Attention, spoilers. Les paragraphes suivants révèlent des éléments d’intrigue du film La Plateforme. Si vous ne voulez rien savoir, ne lisez pas ce qui suit.
Après avoir fait sensation au TIFF (Toronto Internation Film Festival) en 2019, La Plateforme (El Hoyo, en espagnol), de Galder Gaztelu-Urrutia est disponible sur Netflix ce 20 mars. Entre Cube et Snowpiercer, le film nous plonge dans une sombre prison-tour, appelé "La Fosse", traversée en son centre par une dalle transportant des plats d’exception préparés par des chefs cuisiniers et descendant d’étage en étage pour nourrir les détenus. Ce système favorise les premiers servis et affame les derniers. Chaque prisonnier a le droit de prendre un objet pour sa détention et a 2 minutes pour manger ce qu’il peut sur la plateforme mais ne peut conserver aucune nourriture dans sa cellule qu’il partage avec un autre détenu.
Dans La Plateforme, on suit l’histoire de Goreng (Iván Massagué), qui a volontairement intégré la prison-tour afin d’obtenir à sa sortie un brevet lui permettant de s’élever socialement. Il se réveille à l’étage 48 avec le livre et son co-détenu Trimagasi (Zorion Eguileor), un vieil homme enfermé pour meurtre. Pendant des mois, Goreng va tenter de survivre dans la Fosse où la seule loi qui domine est "manger ou être mangé" face à des prisonniers cannibales, violents, déviants et pervers. Mais l’homme va aussi rencontrer d’autres détenus à d'autres étages espérant un échappatoire ou un futur meilleur à l’image d’Imogiri (Antonia San Juan) et Baharat (Emilio Buale Coka), tout en cherchant l’enfant de Miharu (Alexandra Masangkay), caché dans la prison.
UNE FIN RÊVÉE OU RÉELLE ?
Si La Plateforme est une satire sociale sur le comportement humain, le renversement de l’ordre établi et la lutte des classes, le film est aussi intimement lié à Don Quichotte, célèbre roman de Miguel de Cervantes, que Goreng choisit d’emmener avec lui comme seul objet dans sa cellule. En plus d’être semblable physiquement, Goreng et Don Quichotte se ressemblent dans leur combat de justice sociale contre une société espagnole dure. Il rencontre son Sancho Panza (Baharat) avec qui il se mue dans une posture de chevalier idéaliste lorsqu’ils descendent jusqu’au fond de la Fosse avec leurs barres de fer. Par ailleurs, les métaphores sur les faux-semblants et les faux espoirs de Goreng font penser à ceux de Quichotte entre la fille de Miharu qui rappelle les géants et la panna cotta qui rappelle les moulins.
Là où le film peut nous perdre et amener sur différentes interprétations c’est sa temporalité et sa vérité. Est-ce que la petite fille de Miharu que Goreng et Baharat trouvent au tout dernier étage (le 333ème) est réelle ? Si c’est le cas, cela veut dire qu’Imogiri, ancienne employée de l’Administration (qui contrôle la Fosse) s’est elle aussi fait berner et ne savait pas que les enfants pouvaient être incarcérés comme elle l’explique à Goreng. Cela expliquerait aussi l’importance accordée à Miharu dans le récit et le fait qu’elle descende à chaque descente du plateau repas pour tuer des détenus et nourrir sa fille qui est devenue cannibale. On voit bien que la petite se nourrit de chair humaine lorsqu’elle en donne à Goreng. Cette vision optimiste voudrait dire que le message à l’Administration est bien passé : la petite fille, l’être le plus fragile de la prison a réussi à survivre au dernier étage en étant intacte, propre et en bonne santé.
Pourtant, une scène au milieu de film fait réfléchir sur la véracité de ce que vit Goreng à la fin. Une séquence dans la cuisine où l’un des hommes en charge des repas sermonne son équipe de cuisiniers sur un cheveu retrouvé sur la fameuse panna cotta. Puisque le film est composé de quelques flashbacks, l’entretien de Goreng notamment pour intégrer la prison-tour, il ne serait pas impossible que cette scène soit la fin du film et que la deuxième moitié du long-métrage soit l’acheminement vers cette séquence. Comme si les cuisiniers voyaient un plat être retourné par des clients de luxe pour un cheveu, ce qui serait encore plus cruel comme message et reviendrait une nouvelle fois à briser les barrières entre les pauvres et les riches, à l’image du système qui veut que chaque mois les détenus changent d’étage et soient riches de nourriture ou pauvres de nourriture à tour de rôle.
Cela voudrait donc dire que Goreng, déjà bien amoché à voir les fantômes des morts, et Baharat auraient halluciné la présence de la petite fille et qu’ils auraient laissé la panna cotta et un de leurs cheveux dessus avant de mourir. La force du film La Plateforme, au-delà de ses divers messages sur la lutte des classes et la conscience humaine, est aussi un pamphlet sur un thème universel qu’on pourrait résumer à "l’enfer, c’est les autres". Le long-métrage aussi absurde qu’angoissant ouvre à différentes interprétations et réflexions sur notre état d’esprit face à cette histoire sordide dans un huis clos anxiogène et mortel.
Et vous qu’avez-vous compris du film ?
La bande-annonce de La Plateforme :