Début du déconfinement la semaine dernière en France, et un symbole : les tournages reprennent dans la vaste demeure qui sert de décor à la série Les Mystères de l’amour. Masqués et à distance, mais tous les comédiens sont bel et bien de nouveau sur le plateau en ce mercredi 13 mai. La production a trouvé la solution : intégrer à ses intrigues la période hors norme que nous sommes en train de vivre. Ainsi, rien de plus logique alors que ses héros soient masqués et respectent les gestes barrières !
Il faut dire que cela fait partie de l’ADN de ces feuilletons : savoir s'inspirer très vite de l’actualité, être en prise réelle avec ce que nous vivons, comme le fait, par exemple, Plus belle la vie, ayant très vite intégré dans ses scénarios d’autres événements qui ont frappé la France récemment, comme les attentats ou des faits de société. "Nous sommes en train de tout réinventer. Et nous allons un peu servir d’éclaireur, a indiqué Guillaume de Menthon, président de Telfrance, et DG adjoint de Newen, producteur de Plus belle la vie et Demain nous appartient, dans les colonnes du Figaro du 15 mai. Mais il y a une certaine fierté à montrer qu’il est possible de redémarrer".
Il y a une certaine fierté à montrer qu’il est possible de redémarrer
Sur le tournage (masqué) des Mystères de l'amour !
Qu’en est-il du cinéma français ? Les tournages vont-ils pouvoir bientôt redémarrer ? Et dans quelles conditions ? Alors que la France se déconfine, l’incertitude prédomine toujours. Le bilan des tournages interrompus ou qui devaient commencer est élevé : on en dénombre entre 80 et 150, selon les sources.
Parmi les films interrompus, on recense la comédie française à succès attendue pour les fêtes de fin d’année, Les Tuche 4, mais aussi un film à gros budget autour de Gustave Eiffel, avec Romain Duris et Emma MacKey ou encore Adieu Monsieur Haffmann de Fred Cavayé, avec Daniel Auteuil, Gilles Lellouche et Sara Giraudeau, dont les décors ont suscité la curiosité des passants dans le quartier de Montmartre à Paris. (Mise à jour du 22 mai : le tournage d'Adieu Monsieur Haffman pourrait reprendre dès le 1er juin 2020 à Paris, selon une note de production affichée dans le quartier)
Emma MacKey : bientôt un film français pour la star de Sex EducationBeaucoup de films d’auteur français sont en stand-by, comme les nouveaux longs métrages d’Alain Guiraudie, Louis Garrel, Axelle Ropert notamment. Parmi les films qui devaient commencer, on peut citer le nouveau François Ozon avec Sophie Marceau, le nouveau Pierre Salvadori, ou encore le nouveau film des frères Foenkinos.
Quand on vient aux nouvelles auprès des personnes qui font vivre ce secteur, qu’ils soient devant la caméra, derrière, ou œuvrant à la postproduction des films, flou et interrogations sont dans tous les esprits. "Comme tout le monde, la situation nous a fait sombrer dans l’incertitude, résume Sébastien Marnier. J’ai eu un énorme coup au moral." Le cinéaste devait tourner en octobre son troisième long métrage après Irréprochable et L’Heure de la sortie : "On a tout de suite compris que ce ne serait pas possible, parce qu’il va y avoir un embouteillage d’acteurs, d’actrices, car leurs tournages se sont arrêtés. Et c’est normal que les films mis en stand-by soient les premiers à retourner." Et d’ajouter : "Il a y eu une période d’angoisse, tout était à l’arrêt et les choses se remettent en marche. Mon tournage est décalé à janvier 2021, ce qui est une projection optimiste. C’est un moment où tous les acteurs, actrices seraient disponibles".
Quand un tournage se fige à Paris : les décors du nouveau film de Fred Cavayé interrompu par le confinement
Le comédien Antoine Reinartz, Césarisé avec 120 battements par minute, et pour qui plusieurs films se profilaient, nous confie être dans l’attente. "Je suis dans le flou. Pour tout ce qui est tournage, j'ai très peu de nouvelles. On me dit : « on tourne cet été ». La seule chose sûre que j'ai à mon agenda, ce sont des post-synchro* (réenregistrement d'un dialogue en studio*). Mais c’est particulier car on est seul dans un studio avec un micro".
