Damon Lindelof est venu présenter la série Watchmen durant les TCA (Television Critics Association), l’un des projets phares de HBO qui entend donner une suite au comic-book culte d’Alan Moore et Dave Gibbons. Une entreprise périlleuse pour une œuvre qui a déjà été adaptée au cinéma (par Zack Snyder) et qui avait également connu un préquel en version papier intitulé Before Watchmen. De quoi rendre un peu grincheux Alan Moore, l’auteur barbu ne goûtant guère les différentes adaptations de ses oeuvres (V pour Vendetta ou encore La Ligue des Gentlemen Extraordinaires). A ce titre, le directeur des programmes de HBO Casey Bloys a confirmé que l’écrivain n’avait pas souhaité participer à la série.
Robert Redford est le nouveau président des États-Unis
Dans le comic-book original, Richard Nixon n’a pas démissionné des suites du Watergate et est donc toujours président des États-Unis en 1985. Ronald Reagan n’aura donc pas connu les privilèges de la Maison Blanche mais Hollywood peut néanmoins toujours se vanter d’avoir collé un acteur dans le fauteuil du dirigeant : « Robert Redford est le président des États-Unis dans la série et ce, depuis le début des années 90, puisqu’ils ont aboli la limite des mandats » révèle Damon Lindelof « nous nous sommes concentrés à explorer ce qui aurait pu arriver si un homme blanc libéral très bien intentionné était président aussi longtemps ».
L’idée est alors d’inverser les rôles. Alors que les États-Unis sont actuellement dirigés par une ex-célébrité très conservatrice dans un pays où l'ambiance n’est pas au calme, Lindelof entend mettre une personnalité aimée de tous et de montrer que malgré tout, le résultat pourrait déboucher sur une situation similaire. « Nous essayons de réfléchir aux moments où des Blancs bien intentionnés tentent d’améliorer les choses et nous plaçons le public sur les conséquences inattendues de ces intentions ». explique le showrunner.
L’ennemi vient de l’intérieur
L’oeuvre originale se déroulait durant des années 80 uchroniques plongées en pleine guerre froide. L’opposition entre les blocs de l’est et ceux de l’ouest risquait alors d’entraîner le monde dans une nouvelle guerre mondiale avec la menace nucléaire à l’horizon.
L’action de la série se déroule en 2019. Exit les russes et la bombe atomique, l’ennemi vient de l’intérieur : « il y a quatre ou cinq ans, j’ai découvert Le Procès de l'Amérique. Plaidoyer pour une réparation de Ta-Nehisi Coates » raconte Lindelof « c’était la première fois que j’entendais parler du Black Wall Street et des émeutes de Tulsa ; je me suis senti un peu honteux et confus de découvrir cette histoire que maintenant. Alors, j’ai acheté et lu The Burning. C’était le début de mon éducation. [...] Watchmen était une oeuvre très politique, c’était au sujet de ce qui se passait dans la culture américaine, même si c’était raconté par le prisme de deux auteurs anglais. Quel est l’équivalent en 2019 de l’impasse nucléaire entre la Russie et les États-Unis ? C’est indéniablement les questions de races et de police en Amérique ».
Événement peu connu de l’histoire américaine, l’émeute raciale de Tulsa est l’un des plus violents épisodes de brutalités raciales aux États-Unis. Elle a eu lieu dans le quartier de Greenwood à Tulsa (Oklahoma) qui a vu débarquer une foule d’américains blancs attaquer les habitants de cette communauté afro-américaine. Ce quartier fut surnommé le Black Wall Street en raison de l’essor économique qu’ont réussi à mettre en place ces résidents dans une Amérique où la ségrégation est toujours active dans un contexte où les tensions sont amplifiées par la renaissance du Ku Klux Klan.
Dans le pilote, les forces de l’ordre se font attaquer par des suprémacistes blancs. Un sujet épineux qui n’entend pas inverser les rôles et que Lindelof n’a pas abordé à la légère : « cette idée a commencé à grandir dans l’univers de Watchmen et devait être présentée de façon responsable » ajoute le showrunner « mon souhait est qu’à travers les neuf épisodes de la saison, on arrive à une meilleure compréhension. Nous avions conscience de ces contradictions dans notre narration et avons essayé de faire au mieux de nos capacités. Il n’y a pas de réponses faciles, ni de merveilleuses solutions. [...] On ne gagne pas contre les suprémacistes blancs, cela fait d’eux un formidable ennemi ».
En faisant de la police les victimes de l’histoire, est ce que Damon Lindelof ne risque-t-il pas d’altérer le propos initial de la saison ? « Est ce que la police sera montrée sous un jour héroïque ? La réponse est certainement non. Watchmen ne s’intéresse pas aux héros, méchants, vilains bons ou méchants. On examine les institutions et la politique ».
Une Amérique sans internet
Watchmen se déroulera dans un quotidien qui ressemblera à notre année 2019 mais avec quelques twists chères aux uchronies. Premières victimes : les smartphones et internet. « Nous avons créé un monde qui ne dispose pas d’internet. Les gens n’ont pas de smartphones. » révèle Lindelof. Est ce une réponse aux nombreuses campagnes agressives qu’a subi l’auteur de Lost sur les réseaux sociaux ? Ou bien anticipe-t-il la réaction de fans pugnaces ? Il est certains qu’avec Watchmen, le showrunner se prête à nouveau à la vindicte geeko-populaire, du moins bien plus qu’avec The Leftovers. Toujours est-il que ce choix s’inscrit également dans une réflexion plus large : « en tant que parent d’un enfant de 12 ans, l’une des principales choses dont je parle avec d’autres parents c’est quels effets les écrans et les réseaux sociaux ont sur notre culture ? Cette inquiétude est profondément intégrée dans les thématiques de la série ».
Le comic-book sera respecté
Bien qu’il s’agit d’une suite qui n’a pas été supervisée par Alan Moore, Damon Lindelof n’entend pas trahir son esprit. Il entreprend d’emprunter une nouvelle route, d’être dans l’inédit mais rappelle que les fondamentaux seront respectés : « nous n’allons pas tout gâcher. C’est culte. Nous ré-explorons le passé sans le toucher, le comic-book est un canon [au sens religieux du terme]. C’était l’une de nos règles en tant qu’auteurs et scénaristes. Même une fois que nous étions lancés dans la production, tout ce qui s’est passé dans les 12 numéros de Watchmen ne pouvait être altérés. Nous sommes liés à lui et il n’y a aucun reboot ».
Watchmen : une conspiration est à l'œuvre dans la bande-annonce de la série tirée de la BD culteVoilà qui devrait rassurer les fans, le comic-book faisant l’objet d’un culte justifié mais également très possessif. A l’image d’Alan Moore, rares sont ceux qui s’énorguellissent des altérations apportées à l’oeuvre originale. Que ce soit à l’époque du film de Snyder ou au lancement du préquel en comics, Watchmen a suscité de vives réactions parfois disproportionnées, mais le coeur a ses raisons que la raison ignore. Après tout, ils perpétuent la légendaire question : who watch the Watchmen ?¹
Découvrez les premières images de la série :
¹ Qui surveille les Gardiens ?