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    Lumière 2016 : Entretien avec Park Chan-Wook – "Il faut cueillir le public."

    Old Boy, Lady Vengeance, Thirst… Chaque film signé Park Chan-Wook est un événement. Le cinéaste coréen est en France pour présenter son dernier long métrage en avant-première, Mademoiselle.

    Institut Lumière / L. Rener

    AlloCiné : Faire des films sur les rapports de force entre maîtres et domestiques est devenu presque une tradition coréenne depuis La Servante de Kim Ki-Young en 1960. Mademoiselle s’inscrit-il aussi dans ce sillon ?

    Park Chan-Wook : Les films de Kim Ki-Young sur ce thème – La Servante d’abord, puis ses différents remake comme La Femme de feu – comptent parmi les plus grands chefs d’œuvre du cinéma coréen. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils m’ont influencé pour Mademoiselle. Après, il existe forcément un lien entre un film qui s’appelle La Servante et The Handmaiden [titre anglais de Mademoiselle qui pourrait se traduire par "La Domestique", ndlr]. D’ailleurs, tout le monde connaît mon admiration sans limite pour Kim Ki-Young, donc je comprends votre idée. D’ailleurs, tout est dans le titre. Chez Kim Ki-Young, le film s’appelle en anglais The Housemaid, qui contient "house", la maison. Le mien s’appelle The Handmaiden, qui contient "hand", la main. C’est le mot à retenir. En effet, en Corée, on distingue les domestiques qui s’occupent de l’entretien de la maison et les domestiques directement en rapport avec le corps. Donc mon film s’intéresse à un rapport beaucoup plus intime entre la servante et sa maîtresse et comment ce contact peut susciter une relation émotionnelle. Dans le cas de Kim Ki-Young, on se concentre d’avantage sur la maison et la séparation entre le premier étage et le deuxième étage. Ce qui compte, dans son film, c’est l’espace et l’intrusion. Ce qui prévaut dans le mien, c’est plutôt les rapports humains.

    The Jokers / Bac Films

    Vous adorez Hitchcock et certains plans de Mademoiselle (surtout le dernier) font penser à une célèbre métaphore subversive dans La Mort aux trousses, justement !

    Il y a une similarité dans le fait que les deux films se terminent par un rapport sexuel dans un transport en commun, l’un dans un train, l’autre sur un bateau. Je n’y avais pas pensé mais maintenant que vous le dites, ça m’intéresse beaucoup. Quand Tuffaut a interrogé Hitchcock sur ce fameux plan, Hitchcock lui a répondu que l’allusion était tellement évidente que ce n’était même pas la peine d’en parler. Un train qui entre dans un tunnel, tout le monde a compris ! Mais je vois bien le lien que vous établissez. On laissera le public se faire une idée.

    Un autre élément hitchcockien est presque devenu une marque de fabrique dans le cinéma coréen, les outils de bricolage dont on fait des armes. La paire de ciseaux du Crime était presque parfait, par exemple.

    Oui, comme dans Thirst, ceci est mon sang.  Le personnage de Tae-Joo, jouée par l’actrice Kim Ok-vin, se tue à la tâche comme confectionneuse de vêtements traditionnels. Les ciseaux représentent son outil de travail, l’objet qui l’asservit. Ensuite, elle détourne son usage pour tuer et sucer le sang de ses victimes. Donc le détournement de cet objet devient source de plaisir. Dans Old Boy, c’est différent. Le héros se sert d'un marteau, mais en improvisant. Dans Mademoiselle, un objet est détourné comme dans Thirst : les boules de geisha. Quand le personnage d’Hideko est asservi, elle doit faire la lecture à des hommes et leur raconter des scènes d’amour entre deux femmes. L’objet est alors destiné au plaisir des hommes. Plus tard, quand elle tombe amoureuse de Sookee, l’objet devient une source de plaisir pour elles deux. Vous voyez, on est déjà loin d’Hitchcock et des fameux ciseaux du Crime était presque parfait !

    Le Pacte

    Justement, Old Boy a beaucoup fait parler de lui pour ses scènes de violence ou sa virtuosité technique. On en oublie presque qu’il s’agit d’une relecture du mythe d’Œdipe !

    Pourtant, c’est assez clair : mon personnage s’appelle Oh Dae-Soo, qui est le plus proche équivalent coréen d’Œdipe que j’aie pu trouver. C’est, bien entendu, une version coréenne d’Œdipe.

    Avez-vous vu le remake américain de Spike Lee ?

    Pas encore. J’ai très envie de le voir, mais je l’ai raté. J’étais trop occupé quand il est sorti. J’attends qu’il repasse sur grand écran car c’est ainsi que j’aime voir un film.

    La musique est très importante dans ce film, comme à travers toute votre filmographie. Comment la choisissez-vous ?

    Pour le spectateur, c’est fondamental d’alterner les éléments linéaires et les éléments étranges. Il faut ce mélange pour prendre le public à contrepied. Pour moi, la musique est essentielle. J’essaie souvent d’offrir au spectateur quelque chose de familier, comme de la musique classique, par exemple. Il faut cueillir le public. Mes films sont souvent sombres, noirs, grinçants. C’est important que dans toute cette étrangeté, on puisse cueillir le public avec un élément plus réconfortant.

    Bac Films

    Trouvez-vous des similarités entre la cinématographie coréenne et la cinématographie française, en termes de sujets abordés ou de méthodes de production ?

    Je ne connais pas assez bien le système français pour vous dire si nos façons de travailler sont comparables. Mais moi qui ai travaillé aux Etats-Unis sur le film Stoker, je sais maintenant que dans nos pays, le réalisateur a plus de pouvoir qu’à Hollywood. En Corée, malheureusement, nous avons tendance à aller justement vers ce modèle américain. Les studios ont de plus en plus de pouvoir.

    C’est votre première fois au Grand Lyon Film Festival. Ça vous plaît ?

    Thierry Frémaux m’en a parlé à Cannes. Il m’en a parlé au cours d’une conversation, comme entre collègues qui discutent. Maintenant, je suis déjà très jaloux des Lyonnais car j’aimerais avoir le temps d’aller voir des films. Et j’espère déjà revenir, pas forcément avec un film à moi, mais surtout pour profiter du festival ! J’ai bon espoir : Thierry m’a dit que Mademoiselle était un film intemporel qu’on pourrait revoir sans peine dans une cinquantaine d’années. Du coup, je lui ai dit qu’il n’avait plus qu’à le restaurer d’ici-là pour le diffuser dans cinquante ans. Il m’a promis qu’il y veillerait. (Rires)

    Pendant votre masterclass à Lyon, vous avez affiché une réticence pour la culture japonaise en raison de l’occupation de la Corée par le Japon. Pourtant, Kurosawa est un de vos cinéastes favoris. Pourquoi fait-il exception ?

    L’art, c’est l’art. L’histoire, c’est l’histoire. Vous, en France, vous écoutez bien du Bach, malgré votre passé douloureux avec l’Allemagne. C’est aussi simple que ça.

    La bande annonce de Mademoiselle, dernier long métrage de Park Chan-Wook

    Propos traduits par Park Hwa-Yoon et recueillis par Gauthier Jurgensen à Lyon le vendredi 14 octobre 2016

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