Julien Dray avait admis à l'issue de la diffusion de la première saison de Baron Noir : “Le Baron noir, c’est moi.” Presque deux ans plus tard, après avoir été vue et souvent appréciée par tout ce que la France peut compter d'hommes et de femmes politiques - l'ancienne Ministre de l'éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem l'aurait visionnée en boucle selon les créateurs - la remarquable création originale de Canal + est de retour. Si Julien Dray se fait discret dans la réalité, comme de nombreux ténors du Parti Socialiste, Phillipe Rickwaert, lui, toujours impeccablement incarné par Kad Merad, est bien présent, mais il agit tapi dans l'ombre désormais. A peine sorti de prison après ses magouilles pour protéger le Président de la République Francis Laugier (Niels Arestrup), il doit faire face à un paysage politique en pleine mutation, une recomposition dont il ne peut accepter de ne pas faire partie d'une manière ou d'une autre et quel qu'en soit le prix. Bref, Rickwaert est toujours Rickwaert, ce drogué de la politique qui ne respire que pour elle.
Baron Noir : pourquoi Niels Arestrup n'est pas dans la saison 2Le personnage d'Anna Mouglalis monte en grade puisqu'au démarrage de la saison 2, la candidate à l'élection présidentielle Amélie Dorendeu l'emporte en suivant la stratégie très risquée de Rickwaert, son ex-amant, contraint à devenir un conseiller quasi clandestin. Une nouvelle dynamique s'installe alors, pas si éloignée de la réalité et de la victoire d'Emmanuel Macron, complétée par l'arrivée de Pascal Elbé (Stéphane Thorigny), sorte de François Bayrou plus fringuant, et les présences renforcées d'Hugo Becker (Cyril Balsan) et de François Morel (Michel Vidal), dont la ressemblance avec Jean-Luc Mélenchon dans le comportement est frappante et n'est évidemment pas le fruit du hasard, d'autant que l'un des scénaristes l'a cotoyé de près. Si le petit jeu des ressemblances est inévitable, les personnages sont suffisamment bien écrits et interprétés pour offrir plus qu'un ersatz de la réalité qui aurait été vain.
Pourtant écrite à partir de janvier 2016, bien avant que le candidat d'En Marche! ne se déclare, cette deuxième salve de huit épisodes réalise ainsi un double exploit : celui de faire aussi bien, si ce n'est mieux, que la première, et ce malgré des attentes énormes qui n'attendaient qu'à être déçues, et celui de donner une véritable leçon de politique qui raconte, à quelques détails près et de manière détournée, dans une sorte de monde parallèle, l'histoire de la France telle que nous la vivons à l'heure actuelle. Pourquoi en est-on arrivé là et comment ? Les scénaristes Eric Benzekri et Jean-Baptiste Delafon n'ont pas seulement écrit une bonne série, ils ont aussi fait preuve d'une intuition dingue, née d'une analyse fine -peut-être ont-ils eu un peu de chance aussi ?- et redonnent, à leur manière, un peu foi en la politique. Malgré les coups bas, malgré les trahisons, malgré les manipulations en tous genres, ces personnages ont des idéaux, ces auteurs aussi, et eux réussissent à en faire quelque chose : une oeuvre importante qui témoigne comme aucune autre de notre époque.
Si l'on devait lui faire quelques reproches, on dirait que les dialogues sur-écrits de Rickwaert ou de Vidal, bien que jouissifs, sonnent parfois un peu faux et gagneraient à être un peu moins vulgaires; que les vies intimes des protagonistes, présentes en saison 1 mais sacrifiées ici nous manquent un peu et auraient donné quelques moments de respiration bienvenus; que huit épisodes, c'est vraiment trop peu, ce qui force les scénaristes à survoler certains thèmes de société, pourtant au coeur du débat, qui auraient mérité d'être approfondis, tout comme certains moments-clés comme le procès de Rickwaert, baclé.
RADICALE
Si la saison 2 de Baron Noir devait être résumée en un mot, ce serait "radicale". Elle est vraiment politique, du début à la fin, elle s'assume comme telle. Plus d'intrigues amoureuses soapesques par exemple. Les auteurs la voulait "à l'os" et se sont débarrassés de ce qu'ils considéraient comme superflu : "On a essayé de toujours dramatiser la matière politique de manière romanesque sans jamais aller ailleurs." Cela s'explique aussi par le fait qu'il ne s'agit plus de la conquête du pouvoir mais de l'exercice du pouvoir, en se plaçant cette fois à l'Elysée même, au coeur du réacteur.
TECHNIQUE
La saison en devient difficile à suivre parfois, car très technique, mais c'est aussi ce qui en fait sa force. Un choix totalement assumé par les auteurs : "L'important pour nous c'est que l'on comprenne l'enjeu politique et l'enjeu humain. Ensuite, on ne voulait pas avoir des personnages qui parlent ensemble mais pour les téléspectateurs comme dans beaucoup de séries. On assume que comme dans Urgences, qui a un chirurgien qui parle à un autre chirurgien, on a un politique qui parle à un autre politique, et ça peut être parfois complexe parce que la politique c'est complexe et car à leur niveau de responsabilité, ce sont aussi des techniciens de la politique."
FEMINISTE
Si Baron Noir n'est pas la première série française à avoir non pas un Président mais une Présidente -on se souvient de L'état de Grace ou Les Hommes de l'Ombre- c'est certainement celle qui en propose le traitement le plus convaincant : "Son genre n'influence pas ses décisions (...) On est partisan de la normalistion la plus totale. On ne veut pas surligner [le fait que ce soit une femme]. On s'est posé cette question : comment une femme peut-elle devenir Présidente de la République, qui plus est une femme qui n'a jamais été élue auparavant, qui est à la droite de la gauche et qui n'a que 39 ans ? Et la réponse a été : en battant à plate couture son adversaire lors du débat présidentiel. Ce qui s'est d'ailleurs vraiment passé au final, mais pas avec une femme."