Même attente pour Djanis Bouzyani, qui il y a un an, quasiment jour pour jour présentait Tu mérites un amour, réalisé par Hafsia Herzi à la Semaine de la critique à Cannes. Le comédien a mis à profit la période pour lire des scénarios, faire des répétitions pour le théâtre via Skype, donner suite à des propositions de film, et pris du recul sur ses futurs projets. "Je continue à recevoir des choses mais sans précisions sur les dates et les conditions de tournage. J'avais deux tournages de prévu : soit on me parle d'une reprise en septembre, soit peut être en juin, mais dans des conditions différentes, c'est-à-dire avec présence d'une infirmière, qui prendra la température. On serait très limités sur le tournage, et les personnages récurrents obligés de rester confiné à l'hôtel."
"Aujourd’hui je n’ai pas la moindre idée honnêtement dans quelles conditions et comment on va pouvoir recommencer à faire des films, nous indique Olivier Assayas, réalisateur entre autres de Sils Maria et de la série Carlos, que nous avions contacté en plein confinement, alors que son dernier film Cuban Network bénéficiait d'une sortie avancée en VOD. Je pense qu’aujourd’hui, on ne mesure pas encore la gravité, ou en tout cas le bouleversement qui est en train de se produire." "J'entends aussi qu'il y aura peut être une 2ème vague de corona, donc honnêtement, je ne préfère même pas me dire que ça va se faire à une date ou une autre", ajoute Djanis Bouzyani, qui devait tourner prochainement dans Page blanche, le premier long métrage de Murielle Magellan.
"On est dans une incertitude comme la France entière", nous répond un jeune cinéaste, dont le tournage du premier long métrage doit commencer ces prochains mois. "Est-ce qu’il y aura une 2ème vague ? Va t-on retrouver une normalité ? Le cinéma est une industrie fragile qui l’est d’autant plus en ce moment, mais tout le monde a hâte de retourner", ajoute-t-il. "Tout le monde se prépare, tout en se demandant ce qu’il va se passer", nous indique ce monteur qui travaille avec beaucoup de réalisateurs de la nouvelle génération de cinéastes issue de la Fémis. Pour l’instant, rien n’est très clair".
Chaque film est un cas particulier
"Tout évolue, il faut se préparer à des changements. Rien n’a été clairement arrêté, résume Julien Poupard, opérateur qui a notamment travaillé récemment sur Les Misérables de Ladj Ly, César du meilleur film cette année. Nous faisons des réunions avec l’AFC (Association Française des directeurs de la photographie Cinématographique). Nous avons une réunion avec la SRF (Société des réalisateurs de films) cette semaine. Nous discutons ensemble." Comme le souligne le chef opérateur, récemment nommé aux César de la meilleure photo, le cinéma est par définition une industrie de prototype : "Chaque film est un cas particulier. Si on doit faire un film dans un petit appartement parisien, toute en respectant les mesures de distanciation sociale et les gestes barrière, ça va être compliqué".
Pour le prochain film dont il sera le chef opérateur, avec des scènes majoritairement tournées en extérieur, Julien Poupard retrouve Pierre Salvadori, dont le prochain film doit commencer cet été. Au moment de l’annonce du confinement, il travaillait sur le nouveau long métrage de Louis Garrel qui a été interrompu à mi-parcours. L’équipe doit reprendre pour deux semaines de prises de vue, à une date encore indéterminée, avec notamment quelques jours de tournage à l’étranger, ce qui pose d’autres questions. Ce questionnement vaut également pour l’épisode 3 de Largo Winch dont le tournage devait se dérouler en partie au Canada, à partir de février 2021. L’équipe devra peut être trouver d’autres lieux de tournage en France et en Belgique.
