur défunt animal de compagnie, ce qui nous offre un climax aux allures de foire aux monstres, et des clins-d'œil à foison, puisque les créatures renvoient au Loup-Garou, à la Momie à La Fiancée de Frankenstein (déjà évoqué dans le court) ou encore à Godzilla, comme si l'enfance et le panthéon personnel du cinéaste s'animaient sur grand écran. De la même manière que dans Mars Attacks !, Pee-Wee Big Adventure ou certaines scènes de Batman et sa suite, le cinéaste se livre à un véritable jeu de massacre avec l'énergie d'un sale gosse que l'on imagine jubiler à l'idée de pouvoir semer la zizanie pour le compte d'un employeur qui l'avait mis à la porte trente ans plus tôt.
Une décision que les studios Disney ont sans doute regrettée et les retrouvailles ont pris des allures de retour du fils prodigue. Avec, à la clé, un gros succès (Alice au pays des merveilles et son milliard de dollars de recettes en 2010), une relecture de Dumbo dans laquelle Tim Burton envoie quelques petites piques à l'empire de son patron via le méchant incarné par Michael Keaton et son parc d'attractions, et ce Frankenweenie. Sans atteindre les sommets du box-office (81,5 millions de dollars de recettes dans le monde, contre 118 pour Les Nocès funèbres sept ans plus tôt), le résultat est burtonien en diable et ce à tous les niveaux.
Sur le plan visuel déjà, avec l'animation en stop-motion qui a nécessité quelques deux cents marionnettes (dont dix-huit pour le héros et quinze pour son chien Sparky), le noir et blanc qui lui permet de renvoyer un peu plus facilement vers l'expressionnisme allemand et ses angles inquiétants qu'il chérit tant, ou les références évoquées plus haut. Et sur le fond, le long métrage met en scène l'enfant que le cinéaste rêvait d'être, cet amoureux du cinéma d'horreur qui voulait créer des monstres. Ce qui lui a d'ailleurs plus réussi qu'à Victor, comme le prouve notamment cet opus attachant et réjouissant, bourré de détails et qui, s'il pourra impressionner les plus jeunes, reste destiné à toute la famille. Et contrairement à l'original, également disponible sur Disney+, celui-ci n'a pas été caché ou censuré pendant de nombreuses années.