Attention, cet article contient des spoilers sur la série The Boys ! Il est préférable d'avoir vu la série avant de lire ce qui suit.
Satire acerbe des super-héros américains, The Boys, lancé sur Amazon cet été, s'inscrit résolument dans l'ère des fictions qui résonnent avec le mouvement #MeToo, issu des retombées de l'affaire Harvey Weinstein aux Etats-Unis, et de la libération de la parole des femmes victimes de harcèlement et de violences sexuelles de façon structurelle, en particulier dans l'environnement professionnel.
Des évènements qui ont profondément impacté la création américaine, toujours prompt à réagir à l'actualité par le prisme de la fiction. "Nous étions en plein milieu de l'écriture de la série et soudain le mouvement Me Too est arrivé. On a révisé toute la trame de l'histoire à ce moment-là", déclare ainsi Eric Kripke dans une interview au site Business Insider.
Starlight, le cas d'école
En effet, The Boys annonce la couleur dès son premier épisode dans lequel Starlight (Erin Moriarty), nouvelle recrue du groupe des Sept, est soumise par The Deep (Chace Crawford) à un acte sexuel forcé : celui-ci la menace de détruire sa carrière naissante si elle refuse ses avances. Impossible de ne pas voir dans ce rapport de force une allusion au producteur hollywoodien déchu, dont le procès a été repoussé à l'an prochain, et à son modus operandi de prédateur avec bon nombre d'actrices qui ont croisé sa route.
Bien que le personnage de The Deep, sorte de version satirique d'Aquaman subisse un retour de bâton en étant agressé sexuellement à son tour par une fan (la jeune femme insère brutalement ses doigts dans ses branchies contre son consentement), on regrette que la scène soit tournée en dérision en insistant sur l'incongruité de la situation plutôt que sur la détresse du super-héros à ce moment, et encore moins sur les retombées de cet acte sur sa psychologie. Autre choix pour le moins contradictoire de la part d'Amazon : celui de mettre en avant The Deep dans un calendrier promotionnel humoristique mettant en valeur son anatomie proéminente... quand bien même le personnage est un prédateur sexuel notoire. La plastique de Chace Crawford a beau être irréprochable, quel message envoie-t-on lorsqu'un personnage moralement condamnable est transformé en plaisanterie sexy et colorée ?
Les créateurs de la série ont toutefois procédé à une atténuation nécessaire du degré de violence des comics, où Starlight y subit à l'origine un viol en réunion commis par Homelander, Black Noir et A-Train. Retranscrit telle quelle à l'image, une scène aussi violente aurait pu sembler bien trop gratuite. Dans la série, l'héroïne, non moins traumatisée, passe en revanche plus rapidement du statut de victime à celui de rebelle au sein du groupe, en remettant en question le mode de fonctionnement de la société Vought qui emploie ses super-héros. Elle devient peu à peu la porte-parole des victimes d'abus, en refusant de se soumettre à l'étiquette de jolie potiche que la corporation attend d'elle.
Victimes, maternelles ou passives
Pour les autres personnages féminins en revanche, on déplore une nette accumulation de stéréotypes réducteurs, présents dans les comics de Garth Ennis et que les showrunners, Eric Kripke, Seth Rogen et Evan Goldberg, n'ont que peu tenté d'améliorer, malgré leur intention affirmée d'adapter les livres "avec le plus grand sens des responsabilités possible".
La Reine Maeve (Dominique McElligott), par exemple, est légèrement humanisée par rapport à la bande-dessinée, dans laquelle elle ne fait preuve de remords que tardivement. Ici, elle est torturée par l'immoralité des actions des Sept, et paie le prix de sa renommée par l'échec de sa relation affective (elle apparaît comme lesbienne dans la série). Elle demeure toutefois relativement passive dans cette première saison, contrairement à Starlight qui prend les devants face à la corruption morale des dirigeants de Vought.
La Fille (Karen Fukuhara), qui hérite de ce seul sobriquet lorsque Butcher et ses compagnons d'armes la recueillent, a beau être une experte en combat au corps-à-corps dopée au Composé V, elle est privée du sens de la parole, traumatisée par son passé d'enfant-soldat. Son seul moyen d'interagir avec les autres est à travers Frenchie, faisant preuve d'assez d'empathie pour interpréter ses pensées.
