Pour sa troisième participation à la Compétition cannoise, Park Chan-wook avait la possibilité de faire mieux que le Grand Prix reçu par Old Boy en 2004. Mais il a finalement fait moins bien que le Prix du Jury de Thirst (2009), puisqu'il est tout simplement reparti bredouille de la Croisette, malgré la virtuosité de sa mise en scène et le scénario retors de Mademoiselle. Un long métrage dont le cinéaste coréen nous avait parlé dans la foulée de sa présentation dans le Sud de la France.
AlloCiné : "Mademoiselle" est adapté d'un roman signé Sarah Waters. Qu'est-ce qui vous a donné envie de le transposer sur grand écran ?
Park Chan-wook : C'est la femme de mon producteur, Syd Lim, qui lui a fait découvrir le livre en lui demandant pourquoi il n'en ferait pas un film. Et il est donc venu me voir avec, de la même façon qu'il m'avait fait découvrir la bande-dessinée dont j'ai tiré Old Boy. J'ai donc lu le roman et je l'ai mis de côté, avec l'intention de l'adapter plus tard, car j'avais un autre projet à Hollywood. Mais celui-ci n'a pas abouti car nous ne trouvions pas d'investisseurs, et c'est ma femme qui m'a suggéré de revenir vers ce livre. C'est grâce à deux femmes que ce projet est né.
D'où cette envie de montrer des femmes fortes à l'écran...
Bien sûr ! Jusqu'à Old Boy, les femmes étaient plus discrètes, plus secondaires. Et c'est au moment de réaliser un troisième film sur la vengeance que j'ai eu l'idée de mettre une femme en scène, et de là est né Lady Vengeance. Depuis, les femmes de mes films sont plus dynamiques et prennent plus d'initiatives. Ce sont des héroïnes.
C'est grâce à deux femmes que ce projet est né
Comment décririez-vous l'histoire d'amour au coeur du récit, et la façon dont vous avez approché la passion jusque dans les scènes intimes ?
Pour moi ça n'est pas une relation amoureuse née parce que l'une drague l'autre, ou suite à un coup de foudre physique. J'imaginais plutôt quelque chose qui se créé progressivement, avec deux femmes qui se rapprochent petit à petit physiquement. Je trouvais que cette approche était plus facile avec deux personnages féminins.
On peut d'ailleurs observer la naissance de cet amour de façon assez subtile dans la scène du mime de la servante. Ça n'a rien d'érotique ou de sensuel, mais c'est ce type de choses délicates que j'essaye d'écrire et transmettre.
Les actrices de votre film ont-elles été difficiles à trouver, et notamment l'interprète de Sookee dont c'est le premier rôle au cinéma, à cause des scènes de sexe ?
Kim Tae-Ri, qui joue Sookee, avait fait des pièces de théâtre auparavant, donc elle avait une certaine connaissance du métier d'actrice. Et je l'ai choisie au terme d'une audition, parmi 1500 candidates. Donc je n'ai pas vraiment eu de difficulté à trouver l'interprète du personnage. Et dès le début, je les ai prévenues de ce que je voulais faire, et j'ai discuté avec les actrices pour qu'elles comprennent mon intention et le scénario, que je leur ai détaillé du début à la fin. Grâce à cela, je n'ai pas rencontré de difficultés avec elles pendant le tournage.
Le roman se déroule au coeur de l'Angleterre victorienne. Pourquoi avez-vous choisi de transposer l'action dans la Corée des années 30 ?
J'ai d'abord pensé à respecter le lieu et l'époque du roman, mais j'ai appris qu'une série produite et diffusée par la BBC avait déjà vu le jour [Fingersmith en 2005, ndlr]. Donc même si mon film aurait été différent, ça ne serait pas allé loin donc j'ai complètement changé à ce niveau. Pour pouvoir transposer cette histoire dans le contexte coréen, il me fallait opter pour l'époque de la colonisation japonaise, parce qu'il fallait des nobles et une hiérarchie sociale.
J'avais aussi besoin de la clinique psychanalytique que l'on voit dans le film, et cette époque était la seule au cours de laquelle les deux éléments étaient réunis. Et c'est à partir de là que j'ai songé à ce que l'un des personnages soit japonais, afin d'apporter au récit des éléments nouveaux et plus enrichissants, et de mieux démarquer mon film de l'oeuvre originale.
Le décor est ici très important, et notamment la maison avec la fameuse "salle du dessous", dans laquelle on retrouve un poulpe. Comme dans "Old Boy". Pourquoi cette fascination ?
Dans Old Boy c'est une pieuvre, pas un poulpe, même si les deux sont aussi comestibles l'un que l'autre. Mais le poulple est très présent dans la littérature érotique japonaise et certaines estampes, où il encercle le corps féminin. Ça m'a assez surpris la première fois que j'ai vu ça, mais je n'avais du coup pas besoin de montrer explicitement la scène du poulpe car elle était déjà dans l'imaginaire des gens.
Outre les estampes dont nous avons parlé, avez-vous eu d'autres références artistiques ?
Les vêtements sont d'inspiration japonaise et coréenne, car je tenais à réunir ces deux cultures sur le plan esthétique. Les mélanges ne vont parfois pas ensemble, surtout quand ce sont deux élements très différents, mais je trouve que cela créé une harmonie. Voire quelque chose d'amusant et drôle par moments.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 14 mai 2016