On ne présente plus Ovidie. Actrice de films X au tout début des années 2000, puis cinéaste prônant une pornographie féministe, et enfin documentariste qui a fait beaucoup parler d'elle en 2011 avec son reportage Rhabillage diffusé dans le cadre de l'émission Envoyé Spécial. Six ans après s'être consacrée aux difficultés posées par la reconversion des hardeuses, elle s'attaque, via sa nouvelle réalisation intitulée Pornocratie, aux dérives engendrées par la très libre circulation des vidéos pour adultes sur le web.
1,2 million d'années de vidéos pornographiques visionnées en six ans, plus de 100 milliards de pages visitées chaque année sur des sites de streaming, des chiffres qui ont de quoi donner le vertige... Partant de ce postulat, ce documentaire passionnant programmé aujourd'hui à 20h50 sur Canal + dresse un constat peu reluisant, voire glauque, des mutations récentes qu'a connues le marché mondial du sexe. Un marché qui, malgré ce que pourraient laisser penser ces données chiffrées, n'a jamais été aussi mal en point.
Les Proies, Les Prédateurs, La Pieuvre, Uber-Sex
Les raisons à une telle situation de crise, Ovidie les expose avec un salutaire didactisme à travers quatre chapitres. Le premier, Les Proies, s'intéresse aux hardeuses qui ont vu leurs conditions de travail se détériorer considérablement et leur cachet emprunter le même chemin. Sur les tournages à Budapest ou Los Angeles, elles sont parfois contraintes à se soumettre à des pratiques extrêmes et à s'exposer à une recrudescence des infections sexuellement transmissibles.
Le deuxième chapitre, Les Prédateurs, met en lumière l'essor anarchique des "Tubes" tels que YouPorn et PornHub responsables, via leur offre illimitée, gratuite et illégale, de la fermeture de nombreux studios de production disons plus traditionnels. On en apprend ainsi davantage sur ce Fabian Thylmann, jeune informaticien allemand devenu roi du porno au tournant des années 2010 grâce au rachat des plus gros studios et sites de l'industrie du X.
Le troisième chapitre, La Pieuvre, dénonce quant à lui la nébuleuse mafieuse qui agit dans l'ombre de compagnies ayant pour dénominations Manwin ou Mindgeek. Evasion fiscale, blanchiment d'agent, menaces de mort... La démonstration prend ici des allures de véritable thriller.
Et pour terminer, un quatrième chapitre, Uber - Sex, est consacré à ce nouveau filon lucratif que constituent les live cams, "forme de peep-show 2.0". Ovidie nous amène alors à la rencontre d'un des acteurs incontournables de ce secteur, la firme LiveJasmin, "grande compagnie informatique qui génère des milliards de visites et qui n'a aucune connexion avec la main d'oeuvre en bout de chaîne", à savoir les camgirls.
Dans la globalité de ce travail d'investigation très poussé, la vision est noire, voire désespérée, éloignée des clichés de l'âge d'or du X encore trop souvent véhiculés par les médias. Le mérite d'Ovidie, c'est également d'avoir su insuffler une certaine universalité à son propos en confrontant un point de vue humain, relatif à l'intime, à celui, plus macro, d'une dynamique économique folle, voire criminelle.