Flou et questionnements en cascade
Pour résumer quelques unes des interrogations qui ressortent lorsqu’on enquête sur le sujet : les tournages prévus à l’étranger vont-ils pouvoir avoir lieu ? Quid des tournages avec des enfants interrompus en cours de route, à l’instar du nouveau Louis Garrel ou Petite Solange d’Axelle Ropert : ce dernier est un mélodrame dans lequel une jeune fille de 14 ans "découvre que tout peut s’effondrer du jour au lendemain" comme le résume la réalisatrice dans les colonnes du Monde, pointant que ce synopsis "renvoie beaucoup à ce que l’on est en train de vivre". En effet, il ne faudra pas trop attendre avant la reprise car on change vite à l’adolescence ! Que va-t-il se passer pour les films et séries devant se tourner avec des personnes âgées et donc plus vulnérables ? Comment gérer la question de la disponibilité des comédiens, des équipes techniques, et même du matériel et des studios, dont le timing est souvent assez serré ? Quid des tournages sur une longue durée, peut être plus à risque en terme de sécurité sanitaire ? Les interrogations sont nombreuses, et pour le moment, pas de solution qui s'impose.
Le nerf de la guerre, ce sont les assurances
"Le nerf de la guerre, ce sont les assurances", nous indique Julien Poupard. Les conditions seront établies avec les assureurs. En veillant à ce que cela n’impacte pas les films. Avec du bon sens, on doit pouvoir trouver une manière de faire". "Quand je lis des choses du genre « on va mettre des équipes de cinéma en quarantaine », poursuit Olivier Assayas, qu’« on va tourner les séquences de figuration à la fin du tournage au cas où il y aurait quelqu’un qui mourrait du Covid suite au tournage pour que ça ne pose pas trop de problème aux compagnies d’assurance »… Honnêtement, je suis un peu halluciné !. Pour que les conditions de sécurité ou les conditions sanitaires élémentaires soient rétablies, je redoute que pas mal d’eau ait coulé sous pas mal de ponts." Olivier Assayas nous avait confié au moment de cette interview confinée avoir mis à profit cette période pour s’atteler à l’écriture d’une série adaptée de son long métrage, Irma Vep.
De nombreuses pistes concrètes sont évoquées afin de respecter les gestes sanitaires et les consignes de sécurité. Les tournages pourraient se faire en présence d’un médecin, d’une infirmière, ou d’un référent veillant à ce que les consignes de sécurité soient appliquées. Prise de température obligatoire pour l’équipe, des équipes réduites au maximum, protégées avec des tenues spécifiques… La piste de séparer les différents postes de travail est aussi envisagée afin d’étanchéifier un maximum les équipes. "Il faut que les assurances jouent le jeu, souligne à son tour Sébastien Marnier. Car il y a quelque chose qui ne va pas. Sur n’importe quel tournage, avant la crise du Covid, un acteur pouvait tomber malade, contaminer des gens si c’était la grippe, une gastro, etc, ou même un acteur pouvait se casser la jambe, et mettre le tournage en stand-by et mettre en péril le film. C’était possible ; les assurances suivaient ça. Il faut qu’elles nous suivent."
"Si on ne peut pas avoir ces assurances, on ne pourra plus faire de films. Il faut qu’on trouve des solutions. Il n’y a pas d’alternative : il faut s’adapter, sinon on s’écroule. Si on doit travailler dans certaines conditions pendant un certain temps, on trouvera des solutions, poursuit-il. Pour l’instant, les règles sanitaires ne sont pas tenables. On ne peut pas demander à une équipe de se confiner pendant deux mois de tournage et de se couper du monde, ce n’est pas envisageable." "L'idée de se calfeutrer pendant un mois me parait très dur, abonde Antoine Reinartz. Ne serait-ce qu'en terme d'émotions, on a besoin d'être bien. Etre enfermé en quarantaine, ça ne rend pas très libre de ses émotions."
Le producteur Eric Altmayer (OSS 117, la série Validé) le dit sans détour, dans les colonnes du Figaro : "Le protocole sanitaire défini par le gouvernement incorpore des mesures totalement incompatibles avec un tournage. Tout bonnement, cela signifie que les acteurs ne peuvent pas travailler". Ce protocole de santé impliquerait par ailleurs un surcoût, estimé à 30% toujours selon le Figaro. Ce surcoût est lié aussi à la perte de productivité : selon les estimations, les équipes tourneront 25% de minutes utiles en moins par jour.
