Entre l’élève doué et le hors sujet
Petite surprise de la saison 2017/2018, Counterpart était parvenu à se frayer un chemin pour attirer l’attention. Sa science-fiction low cost, son espionnage à l’échelle des mondes parallèles, comme un Fringe dégraissé de ses effets ostentatoires. De singulière curiosité, elle est passée à série attendue avec à la clé la pression de devoir confirmer les espoirs placés en elle. Et si cette saison poursuit le travail très appliqué entamé l’année dernière, se dégage la frustration de ne peut-être pas avoir abordée le sujet selon le bon angle.
Counterpart s’est parfois montré obscur dans ses jeux d’espionnage où la notion de double prend une toute autre ampleur comme il faut aussi composer avec deux versions d’un même personnage. Une densité narrative qui affichait un projet ambitieux, exigeant et bien tenu mais donnait parfois l’impression d’effectuer un exercice périlleux. Le risque de perdre le spectateur en route, voire de se perdre tout court dans les méandres d’un récit trop nébuleux. La seconde saison affiche en réalité une belle clairvoyance. On sait mieux qui est qui et qui fait quoi, tout en ménageant quelques beaux rebondissements et un goût du récit qui avance. Mais cette soudaine mise en lumière permet aussi de révéler un problème qu’on n’avait pas vraiment soupçonné.
Et si..?
Vient alors le jeu des « et si..? ». Et si tout l’intérêt de la série ne résidait pas dans le côté technique de l’espionnage mais dans ces trajectoires de personnages brisés ? C’est dans les moments plus intimes où les effets reposent sur l’affect et l’humain que Counterpart dégage sa puissance narrative. On se rêve alors d’une série qui laisse en arrière plan les enjeux principaux à l’intérêt tout relatif et un peu convenu pour mieux se concentrer sur ce qu’implique moralement, humainement, philosophiquement et émotionnellement l’existence d’une terre parallèle, semblable au nôtre à quelques détails près.
A ce titre, l’épisode 6, Twin Cities, est symptomatique : un flash back qui raconte la découverte de cette terre miroir. Cela pourrait donner lieu à des effets grandiloquents, un traitement spectaculaire et emphatique mais non, la série se concentre sur une petite poignée de scientifiques, gardant le secret pour eux et entamant les démarches qui vont amener au fonctionnement que l’on connaît. Mais ce qui interpelle, c’est la création du point de divergence. Où comment un acte a priori anodin va amener les deux mondes à emprunter des chemins différents. Un simple cadeau que l’on choisit d’offrir ou non et qui, tel l’effet papillon, va provoquer de grandes catastrophes. La guerre secrète que se livrent les deux mondes, les mouvements dissidents et fanatiques, les attentats, la pandémie, tout résulte d’un simple cadeau que l’on a offert ou non et d’un homme dont la vie d’en face était un peu plus belle que la sienne.
Dans ce rapport à l’autre, dont la vie différente va susciter compassion ou jalousie la série se montre particulièrement inspirée pour agiter les consciences et créer de beaux et douloureux moments. C’est l’enfant que l’on a jamais eu que l’on visite, la femme qu’on a aimé que l’on retrouve même si ce n’est pas notre vie, la personne dont on a pris la place, des chocs psychologiques ou émotionnelles qui amènent la série sur un terrain plus accidenté que les rouages bien trop classiques et calculés de l’espionnage. Il y a finalement plus d’intensité dans un dialogue que dans la course contre la montre pour empêcher un attentat ou échapper à l’étau qui se referme. C’est tout le paradoxe d’une série qui a bâti une mythologie ambitieuse, vaste terrain de jeu sans limite mais qui s’exprime mieux dans les rapports humains.
Manego
Au jeu de Go, on appelle Manego la stratégie où l’on reproduit exactement les coups de l’adversaires. La solution la plus évidente pour contrer est alors de placer un pion au centre du goban (le plateau), rendant impossible toute symétrie. Thème central de Counterpart (reproduction et divergence), avec son épisode final et l’impression de conclusion ouverte qui y règne, on pouvait penser que les auteurs avaient placé la pièce qui allait rendre tout son équilibre instable. Mais l’annulation de la série annoncée par Starz, son diffuseur, vient peut-être de tuer définitivement la partie. La multiplication des plateformes a prouvé désormais qu’il ne fallait pas pleurer trop tôt les disparus, les résurrections étant nombreuses. Néanmoins la frustration domine. Celle de voir une série s’arrêter alors qu'elle aurait probablement encore des choses à dire. Et celle d’avoir vu une saison qui ne s’est pas suffisamment délivrée. Est ce que l’on a envie de voir une suite ? Oui mais pas n’importe laquelle.