Claude Chabrol était un amoureux des femmes et plus précisément des actrices. Tout au long de sa prolifique carrière, le réalisateur à la pipe a mis en avant les artistes en leur offrant des rôles complexes, magnifiant autant leur beauté que leur jeu de comédienne. Il y a eu la distinguée Stéphane Audran – qui fut aussi son épouse -, la vénéneuse Bernadette Lafont mais aussi la rousse la plus célèbre du cinéma hexagonal, Isabelle Huppert. De 1978 à 2006, " Chacha " a dirigé à sept reprises l’actrice au cinéma. Vingt-huit années de collaboration qui ont vu Huppert camper tour à tour : des meurtrières au sang-froid, une faiseuse d’anges cupide, Emma Bovary, des bourgeoises perverses ou encore une redoutable arnaqueuse.
Dans Rien ne va plus, diffusé ce soir sur Arte, Isabelle Huppert interprète Betty. Face à elle, Michel Serrault est Victor. Ensemble, ils forment un tandem de malfaiteurs rusés. Afin de ne pas se faire attraper par la police, c’est à bord d’un camping-car, qu’ils sillonnent les routes françaises à la recherche de leurs futures riches victimes. Les proies potentielles sont envoûtées par l’énigmatique Betty. Bientôt, le duo va se retrouver mêlé à un blanchiment d’argent lié au dangereux Monsieur K, joué par un Jean-François Balmer en roue libre, qui offre une des scènes les plus jubilatoires du film.
Rien ne va plus est sorti sur les écrans français en octobre 1997, il fait donc partie de la décennie 1990, soit une des périodes les plus réussies de Chabrol. Le long métrage succède à une lignée de films tous aussi brillants les uns que les autres : Madame Bovary, Betty, L’Enfer, La Cérémonie. Le couple formé par Isabelle Huppert et Michel Serrault est la confrontation entre deux acteurs de générations différentes mais qui ont trouvé leur propre synergie. Le film mêle les obsessions du réalisateur : l’arnaque, l’argent et ses dérives, le meurtre… mais avec un zeste d’humour acide en supplément.
Claude Chabrol est décédé le 12 septembre 2010. Lors de l’hommage rendu devant la Cinémathèque française, Isabelle Huppert revenait avec émotion sur sa longue collaboration avec lui : " Travailler avec quelqu'un, c'est une manière de s'aimer. C'est en tout cas une autre manière de se le dire. Je n'ai jamais su pourquoi Claude m'aimait. J'ai su qu'il m’aimait et j'ai senti comment il m'aimait ". Les sept œuvres communes peuvent être perçues comme autant de déclarations d’amour du metteur en scène pour son égérie. C’est à travers l’œil épris du cinéaste, que le public va constater, au fil des décennies, l’étendu du talent de l’actrice. Ils vont devenir l’un comme l’autre des figures populaires du cinéma français. Leur rencontre, l’actrice la comparait très joliment à " une histoire de papillon et d'œil d'entomologiste ". C’est par le prisme de trois autres transformations à travers l’objectif de Chabrol, que peut être observée la métamorphose de la comédienne, de la débutante à l’interprète confirmée et incontestée.
VIOLETTE NOZIERE
1978, l’année de leur premier film ensemble. A cette époque, Claude Chabrol est un réalisateur qui compte depuis la fin des années 1950, il appartient à la génération " Nouvelle vague ". Isabelle Huppert a 25 ans. Jeune comédienne, elle n’est pas une débutante pour autant. Un an auparavant, elle s’est vue pressentie pour recevoir le Prix d’interprétation féminine à Cannes pour le film La Dentellière de Claude Goretta. Elle repartira finalement bredouille mais revient en 1978 donc avec Violette Nozière, réalisé par Chabrol et remporte la statuette. Fasciné par les faits divers, le réalisateur signe le long métrage éponyme qui retrace la vie de l’empoisonneuse Violette Nozière.
