Une nouvelle menace ?
Les séries américaines ou anglaises ont toujours tendu un court fil entre notre réalité et sa représentation à l’écran. Une réactivité sidérante qui a permis à leurs séries d’être des observatrices du monde, en léger différé. En France, Plus Belle La Vie s’est distinguée par cette volonté de simultanéité, exploitant des événements forts (attentats, élections), dans un rapport quasi direct et sans filtre.
Mais c’est surtout avec Le Bureau des Légendes qu’une production hexagonale a pu rivaliser avec ses homologues anglo-saxons. Depuis quatre ans et autant de saisons, elle s’illustre dans un contexte géopolitique proche de nous. Sa dernière en date identifie la menace informatique russe, coupable d’ingérence avec les élections américaines. Les russes sont aussi les grands méchants de la septième saison d’Homeland, accusés d’exploiter la fragilité de la démocratie américaine, en misant sur l’instabilité de sa présidente.
La menace terroriste est devenue moins évidente ou automatique dès lors que l’on s’approche des conflits géopolitiques. Intrigue parallèle dans Le Bureau des Légendes, où Jonas (Artus) court après un suspect à travers le Moyen Orient pour tenter de déjouer un attentat sur le sol français ; ou presque anachronique dans l’adaptation de Jack Ryan par Carlton Cuse (Lost) avec John Krasinski (Sans un Bruit). La tentative de transposer le classique de l’espionnage des années 80 à notre époque s’est soldée par un résultat pataud et par moment irresponsable (les parties françaises où le 93 est assimilé à un « quartier musulman »). Peter Kosminsky avec The State a tenté de mixer le documentaire et la fiction en prenant la trajectoire de trois anglais souhaitant s’enrôler avec Daesh. Accueillie froidement par des spectateurs l’accusant de promouvoir les départs vers le groupe terroriste, la série échoue à prendre possession de son sujet, étouffée par ses velléités réalistes.
Un repli sur soi
L’élection de Donald Trump a fragilisé les Etats-Unis. Dans ce contexte bien particulier, des séries américaines ont choisi l’autocritique, le regard tourné vers l’intérieur. Une façon d’un peu moins regarder chez le voisin et de consacrer son énergie à évaluer les avaries. Dans The Looming Tower, il s’agit d’une cartographie des nombreux accrocs dans la communication entre les différents services du renseignement, qui ont permis à Al Qaeda à commettre les attentats du 11 septembre. Adapté de l’essai du journaliste Lawrence Wright, auréolé du prix Pulitzer en 2017, la série dresse un portrait d’institutions gangrenées par les égos, incapables d’une conduite transversale. Dans la saison 7 d’Homeland, c’est la division idéologique d’un pays, où il est question de conflits raciaux, identitaires et culturels, à l’image d’une présidente dont la position est fragilisée par ses excès de vengeances.
Sur l’espace géopolitique, les séries se sont montrées finalement prudentes et ont davantage consacré de force à panser ses plaies. Un repli sur soi qui s’explique peut-être par la crise identitaire qui frappe aussi bien les Etats-Unis que l’Angleterre ou la France. Il a peut-être manqué de l’inspiration et de l’audace pour rendre compte des complexes évolutions du monde, ou bien la réponse se trouve peut-être dans l’interrogation autour des flux migratoires, qui a tristement marqué l’année 2018.