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    The Deuce : quel bilan pour la série HBO des créateurs de The Wire ?
    Corentin Palanchini
    Passionné par le cinéma hollywoodien des années 10 à 70, il suit avec intérêt l’évolution actuelle de l’industrie du 7e Art, et regarde tout ce qui lui passe devant les yeux : comédie française, polar des années 90, Palme d’or oubliée ou films du moment. Et avec le temps qu’il lui reste, des séries.

    Portée par James Franco et Maggie Gyllenhaal, la série "The Deuce" s'est terminée sur HBO et OCS. L'occasion de pointer les réussites (et les quelques défauts) de ce show créé par les producteurs et scénaristes de "The Wire".

    HBO

    Attention, les paragraphes suivants révèlent des éléments de l'intrigue de la série The Deuce. Si vous ne voulez rien savoir, ne lisez pas ce qui suit.

    La dernière création des auteurs et producteurs de The Wire s'est terminée après trois saisons, une durée prévue dans le contrat de départ avec HBO, mais vaut-elle la peine que l'on s'y attarde ou mérite-t-elle de passer inaperçue ? Réponse ci-dessous.

    Le temps des macs

    Dès son pilote, The Deuce nous introduit à l'univers des proxénètes de la 42ème rue de New York. Rares sont les prostituées à leur compte comme Candy (Maggie Gyllenhaal), qui se révélera rapidement l'un des personnages les plus intéressants du show. Les trottoirs de la 42ème sont crasseux, glauques et mal famés et on y voit défiler tous les profils, de l'étudiante venue travailler dans l'un des nombreux bars du quartier aux jeunes femmes débarquant innocemment à New York et finissant sur le trottoir, manipulées par des "pimps" sans scrupules... Le décor est planté.

    Outre Candy, l'autre personnage principal est joué par James Franco, qui arrive à corriger son cabotinage de la première saison dans le double-rôle des jumeaux Frank et Vincent Martino pour proposer des compositions plus subtiles. Si Frankie s'enfonce toujours plus dans les arnaques et une envie de réussir, Vincent tiendra son bar sans faire de vague, en versant sa part à la mafia italienne pour qu'elle lui fiche la paix. Un équilibre qui sera remis en question durant la saison 3.

    Mais ce qui intéresse vraiment David Simon, c'est de nous présenter la mutation de New York à travers une période (1971-1984) déterminante pour la grosse pomme. S'il insiste très tôt pour présenter aux téléspectateurs le New York de Mean Street et de Taxi Driver, c'est pour mieux montrer à la fin de la série comment ce quartier sulfureux s'est retrouvé transformé et surtout, de quelle façon à travers le regard de ceux qui l'habitent. D'un couple gay désireux d'acheter son bar à l'émancipation de certaines prostituées au tenancier d'une maison de passe, il est clair la série est ambitieuse et veut parler de beaucoup de choses, peut-être même un peu trop. C'est l'un des reproches que l'on pourra lui faire, mais c'est bien l'un des rares.

    L'âge d'or du porno

    Car qu'on ne s'y trompe pas, si The Deuce est assurément intéressante, c'est sur ses 25 épisodes. Scénaristiquement, les première et deuxième saisons sont séparées de 5 ans puis la 2e et la 3e de 7 ans. Ces sauts dans le temps permettent une évolution tranchée des personnages, que chaque season premiere s'attache à nous replacer dans leur nouveau contexte. Et l'un des contextes marquants de la série est l'explosion du cinéma X.

    Alors que la prostitution bat toujours son plein sur la 42ème, l'industrie pornographique connaît un boom impressionnant et Candy va tourner des films au point d'acquérir une certaine renommée. Il se passera quelques années avant qu'elle ne franchisse le pas de devenir réalisatrice de films X. D'abord pour l'argent et pour définitivement arrêter le trottoir, puis avec une envie de montrer le sexe autrement. En cela, on peut voir Candy comme une version alternative de Candida Royalle, qui fut pionnière dans les années 80 en présentant un point de vue féminin de la sexualité dans ses films pornographiques. La version incarnée par Maggie Gyllenhaal et son évolution sur 3 saisons justifient seuls la vision de The Deuce. Outre un enfant difficile à gérer, Candy doit aussi expliquer sa défense du cinéma X féministe face à des militantes anti-porno. Un grand moment de la série.

    Les actrices porno montrées par la série sont globalement présentées comme d'anciennes ou d'actuelles prostituées cherchant à se faire davantage d'argent, à en rapporter davantage à leur proxénète ou à s'émanciper de leur emprise. Le milieu est dépeint sans glamour ni complaisance et The Deuce ne nous épargne rien de ce que le milieu pornographique peut avoir de violent, autant physiquement que psychologiquement. Le personnage de Lori (formidable Emily Meade) en fera les frais au cours des trois saisons, subissant humiliations et claques morales jusqu'à finir détruite. Précisons que The Deuce est l'une des premières séries ayant bénéficié d'une "coordinatrice d'intimité", s'assurant que les comédiens se sentent en sécurité et à l'aise lors du tournage des scènes de sexe.

    La fin d'une époque et le parallèle avec The Wire

    Disons-le tout net, la série (sa saison 3 en particulier) ne fait pas dans la dentelle et dresse un portrait noir des années 80 sur la 42ème. Le Sida a fait son apparition et les malades se multiplient, la mafia italienne subit des changements importants en opposant les anciens (misant sur les commissions et le chantage) aux jeunes loups (désirant se lancer dans le trafic d'héroïne) et les professionnels constatent que le commerce du sexe ne paye plus tant que ça au cinéma à cause de l'explosion du porno dans des vidéoclubs flambants neufs. L'industrie du porno change et l'ère du X non scénarisé toujours en vigueur aujourd'hui commence à apparaître, au détriment du cinéma travaillé de "Candy" (Eileen de son vrai nom).

    Comme dans The Wire*, David Simon et George Pelecanos dénoncent bien tout le sordide de l'époque en montrant la 42ème arrive à vivre comme un écosystème instable, violent et brutal. Pour autant, lorsque l'intrigue commence à nous présenter des urbanistes, politiciens et policiers cherchant à rendre le quartier plus sûr et à le réhabiliter, elle nous présente aussi les méthodes pour atteindre cet objectif, celles d'une mafia, avec force intimidation et chantage. On comprend alors que la réhabilitation de la 42ème était destinée à chasser les habitants de ce quartier populaire pour laisser la place aux travailleurs de Manhattan et de personnes intéressés par les milieux de la finance (que le jeune Joey Dwyer joué par Michael Gandolfini représente parfaitement). C'est contre toute attente avec mélancolie que s'achève The Deuce, avec l'un des personnages errant dans la 42ème telle qu'elle est en 2019, et voyant ressurgir à chaque coin de rue les fantômes du passé.

    C'est alors que le téléspectateur réalise que The Deuce ne lui a pas proposé une simple reconstitution d'une rue de New York, elle lui a présenté des êtres de chair et de sang, auquel il s'est attaché, et que le quartier ou l'époque a détruit. Ce qu'on pourrait prendre comme de la nostalgie de la part des créateurs est finalement un attachement à critiquer la déshumanisation d'un quartier dans le seul but d'en chasser une population qui dérangeait. C'est ce "lissage" que raconte The Deuce, sans jamais tomber dans l'apologie ou l'excuse des crimes qui ont fait cette rue et son histoire, et que vous pouvez découvrir en rattrapant la série sur OCS.

    * The Deuce fait d'ailleurs une référence directe à la série en nous présentant le cousin de Barksdale, l'un des pontes de la drogue de Baltimore.

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