Dans les années 1930, cette jeune femme de 18 ans intoxique son père et sa mère à l’aide d’un traitement contre la syphilis. Porteuse du mal, l’adolescente savait qu’à forte dose, le médicament pouvait tuer. Le père décède mais la mère survit. Le Tout-Paris se prend de passion pour cette affaire de double parricide auquel s’ajoute un possible inceste qui est l’argument avancé par la coupable pour justifier son crime. Bien qu’opposée physiquement à la véritable Violette, Huppert se glisse dans la peau du " monstre en jupons " et campe une meurtrière émouvante, victime du patriarcat et de la phallocratie générale. Le béret et son écharpe de fourrure noirs sont les apparats de la tristesse infinie de Violette. Un costume de deuil qui n’est pas destiné à celui de son père mais plutôt à celui de son enfance souillée.
LA CEREMONIE
En 1995, Claude Chabrol réalise sans conteste un de ses plus grands films, La Cérémonie. Il retrouve Isabelle Huppert. Cette fois-ci, elle est entourée par Sandrine Bonnaire, Jean-Pierre Cassel, Jacqueline Bisset et Virginie Ledoyen. Le metteur en scène s’inspire à nouveau d’un fait divers, celui de " l’affaire Papin ". Au cours des sombres années 1930, deux sœurs – Léa et Christine Papin – assassinent leurs patronnes. Une fois encore, cette affaire criminelle passionne les français dans un contexte de luttes ouvrières avec l’essor du communisme. Le dramaturge Jean Genet s’inspira de cette affaire pour son œuvre Les Bonnes en 1947. 48 ans plus tard, Claude Chabrol actualise les faits et s’approprie les thèmes que soulèvent ces assassinats : la volonté du meurtre parfait, la domination du prolétariat par la bourgeoisie… des thématiques chères à l’auteur.
Dans La Cérémonie, Sandrine Bonnaire joue Sophie, une bonne analphabète et secrète mais dévouée. Elle est engagée au service d'une famille bourgeoise de Saint-Malo. Elle se lie d’amitié avec la postière, Jeanne, curieuse et envieuse. Leur rencontre va déclencher une série de drames. Le réalisateur s’attarde sur la différence et la complémentarité de Sophie et de Jeanne. Quand la première est effacée, Huppert donne de sa mince personne pour interpréter une Jeanne pipelette, incapable de rester en place et révoltée. Chabrol semble porter chance à l’actrice qui repart en 1996 avec le César de la meilleure actrice pour son rôle de Jeanne. De plus, elle partage avec son acolyte Sandrine Bonnaire la Coupe Volpi de la meilleure actrice à la Mostra de Venise de 1995.
MERCI POUR LE CHOCOLAT
Cinq ans après La Cérémonie et trois ans après Rien ne va plus, Chabrol offre à Isabelle Huppert, le rôle de Mika Muller, la PDG d’une entreprise de chocolats en 2000 dans Merci pour le chocolat. Changement de registre, elle ne joue plus des femmes à la recherche d’argent et en quête d’appartenance à une classe sociale plus aisée. Cette fois-ci, elle prête ses traits à une femme bourgeoise qui possède tout cela. Elle est mariée à un pianiste de renom, André Polonski (Jacques Dutronc) et forme une famille exemplaire avec le fils d’André, Guillaume (Rodolphe Pauly). Bientôt, le bel édifice va être ébranlé par l’arrivée d’une jeune virtuose du piano en la personne de Jeanne Pollet (Anna Mouglalis). Cette dernière pourrait bien être la fille biologique d’André. Une infirmière aurait interverti les bracelets des enfants à leur naissance.
La force du film réside dans le climat de tension instauré par le personnage d’Huppert. L’actrice parvient à manier le chaud et le froid en permanence et déroute le spectateur. Est-elle une femme bafouée ou est-elle plus perverse qu’elle semble paraître ? Quel personnage le public doit-il croire afin de connaître la vérité ? L’actrice excelle dans son rôle à double lecture et joue à merveille de son visage en apparence lisse, serein et bienveillant. Pour ce rôle de Janus au féminin, l’interprète remporte le prix de la meilleure comédienne au Festival International de Montréal en 2000. Un an plus tard, elle gagne le prix Lumières de la meilleure actrice. L’entomologiste a su à merveille faire éclore le papillon.