Menacé d'interdiction à l'approche de sa sortie, en raison de l'agenda judiciaire, Grâce à Dieu, le dernier film en date de François Ozon, sur l'affaire du père Preynat et plus largement sur le sujet de la pédophilie dans l'Eglise et la libération de la parole, s'apprête à sortir en DVD / Blu-Ray. L'occasion pour nous de revenir sur un point que nous avions évoqué avec François Ozon lorsque nous l'avions rencontré en février dernier. Faut-il voir en Grâce à Dieu une sorte de Spotlight à la française comme cela a été dit ici et là (une affiche de ce film peut même être aperçue dans ce film). Voici sa réponse :
"Spotlight, ce sont les victimes qui m'en ont parlé. Je n'y ai pas pensé tout de suite, d'abord parce que Spotlight, pour moi, c'est un film sur le journalisme, sur une enquête. Mon film est sur les victimes, même si le cas de la pédophilie à Boston est extrêmement bien traité dans Spotlight. Mais c'est vrai que pour eux, ce film a été très important, car quand ils l'ont vu, ils ont été à la fois découragé car ils se sont dit 'ce combat que ces gens ont mené il y a 20 ans a permis que les choses ne soient toujours pas réglées, et en même temps, ça leur a donné une force.
Spotlight a quand même eu des incidences très fortes aux Etats-Unis
Je pense que s'ils ont accepté de témoigner pour moi, pour ce film, c'est pour qu'entre guillemets, on fasse une sorte de Spotlight à la française, car on sait que Spotlight a quand même eu des incidences très fortes aux Etats-Unis : les autorités religieuses ont pris des dispositions suit au film. Ils se sont dit 'si on accepte que notre histoire soit racontée, on espère que ça aura le même effet en France et en Occident en général.
Et d'ajouter : Ce film aurait pu se passer ailleurs qu'à Lyon. Il aurait pu se passer en Amérique du Sud ou en Allemagne car on sait qu'il y a des cas de pédophilie dans l'Eglise dans tous les pays. Ca aurait pu être à Boston aussi comme dans le film Spotlight. On a essayé de raconter l'histoire le plus simplement possible et sans être ennuyé par quiconque.
Lorsque nous avions rencontré François Ozon pour la promotion du film, il était revenu en détails sur sa démarche : "Pour ce film j'ai fait une grande enquête, une enquête journalistique. J'ai rencontré plusieurs membres de "La Parole Libérée". J'ai rencontré leur entourage, leurs parents, leurs enfants, leurs frères et soeurs. Et de toutes ces rencontres, j'ai senti une grande complexité. Ce n'est pas les bons et les méchants. C'était beaucoup plus fin, beaucoup plus humain et beaucoup plus intéressant."
Il ne fallait pas faire un film à charge
Il poursuit : "Je me suis rendu compte qu'il ne fallait pas faire un film à charge. C'est un film qui essaye d'exprimer des choses compliquées, montrer que des gens sont aussi victimes au sein de l'institution, que chacun joue son rôle, que chacun essaye de faire le mieux possible... Et c'est une catastrophe en fait, puisque l'histoire de ce prêtre qui n'a jamais nié avoir abusé des enfants et avoir des problèmes avec les enfants a pu pendant trente ans être au contact d'enfants. Je n'avais pas envie de faire un film politique au sens où je donnais des solutions mais plus un film citoyen dans lequel je pose des questions. D'ailleurs le film se termine par une question. Donc c'est un film qui ouvre le débat, qui permet d'essayer de mieux comprendre et à partir de cette compréhension de trouver des solutions."
"On a pris la décision, en ce qui concerne le prêtre et le cardinal, et aussi une psychologue de l'Eglise, de garder les vrais noms. Parce que leurs noms avaient déjà été publiés. Tout ce que je raconte sur l'affaire était déjà publié dans la presse. Il y a eu des livres qui ont été écrits. Il y a eu des documentaires, des reportages télé... Tout ça était déjà connu. Je ne révèle rien. Ce que je révèle, c'est sur l'intimité des victimes. Quelles ont été les répercussions dans leur vie ?
On a gardé ces noms pour bien inscrire le film dans une réalité
"Donc très vite nous avons décidé, parce que ça aurait été hypocrite de changer les noms, d'appeler le Cardinal Barbarin le Cardinal Baratin... C'était ridicule. Donc on a gardé ces noms pour bien inscrire le film dans une réalité. C'est une fiction basée sur des faits réels. Ca me semblait important que le public en voyant ce film sache que cette histoire s'est vraiment passée à Lyon entre 2014 et 2016. C'était ça qui était vraiment primordial pour moi.
Après, par rapport aux victimes, comme on parle de leur vie privée, c'est-à-dire de leur rapport avec leurs enfants, leurs épouses, leurs parents, il fallait protéger cet entourage, notamment les enfants qui sont, pour la plupart, mineurs. Je ne voulais pas leur faire porter le poids qu'aurait pu être ce film, bien que les victimes n'arrêtent pas de témoigner. Ils assument et d'ailleurs ils m'ont dit que je pouvais garder leur nom dans le film sans problème. Mais moi, c'était plus pour protéger leurs enfants."
"C'est vrai que c'est un film qui a été difficile à produire, parce qu'a priori la pédophilie dans l'Eglise, ce n'est pas très bankable pour les financiers et les chaines télé. Donc on a eu un peu de mal à faire le film, mais je pense que le fait d'avoir fait d'autres films précédemment, qui ont eu un peu de succès, ça a permis que le film se fasse. Mes producteurs sont des producteurs solides. C'est Mandarin Production. Ils croyaient au projet. Donc le film a réussi à se monter, avec des difficultés financières, mais quand même il existe. C'est vrai que si j'avais été un jeune réalisateur et que ça avait été mon premier film avec une petite boite de production, je pense que le film n'aurait pas pu exister."
Grâce à Dieu sera disponible en DVD - Blu-Ray à partir du mercredi 3 juillet.
Grâce à Dieu : éviter le film à charge et ouvrir le débat, selon François Ozon
Propos recueillis en février 2019 à Paris, par Brigitte Baronnet