Quant à Madeline Stillwell (Elisabeth Shue), la présidente de Vought Entreprises, elle est une combinaison de deux personnages secondaires du comics, un homme et une femme. Elle y entretient le même rapport quasi-incestueux avec Homelander, qui lui reproche constamment de se préoccuper de sa progéniture plutôt que de lui : afin de le manipuler, Madeline utilise sa fibre affective jusque dans ses extrêmes limites. spoiler: Dans la série en revanche, elle connaît une issue tragique et brutale lorsque Homelander décide de se débarasser d'elle en la tuant d'un coup de rayon laser.
Ces trois femmes, pourtant essentielles au déroulement de l'intrigue, sont - pour le moment du moins - cantonnés à des rôles limités : Maeve subit le status quo sans réagir, La Femme est muette, et Madeline Stillwell paie le prix fort de sa position de pouvoir. Quant à l'intrigue amoureuse entre A-Train (Jessie T.Usher) et Popclaw (Brittany Allen), innovation par rapport aux comics, spoiler: elle se solde par la mort de celle-ci, devenue nuisible pour l'image du super-héros en perte de vitesse. Il ne fait décidément pas bon être une femme dans l'univers de The Boys...
Le syndrome de la "Femme dans le frigo" encore trop utilisé
La "Femme dans le frigo" ("woman in refrigerator" en anglais) est un terme créé sur le net par une fan de comics-books, Gail Simone, pour dénoncer l'utilisation disproportionnée de l'affaiblissement des personnages féminins, tués, blessés, violés ou affaiblis dans le seul but de servir l'histoire du héros masculin. On retrouve ce cliché dans tout un pan de la pop culture et des films d'action : Max Payne, Taken, John Wick, Gladiator... Particulièrement répandu dans les comics, ce terme provient de la série des Green Lantern, dans lesquels le héros, Kyle Rayner, découvre le cadavre de sa petite amie, assassinée par un ennemi, dans son réfrigérateur.
Dans The Boys, ce cliché est utilisé pas moins de deux fois. La première dès la séquence d'introduction de la série, dans laquelle la petite-amie de Hughie (Jack Quaid) est accidentellement tuée sous ses yeux par A-Train d'une manière particulièrement affreuse. Cette mort sert de point de départ à l'intrigue de Hughie, et de leitmotiv pour le faire rejoindre la bande de mercenaires menée par Butcher (Karl Urban). Et c'est ce même Butcher qui incarne la deuxième occurence du cliché de la femme dans le frigo, puisque nous découvrons au fil des épisodes que spoiler: sa propre femme est morte après avoir été violée par Homelander. Aveuglé par la douleur, Butcher agit depuis dans le seul but de se venger du super-héros. Contrairement à la bande-dessinée, la série prend le parti de maintenir son épouse en vie dans le cliffhanger de la saison 1 (et l'auteur de ces lignes ne connaît à ce jour pas l'issue de cette intrigue dans les comics). Mais force est de constater qu'une nouvelle fois, le prétexte de la mort brutale d'un personnage féminin est utilisé pour faire avancer l'intrigue d'un personnage masculin principal.
Il n'est pas étonnant de retrouver ce cliché, très courant dans les comics, dans l'oeuvre de Garth Ennis : il est plus surprenant de le retrouver adapté en l'état dans une série en 2019 sans qu'un degré de lecture supplémentaire y soit apporté - et quand bien même ses propres créateurs revendiquent d'avoir tenu compte de l'évolution des moeurs à ce sujet et avoir conscience de l'importance d'une représentation juste de leurs héroïnes.
Alors que la saison 2 de la série est en préparation et incluera une nouvelle actrice à son casting, laissons le bénéfice du doute à Eric Kirpke et aux co-créateurs de The Boys quant à la suite des événements, et à la possibilité d'une évolution moderne et pertinente de l'ensemble de ces personnages féminins à fort potentiel.
Retrouvez la saison 1 de the Boys en intégralité sur Amazon Prime Video :