Culture : Emmanuel Macron confirme la création d'un fond d'indemnisation pour les tournagesL’Etat travaille à l’élaboration actuellement d’un fonds d’indemnisation temporaire à hauteur de 50 millions d’euros. Sa mission : couvrir les coûts occasionnés si un tournage devait être arrêté à cause du Covid et son équipe mise en quarantaine. Le fonds pourrait être opérationnel début juin. Précisons que l’Etat a également annoncé le prolongement d’une année des droits des intermittents jusqu’au mois d’août 2021, mesure forte, qui était particulière attendue.
Sur les tournages, "ce sera du cas par cas quasiment", affirme Emmanuel Macron, qui va mettre en place "un fonds d'indemnisation temporaire"
Tandis que les tribunes de la profession se multiplient dans la presse, on ressent en tout cas une certaine inquiétude, notamment quant aux mesures qui pourraient être prises par l’Etat, car, soit insuffisantes, délaissant certains secteurs à part entière (les métiers dits de l'ombre comme les attachés de presse de cinéma par exemple), ou parce que pouvant nuire à la liberté de chacun, comme l’illustre ce post du réalisateur Fabrice du Welz sur son compte Instagram. "Trois mois que j’attends, comme tant d’autres. J’attends que des gens élus - les mêmes qui, pendant cette crise, ont tâtonné, démontré l’étendue de leur incompétence et sciemment menti - me disent enfin quand et comment je pourrai reprendre de ce que j’avais commencé. Si j’écris ici aujourd’hui, c’est parce que je me sens aliéné à un système de précaution qui pense et agit à ma place (...)"
"C’est vrai qu’il ne faut pas non plus que le gouvernement n’acte trop les choses, en disant : « oui, les tournages reprennent », poursuit Sébastien Marnier. Alors que sur plein de tournages, ce n’est pas possible. Ce n’est pas parce que Les Mystères de l’amour reprennent avec une idée géniale de son créateur qui est de dire « on reprend Les Mystères de l’amour, six mois après la crise du Covid, donc ils ont tous des masques et ils se tiennent tous à un mètre », c’est génial. Mais on ne peut pas le faire sur tout, c’est impossible", selon Sébastien Marnier.
Vers des scénarios remaniés après la crise du Covid ?
Le cinéma français va-t-il devoir réécrire ses projets afin de tenir compte de nouvelles exigences sanitaires? C’est ce qu’a fait l’équipe des Tuche au moment du confinement, en sacrifiant des scènes dans lesquelles une centaine de figurants devaient participer. "On a pas mal (discuté) avec (le réalisateur) Olivier Baroux pour réécrire des scènes, parce qu'on espère tourner en juin, on croise les doigts, mais en supprimant des scènes", a expliqué Jean-Paul Rouve (Jeff Tuche) sur Europe 1. "On en avait avec beaucoup de figurants, genre 100 personnes. Cela ne sera pas possible, donc on est en train de réécrire. Ça, c'est du boulot."
"Je n'ai pas eu besoin de réécrire, nous confie ce jeune cinéaste qui doit tourner cet été. Je pense à des solutions de mise en scène, mais je ne changerai pas le projet." "Nous n’avons pas réécrit, nous indique également le réalisateur Sébastien Marnier, car si le tournage est en janvier, on espère quand même que la crise sera derrière nous. Et de toute façon, s’il y a une 2ème vague, on ne fera pas de films pendant très longtemps. Ce sera une catastrophe mais nous n’aurons pas vraiment le choix. Mon film a très peu de figuration. Il y a un mois de tournage en huis clos dans une grande maison."
Le scénario des Tuche 4 au moment de lancer le tournage
"Mais la vraie question est pour les acteurs. On ne peut pas imaginer qu’ils se tiennent tous à un mètre des uns des autres. Qu’ils ne puissent pas s’engueuler, ou s’embrasser !", poursuit le réalisateur de L'Heure de la sortie.
Etreintes brisées ? Pourra-t-on continuer à s'embrasser sur les plateaux de tournage ?
Cette interrogation revient évidemment au cœur de tous les échanges : va t-on devoir tourner en respectant les gestes barrière ? Mais, surtout est-ce tout simplement possible ? Le cinéma français va-t-il devoir se passer d’étreintes, de baisers, et plus si affinités ?
