De quoi ça parle ?
Vernon Subutex, disquaire au chômage, se fait expulser de son appartement. En quête d’un endroit où dormir, Vernon sollicite d’anciens amis de la bande de Revolver, son mythique magasin de disques, dont Alex Bleach, rock-star sur le retour. Mais celui-ci meurt d’une overdose et lui laisse trois mystérieuses cassettes vidéo. Alors que Vernon disparaît dans l’anonymat de la ville, il devient l’homme le plus recherché de Paris…
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Le pari d'adapter en série la trilogie littéraire à succès Vernon Subutex était pour le moins audacieux, pour ne pas dire voué à un échec certain. En effet, les précédentes adaptations cinématographiques de Virginie Despentes (Baise-moi, Les Jolies Choses...) tendaient à prouver que l'auteure, son ton et son univers étaient tout simplement inadaptables. Si la création originale Canal+, écrite et réalisée par Cathy Verney (Hard), co-écrite avec Benjamin Dupas (Dix Pour Cent), n'est pas la catastrophe crainte, elle n'a ni la puissance ni la profondeur de l'oeuvre originelle, peut-être parce qu'elle refuse, et c'est assumé, d'aller trop loin dans le glauque et la noirceur, leur préférant toujours la lumière et l'espoir. Il en reste une énergie, une vitalité, de beaux personnages complexes et une vision désenchantée mais pas désespérée de notre société. Et bien trop de compromis. Du Despentes à la sauce Klapisch en somme, même si le réalisateur de l'Auberge Espagnole n'est nullement impliqué dans le projet.
La meilleure version possible d'une mission impossible ?
En partant sur un format déstabilisant de neuf épisodes d'une durée variant entre 31 et 37 minutes, l'équipe a fait le choix de la "dramédie", peu populaire en France, qui permet selon la créatrice de "décloisonner les genres", de favoriser une "liberté de rythme", avec pour objectif d'en faire "une série d'acteurs, d'auteurs, de portraits". Deux ans ont été necessaires pour écrire cette vision de Vernon Subutex, à laquelle Despentes elle-même n'a pas du tout participée. Elle est annoncée comme une mini-série qui n'a pas vocation à connaître de 2e saison et qui ne s'appuie étonnamment que sur les deux premiers tomes, mettant totalement de côté le troisième, jugé "trop noir". Tout va donc très vite, trop vite; Vernon passe d'un canapé à un autre, retrouve des gens qui ont compté dans son passé, en découvre de nouveaux qui vont le marquer; et si les portraits de chacun d'entre eux sont plutôt fins et subtils, ils sont obligatoirement expédiés faute de temps. Il faut passer au suivant.
Trois personnages se détachent, à commencer par Vernon lui-même, bien plus présent dans la série que dans le roman, où des chapitres entiers pouvaient passer sans qu'il n'y apparaisse. Romain Duris est globalement dans une scène sur deux, et campe un Vernon attachant, nonchalant, qui lui ressemble, presque comme un Xavier qui aurait mal tourné. Un choix qui n'était pas évident sur le papier mais qui prend tout son sens à l'écran. "Il est le symbole d'une génération, on l'a choisi pour ça", explique Cathy Verney. "Il cristallise cette époque perdue (...) Il est chargé de ses 25 ans, on l'a vu grandir dans des rôles marquants, il appartient à la mémoire collective. C'est un caméléon capable de se transformer." On sent le comédien habité par le rôle, notamment dans des scènes quasi-christiques où il impressionne. Un Vernon alternatif qui a gardé son super-pouvoir à lui : révéler les gens à eux-mêmes à travers la musique.
Puis il y a La Hyène, personnage déjà culte de l'oeuvre de Despentes, qui perd un peu de son mordant dans la série mais qui n'en reste pas moins marquant et atypique. Le choix de Céline Sallette pour l'incarner, soufflé par Duris, peut naturellement diviser tant chaque lecteur en a imaginé une version qui lui est propre, mais l'actrice lui offre un mélange de dureté et de douceur qui émane souvent de ses interprétations et qui donne une autre dimension au personnage. La Hyène de la série est associée au personnage d'Anaïs. Leur romance ne représentait que quelques lignes dans un chapitre du tome 2, ici elle est centrale, nerveuse et belle. "Une évidence d'en faire quelque chose de plus fort" selon la créatrice. L'élement le plus convaincant de cette alchimie réside en la chanteuse Flora Fischbach, qui s'improvise comédienne pour la première fois avec fraîcheur et naturel. Par ailleurs, mention spéciale pour Florence Thomassin, hilarante dans le rôle de la nymphomane et complètement cinglée Sylvie; et Inès Rau, beau personnage transgenre que l'on aurait aimé pouvoir explorer davantage.
La musique, évidemment essentelle dans Vernon Subutex, épouse la mise en scène de manière assez évidente, en évitant de tomber dans un catalogue de tubes rock. Les morceaux -plutôt pointus- ont ainsi été choisis dès l'écriture des scénarii et ont été envisagés "comme des lignes de dialogues". ils ont d'ailleurs bénéficié d'un budget confortable, que l'on nous dit "7 fois plus important que sur une série habituelle". Certains titres étaient joués directement sur le tournage, pour en garder le rythme et l'énergie. On décèle aussi une mélancholie à travers eux. Une nostalgie aussi, forcément.
Vernon Subutex ne manque pas de défauts, à commencer par celui de vouloir verser plus souvent dans la comédie que dans le drame, allégeant ainsi la gravité de sa source et attuénant son propos engagé et fort. La série Canal+ se laisse suivre sans déplaisir, mais elle n'est en rien une proposition radicale et chaotique. Et Vernon Subutex se devait d'être radicale et chaotique pour être réussie.