Les premières images d'Eden donnent assurément le ton et rappellent certains clichés traumatiques. Une cinquantaine de réfugiés débarquent d’un canot de fortune sur une plage grecque. Avec elles, se rejouent les heures les plus sombres de la crise migratoire qui a touché l’Europe ces dernières années. Sous l’oeil médusé de touristes (ou locaux) venus savourer un bain de soleil, des hommes et femmes épuisés tentent de rejoindre le sable chaud et un avenir meilleur. La scène évite tout pathos, se contente d’observer des faits bruts dans leur violente banalité. Cette distance observatrice, sans point de vue marqué, est à l’image de la série. De sa volonté de rendre compte plus que de raconter, elle devient un peu tiède côté dramaturgie mais nécessaire pour raccourcir le temps qui sépare la fiction de sa contemporanéité.
Une fiction contemporaine
Rares sont les séries françaises à s’emparer de sujets d’actualité proche. Comme si notre fiction se devait de marquer un temps d’arrêt, parfois un recul nécessaire mais qui par la force des choses oblige à traiter les idées à froid. On se met alors à rêver des séries outre atlantiques qui brillent aussi dans ce rapport au temps en léger différé, capable de s’emparer des faits avec une réactivité sidérante. En France, exceptée Plus Belle La Vie qui arrive à capter l’actualité, il n’y a que Le Bureau des Légendes qui a instauré une relation de proximité avec notre époque.
Peut-être que la solution se trouve alors dans la co-production, avec Arte comme force motrice. Les deux pôles français et allemand ont ainsi tenté d’ouvrir les vannes d’une fiction internationale, européenne, inscrivant Eden dans une démarche plus vaste appelée Europe2019 qui cherche ainsi à « explorer le continent dans toute sa diversité et sa complexité » indique la note d’intention. Pour se faire, la chaîne franco-allemande réunit Dominik Moll à la réalisation auquel s’ajoutent Constantin Lieb, Laurent Mercier, Felix von Boehm et Pierre Linhart aux scénarios. Une équipe cosmopolite pour une série chorale.
« Montrer des individus avec leurs histoires...»
Les personnages sont ainsi syriens, nigérians, allemands ou grecques. Ils sont réfugiés, accueillent des réfugiés ou les surveillent. Ils (sur)vivent en France, en Allemagne ou en Grèce. Eden montre leur quotidien, un peu au jour le jour. En multipliant les axes, la série se veut complétiste, capturant des faits bruts, dessinant de petits destins, qui une fois assemblés, permettront une vision d’ensemble. Fiction mosaïque nécessaire pour embrasser un sujet aussi vaste et complexe. Il faut savoir à la fois se montrer versatile dans l’approche tout en ayant la perspicacité de ne pas prétendre créer une oeuvre exhaustive. La mini série en 6 épisodes s’applique donc à observer cinq trajectoires, plus ou moins liées entre elle. Et à travers ces trames, développer un regard panoptique sur le douloureux chemin empruntés par les réfugiés dans ce nouvel univers qu’ils ne maîtrisent pas et qui ne semble pas vraiment vouloir d’eux.
Mais comment se montrer à la hauteur d’un tel sujet ? Pour Dominik Moll, c’est « ouvrir quelques petites fenêtres à travers ces destins de personnes, de mettre en avant l’humain, l’émotion, de montrer des individus avec leurs histoires, tout en restant dans les ressorts de la fiction ». Un programme riche et complexe qui entend à la fois capter l’ère du temps sur ce qu’évoque, à l’échelle européenne, la crise des réfugiés mais aussi montrer des destins plus personnels qui gravitent autour des flux migratoires, « montrer également combien des personnes en Europe pouvaient souffrir des difficultés financières au quotidien, d’aborder également un versant plus économique et administratif à travers le personnage de Sylvie Testud concernant la gestion des camps », ajoute Dominik Moll.
Se servir de l'expérience des comédiens
Pour concrétiser cette démarche, l’écriture s’est entourée de l’avis de consultants, d’aides annexes mais a pu également bénéficier de l’expérience personnelle de certains de ses acteurs. C’est le cas notamment de Jalal Altawil, acteur syrien qui a lui-même fuit la dictature de Bachar el-Assad : « quand j’ai découvert le script, la première question que je me suis posé c’est “ pourquoi je suis réfugié ? ” Ce n’était pas explicite dans le scénario. Alors on en a discuté avec Dominik Moll et j’ai pu mettre un peu de moi dans la série. Les scènes les plus difficiles furent celles où je parle de mon expérience dans la prison, parce qu’on a utilisé ma propre histoire. j’ai indiqué les mensurations de la cellule, on a utilisé mes propres cicatrices ». Une proximité qui permet de toucher à la fois de sujets importants mais à une échelle humaine, individuelle et surtout « agit comme garde-fou pour éviter de raconter n’importe quoi » ajoute Dominik Moll.
On sent dans la démarche du réalisateur cette volonté de se montrer juste, de tenir la bonne distance quitte à faire dans l’excès de prudence. C’est toujours le risque quand on aborde des histoires plus ou moins adaptées de faits réels. La volonté d’être aussi bien fidèle que respectueux bloque un peu les velléités artistiques. Car si la mise en abîme des expériences des comédiens nourrit forcément la fiction, certains arcs narratifs semblent la contraindre. Quelques accrocs qui se justifient aussi probablement par les réécritures constantes qu’a subi le scénario au cours du tournage et que le dispositif très lourd par pays n’a pas dû toujours rendre possible la flexibilité.
Un manque de romanesque
En diffusant Eden, Arte remplit l’une des missions que l’on attend de la chaîne franco-allemande et que l’on devrait trouver plus souvent sur le service publique. A savoir une série bien dans son époque, qui ne craint pas d’aborder des sujets complexes et délicats. Si l’on peut la féliciter de permettre à une telle oeuvre d’exister, on regrettera néanmoins que la fiction est encore un peu timide face à l’instabilité de la réalité. Une réaction sur la défensive qui peut se comprendre par la crainte de ne pas se montrer à la hauteur et d’imaginer qu’injecter trop de romanesque dans une approche qu’on circonscrit au naturalisme des faits est une piste trop glissante et irrespectueuse. N’ayons pas peur de raconter des histoires.
Eden est une mini série de six épisodes. Les trois premiers sont diffusés ce jeudi 2 mai, les trois suivants seont diffusés le 9 mai.