"Ne plus représenter le contact, c’est impossible. De ne pas pouvoir jouer ça, ça me paraît inconcevable. Même un film sur le confinement devra le montrer. Montrer les moments de contact ou de retrouvailles avec quelqu'un. Quand on n'a pas vu quelqu'un pendant 6 semaines, le contact devient extrêmement intense", explique Antoine Reinartz. Selon le comédien vu récemment dans La vie scolaire, l’idée de porter des masques entre les prises semble par ailleurs très compliquée à appliquer : "C'est quelque chose de très bête, mais en terme de maquillage et de coiffure - par pour des questions esthétiques -, cela pose une question de raccords... Une prise sur deux, on a les traces de masque, et les cheveux qui ne sont pas pareils !"
"Peut être qu'on va éviter de s'embrasser, mais de se tenir à distance, honnêtement, ça va tenir deux jours, estime Djanis Bouzyani. Après les gens vont zapper. De tourner en pensant à ça, ça n'est plus naturel. Sauf si c'est intégré dans le scénario et que c'est une comédie. Mais on en fera combien des comédies comme ça ? A un moment, ça va être saoulant !"
Quand le Saturday Night Live imagine un tournage respectant les gestes barrières...
Quid d’un film comme celui d’Alain Guiraudie, réalisateur notamment de films plutôt charnels comme L'inconnu du lac ou Rester vertical ? Le long métrage Viens, je t’emmène avec Noémie Lvovsky et Jean-Charles Clichet était à 8 jours de sa fin de tournage lorsque le confinement a été prononcé. L’intrigue est une histoire d’amour entre un jeune homme et une prostituée, sur fonds d’attentat à Clermont-Ferrand. "Il me reste plusieurs scènes de contact. Je ne sais pas encore comment gérer ça avec la distanciation", confiait Alain Guiraudie, dans le journal Le Monde. "Si on ne doit faire que du champ-contrechamp pour que les acteurs ne soient pas dans le même plan, ça va être effectivement très compliqué. Il faudra vraiment se poser la question si c’est possible ou pas", résume Sébastien Marnier. La solution résiderait-elle alors dans les protocoles sanitaires déjà mis en place sur les plateaux des films pornographiques ? Cette industrie est en effet coutumière des tournages en équipe réduite, mais aussi devenue spécialiste du traçage de ses acteurs afin de les protéger des contaminations liées aux infections et maladies sexuellement transmissibles et au VIH.
"Les acteurs se testent déjà énormément quand il y a les périodes de grippe pour ne pas être contagieux, précise Sébastien Marnier. Je ne veux pas faire un mauvais parallèle, mais les acteurs de films porno partout dans le monde font des tests de SIDA tout le temps. On va tous s’adapter et faire des tests tant qu’il n’y aura pas de vaccin pour pouvoir maintenir notre activité. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, on va devoir prendre des mesures de sécurité."
Vers une déferlante de films inspirés par le confinement ?
A quoi ressemblera la production française dans les mois à venir ? Va –t-on voir une déferlante de films nés du confinement ou inspiré par le confinement ? Plusieurs initiatives ont déjà vu le jour, côté court métrage ou web séries. La Cinémathèque française a également demandé à des cinéastes de leur envoyer des "lettres de cinéma", avec des films courts inédits de Nicolas Maury ou Nicolas Saada par exemple.
La semaine dernière, Dany Boon a été le premier réalisateur français à annoncer un long métrage directement inspiré par le confinement, avec une histoire qui se passera dans un immeuble confiné. Le comédien Francis Renaud a également été inspiré par cette période pour faire un film à la production "sauvage". "Cette période pourrait être une terre d'opportunité pour une "production guérilla"", souligne à ce propos le monteur que nous avons sollicité pour notre enquête.
Selon Nice Matin, Claude Lelouch devrait être le premier cinéaste à reprendre la caméra avec le tournage d'un court métrage prévu, à Monaco, ce week-end, Le Grand Rendez-vous, dans le même esprit son film C'était un rendez-vous, tourné en 1976. D’autres ont mis à profit la période pour s’atteler à l’écriture de projets ambitieux comme Olivier Assayas et sa série adaptée d’Irma Vep, ou Jean-Jacques Annaud qui a annoncé écrire un film sur l’incendie de Notre Dame. Ce dernier a l’espoir de tourner avant la fin de l’année. Selon les premiers échos que nous avons eu, des scénarios inspirés par le confinement sont bel et bien en train d’arriver déjà, certains cinéastes ayant brutalement revus leurs projets pour l’adapter à la période hors norme que nous sommes en train de vivre.
