Rencontre avec Eric Rochant, showrunner de la série
Eric Rochant, showrunner de la série, était de la partie. Il raconte son Bureau des Légendes.
Pourquoi le Bureau des Légendes ?
« Ce qui m’intéresse dans Le BDL, c’est que ça permet de parler du monde, d’un engagement très spécifique, de gens qui s’engagent dans une carrière particulière, mystérieuse, séduisante et qui fait à la fois peur. Parler aussi du monde actuel, du point de vue désidéologisé, un peu cynique, mais pas tant que ça, des services de renseignements. L’espionnage, c’est comme le genre policier, avec la géopolitique en plus. Le point de vue du service de renseignement d’un pays démocratique est important. C’est dépassionné, donc intéressant. On a eu envie de sortir du bureau pour mieux mettre en valeur le travail qu’il y a dans cette salle et d’en voir les conséquences sur le terrain. L’intérêt de sortir sur le terrain est de mettre en lumière l’angoisse des services de renseignement. Ce sont des gens comme nous mais ce qui pèse sur leurs épaules, c’est la guerre. C’est ce qui nous passionne et nous impressionne à la fois. »
C’est quoi être showrunner ?
« Showrunner, ça veut dire auteur-producteur. C’est l’auteur principal, qui dirige l’écriture, crée l’univers et le développe avec une équipe. Il maîtrise tout le processus de création, n’a pas de producteur au-dessus de lui. Diriger dix épisodes par an demande impérativement de déléguer : aux auteurs, aux réalisateurs. En délégant on prend le risque de disperser le point de vue et pour l’éviter, il faut un chef d’orchestre qui opère une supervision globale. De l’écriture à la postprod’, en passant par le casting, le tournage. Il faut littéralement conduire le show. Une série, ça repose principalement sur l’écriture et les comédiens. La mise en scène, la facture visuelle, c’est la cerise sur le gâteau. Les grandes séries sont les mieux écrites et les mieux interprétées, par des acteurs qui incarnent les bons personnages. »
« Je travaille beaucoup avec les comédiens, je fais des lectures, on leur explique le texte, parfois on répète alors même que je ne vais pas tourner. Les acteurs passent de main en main, devant la caméra de différents réalisateurs. Quand je vois la qualité de jeu de Kevin Spacey dans House of Cards, c’est absolument énorme. Il tient son personnage. Il est comme Mathieu Kassovitz, il arrive sur le tournage et il sait parfaitement ce qu’il a à faire. Dans une série, on peut créer son propre passé, la saison 1 devient le passé de la saison 2, ce qui est très rare au cinéma. Les personnages deviennent extrêmement consistants. On fait des séries pour approfondir, aller plus loin avec les personnages. »
« Dans ce mode de production à l’américaine, les réalisateurs qui doivent se plier à un certain cahier des charges stylistique. Il faut des gens qui sachent raconter l’histoire d’un autre, ce qui n’est pas si évident en France. La série française évolue dans ce sens. J’ai compris en travaillant sur Mafiosa que si on écrit et réalise en même temps une série, on ne peut pas tenir des délais si courts. »
Une série en résonance avec l’actualité
« Ces personnages, ils vivent des choses qui nous concernent tous : le djihadisme, l’Iran… Quand on rencontre un espion, il y a toutes les chances qu’on se fasse intoxiquer, donc on fait courir notre imagination à partir de tout. On utilise le bon sens, la rationalité. L’ambiance correspond à la réalité, les retours qu’on a eus le confirment. Bien sûr, les détails, la technique, sont un mélange de délires, de bon sens, avec quelques infos véridiques de temps en temps. Sur la géopolitique, on est exclusivement conseillés par Internet, il y a tout ce qu’il faut, la jeunesse dorée de Téhéran s’exhibe beaucoup sur le net. Ils sont dans le monde, ils ne peuvent pas ne pas y être. La société iranienne est faite de contradictions, comme l’Union soviétique. Les éléments de richesse permettent à cette jeunesse d’exprimer son côté subversif. »
« Les attentats concernent plus précisément la DGSI, qui gère la sécurité du territoire. On n’a pas spécialement envie de courir après l’actualité, de traiter de sujets aussi brûlants et aussi douloureux que les attentats. On tournait à Saint-Denis le 13 novembre. L’équipe avait l’âge moyen des victimes, tout le monde connaissait quelqu’un, on était très touchés. On filmait une fête, une scène d’anniversaire dans l’épisode 1 où tout le monde doit partir car il arrive quelque chose. On était en plein dedans. »