Interrogé en plein confinement par nos confrères du Monde, le réalisateur Christophe Honoré ne voit pas cette période d’un bon œil en terme de création : "Je ne suis pas très optimiste (…). Je crains plutôt le lieu commun, une forme d’appropriation un peu simpliste, que l’on voit surgir sur les plateaux des personnages avec des masques, que l’on reproduise le confinement… Pour moi, ce n’est pas du tout un moment d’écriture ou de poussée créatrice. (…) Je n’ai pas envie de créer à partir de cet événement. C’est juste une sale période, à laquelle je n’ai pas envie d’associer l’art." Christophe Honoré, qui a récemment réalisé Plaire, aimer et courir vite, et Chambre 212, pense même que la "sortie de crise" pourrait "confirmer une tendance déjà à l’œuvre, surtout dans le cinéma : celle du formatage".
Qui va décider de ce qui est ou non un bon sujet de l’après-confinement ?
Et d’ajouter : "Dans l’économie de marché cinématographique, qui va décider de ce qui est ou non un bon sujet de l’après-confinement ? On voit bien comment on va aller encore plus vers une sorte de ventre mou qui existe déjà et avoir recours au cliché : on va nous dire qu’il faudra de l’évasion, du « feel-good », des histoires de héros solitaires qui se dévouent pour la collectivité… Et les cinéastes qui résisteront à ce formatage auront des difficultés économiques encore plus importantes pour tourner leurs films."
Préserver la diversité du cinéma français est également un sujet au cœur des discussions, pour conserver ce qui fait la richesse de notre industrie hexagonale, entre films d'auteur et blockbusters. "Je ne dirai jamais qu’il y a trop de films. Mais il y en a beaucoup. Il va falloir que tous les films trouvent leur place. Cela ne va pas être facile", résume Sébastien Marnier. "Je pense que cette crise anticipe et rapproche de nous toutes les questions qu’on se posait tous. On doit tous se mettre autour de la table pour réfléchir à comment on peut changer et faire évoluer la sortie de nos films."
La période a d'ailleurs permis aux Français confinés de découvrir tout le potentiel de la VOD, notamment avec la sortie de films de façon avancée (grâce à un dispositif exceptionnel au sein de la chronologie des médias), ou la richesse de la SVOD (Netflix, Amazon Prime, lancement de la plateforme Disney Plus...) qui a notamment mis à disposition de ses abonnés des films de patrimoine (par exemple, de nombreux Truffaut ou Demy sur Netflix, ou des films d'Agnès Varda sur Amazon). Des plateformes de VOD comme Universciné ont par ailleurs proposé des films à prix très bas, voire gratuitement comme le mini-site événementiel de la Cinémathèque, Henri, ou l'offre MK2 Curiosity.
Enquête AlloCiné : quel bilan pour le cinéma et les séries en confinement ?Le développement du cinéma à domicile suscite d'ailleurs certaines inquiétudes sur les futures habitudes des spectateurs... Auront-ils encore envie autant qu'avant de se rendre dans les salles, d'autant plus si les mesures de sécurité sont contraignantes (port du masque, maintien des distances, jauge limitée...) : "La filière est foudroyée et le pire, c’est que les gens n’ont pas l’air de s’en rendre compte. Comment le pourraient-ils ? Ils sont confinés chez eux avec des films et de la fiction plein leurs plates-formes et leurs chaînes de télé !, s'inquiète Pierre Jolivet, réalisateur et président de l'ARP dans les colonnes de Télérama. Même si le cinéma leur manque, leur imaginaire est tout de même satisfait. C’est un peu comme si l’industrie du médicament était sinistrée, mais que les Français avaient tous des armoires à pharmacie qui débordent… Cette situation va nous forcer à nous réinventer car, en face de nous, les vrais vainqueurs de cette crise sont les plates-formes."
Pourra-t-on aller au cinéma cet été ?
Pour le moment, depuis l’annonce de la fermeture brutale le 14 mars dernier (une première dans toute l’histoire du cinéma français), les salles de cinéma restent fermées, jusqu’à nouvel ordre, a priori jusqu'à juillet au plus tôt. Le gouvernement devrait faire une annonce à ce sujet le 2 juin. En attendant, les films qui devaient sortir s’accumulent, faisant craindre un embouteillage massif à la réouverture. Certains distributeurs ont opté pour une sortie directement sur des plateformes de SVOD, comme Forte ou Pinocchio sur Amazon Prime Video. La Caméra d’or 2019 Nuestras Madres sortira directement en VOD.
D’autres distributeurs, en particulier de blockbusters (dont les frais de marketing et de promotion ponctionnent une grosse partie du budget), ont pris le parti de repousser très loin la sortie de certains films, parfois jusqu’à 12 mois. Côté film français, Kaamelott - Premier volet qui devait initialement être une des sorties événements de l'été a été repoussé de 4 mois, pour sortir fin novembre. Il en va de même pour certains films dont une sélection en compétition à Cannes était acquise pour 2020, à l’instar du très attendu Benedetta de Paul Verhoeven avec Virginie Efira, qui ne sortira finalement pas avant 2021.
Coronavirus : quelle date pour la réouverture des cinémas français ? Combien de temps va durer la fermeture des salles ?D’aucuns soulignent d’ailleurs que l’absence d’un festival comme Cannes sera préjudiciable aux films d’auteur cette année, car l’événement sert de locomotive et de buzz médiatique à ces films ne reposant pas autant sur le marketing que les blockbusters."Cannes créé du désir pour les films. En son absence, on s'oriente vers une forme d'année blanche. Est-ce que les gens vont être curieux ? Est-ce que les spectateurs vont avoir envie de voir autre chose que de la comédie ? Aura-t-on envie d’aller vers des films exigeants et inconnus ?", nous fait remarquer ce monteur pour des films d’auteur. "On a vu que les gens avaient une « consommation doudou » à la télé pendant le confinement (avec la diffusion de nombreuses comédies de Louis de Funès par exemple). Quand le monde devient une dystopie, comment les gens vont regarder la fiction ?", souligne-t-il.
La réouverture des salles doit être une fête
"La réouverture des salles doit être une fête, résume le chef opérateur Julien Poupard. Ce serait terrible si les gens n’y allaient pas", nous indique-t-il, rejoignant les propos du distributeur Vincent Maraval. Dans les colonnes du Monde, le distributeur notamment de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche faisait part de ses inquiétudes sur le sujet : "Par exemple, mettons que, dans l’urgence, vous ouvriiez en juillet et que les salles soient vides par manque d’offre de films car aucun distributeur n’ose dépenser les fortunes que coûte la promotion d’un film sans savoir si le marché redémarre vraiment. Que se passe-t-il ? On acte la fin des salles ? Elles referment parce qu’elles cumulent charges, frais de structure et absence de revenus ? Ou, autre hypothèse, les salles rouvrent, elles se ruent sur le profit à court terme et programment, mettons, James Bond, sur quatre écrans sur six. Que vont faire les autres films, ceux qui assurent la diversité ? Attendre pour ceux qui le peuvent, mourir pour ceux qui ne peuvent plus ou, ce qui est le plus grand danger, changer de métier et vendre aux plates-formes ? (…) Rouvrir sans réflexion, sans cadre, sans nouvelle politique, ce serait achever la création indépendante au cinéma. Elle partira à jamais."
On ira tous au cinéma !
"S’il y a moins de personnes dans les salles, il y a un nouveau modèle économique transitoire à trouver. Mais il y a clairement un désir immense que ça rouvre, que ça aille vite", lance Antoine Reinartz. Les avis sont en effet partagés entre la nécessité d’attendre encore, ou au contraire, d’ouvrir au plus vite afin de relancer la machine, que les salles puissent se remettre en ordre de marche. Les salles pourraient rouvrir à partir du 1er juillet. En attendant, les talents du cinéma à l’invitation de la FNCF (Fédération nationale des cinémas français) et d’AlloCiné se retrouvent autour de l’opération #OnIraTousAuCinéma, avec une série de vignettes vidéo célèbrant l’expérience unique de la salle de cinéma en partageant leurs souvenirs, leurs coups de cœur et leur désir de retrouver le chemin des salles obscures, dès que les conditions sanitaires et les directives gouvernementales le permettront... On ira tous au cinéma !