"Un physique atypique, une tête de fou et des oreilles décollées", comme aime le décrire son ami Djamel Bensalah... C'est Julien Courbey, un acteur sur lequel le réalisateur du Ciel, les oiseaux et... ta mère ! et du Raid ne pouvait faire l'impasse pour son troisième long métrage, Il était une fois dans l'Oued. Cette fois-ci, il lui a confié le rôle de Johnny Leclerc, un jeune banlieusard qui n'aspire qu'à une chose : faire fortune comme épicier en Algérie. Rencontre avec cet aventurier d'un autre temps, adepte de l'humour... et de l'émotion.
AlloCiné : Ressent-on une certaine pression lorsqu'on se retrouve en tête d'affiche d'un film ?
Julien Courbey : La pression, on l'a toujours un petit peu, c'est normal, qu'on soit second ou premier rôle. Je la partage avec le réalisateur Djamel Bensalah. On a participé à une belle aventure. C'est un film dont je suis relativement fier. Maintenant, j'espère que le public aimera le film autant que j'ai "kiffé" faire ce personnage (...) Avant tout, je considère que le métier d'artiste consiste à gagner le public, non à lui plaire par tous les moyens. Il faut que le public vienne me voir pour les choses que je fais. C'est à moi de lui faire accepter mon univers et mes délires.
Tu as d'abord accepté le rôle de Johnny avec une certaine réticente... Pourquoi ?
A la lecture du scénario, la seule crainte que j'avais, c'était au niveau du personnage. L'histoire me plaisait, elle parlait de tolérance et de l'Algérie d'une manière positive et saine. C'était traité à la manière d'un conte. Mais Johnny est un personnage au fil de rasoir, j'avais peur de tomber dans une caricature, un truc "gnangnan", le "Françaoui" qui se prend pour un Algérien. Ce qui m'intéressait, c'était d'amener de la sincérité. Pour ce faire, j'ai puisé dans ma propre expérience, dans mon propre décalage avec les autres. Par exemple, on peut croire que j'écoute du rap comme mes amis, alors que non. Je baigne depuis tout petit dans un univers funky-jazzy seventies. Faut faire avec, faut s'adapter.
A la fin du film, on découvre d'ailleurs une nouvelle facette de Johnny, plus émouvante...
C'était ça qui me plaisait, d'amener cette émotion, notamment lorsqu'il perd le match de foot et qu'il est vraiment triste. Ca apporte une certaine force à l'histoire.
Quelle vision de l'Algérie avais-tu avant d'y tourner le film ? En quoi a-t-elle changé ?
J'avais la vision de ce que les médias nous donnent à voir, comme quand on va pour la première fois en Turquie et qu'on a en tête Midnight express (rires). Là, c'est à peu près pareil. Mais j'avais déjà tourné en Algérie un autre film qui n'est pas encore sorti, Beur blanc rouge, j'avais donc déjà une petite expérience de l'Algérie, je n'avais pas d'inquiétude. Mais la première fois que je m'y suis rendu, je ne faisais pas le fier (...) L'Algérie a connu le chaos, mais aujourd'hui elle renaît de ses cendres. Le film aide à ça. J'espère que par mon regard de "Françaoui", je pourrais faire aimer l'Algérie autant que les Algériens aiment leur pays.
Etais-tu auparavant porté sur la culture arabe ? T'es-tu servi de tes acquis ou as-tu suivi une formation spécifique pour t'initier aux us et coutumes de l'Algérie ?
Je me suis uniquement servi de mes acquis. J'ai de qui tenir, ma mère est musulmane, moitié mauritanienne, moitié-malienne. Un sacré mélange ! J'ai également de la famille au Maroc, mais je connaissais moins l'Algérie. Et puis en France, j'ai plein d'amis rebeus. Même si je suis plus proche de l'Islam que du christianisme par ma mère, je ne suis pas pour autant musulman dans l'âme (...) Il ne s'agissait pas d'apprendre l'Arabe. Johnny est avant tout un Français qui veut se prouver qu'il a des racines algériennes. Il s'habille comme un Algérien, il pique des gimmicks de phrase rebeu pour justifier le fait d'être Algérien et il a cette fameuse carte de son village. C'est tous ces éléments qui permettent de modeler un personnage comme celui-là. Quand je suis arrivé à Alger, je me suis baladé dans la ville et il m'a suffi d'observer. J'ai pris des manières d'être et à partir de là, j'ai façonné mon petit univers.
La transposition de l'histoire en 1988 est perceptible par le choix des références musicales, des tenues vestimentaires... Ca ne t'a pas fait bizarre de te retrouver à une époque où tu devais peut-être vivre dans l'insouciance ?
Oh si ! J'ai éprouvé énormément de plaisir à jouer la scène de la cité Paul Eluard, ça me rappelait des souvenirs de potes dans les années 80. On discutait sur les bancs des "cochonnes" qu'on pouvait attraper. Y'a de la nostalgie derrière tout ça. Les années 80, je trouve qu'on n'en parle pas assez. Musicalement, c'était une catastrophe, même au niveau vestimentaire, c'était too much, on s'habillait à l'époque en Blanc Bleu, Naf Naf, Chevignon. Mais pour Djamel, c'était important de transposer l'action du film à cette époque-là pour éviter de parler politique et terrorisme. Il s'agissait du dernier été tranquille en Algérie. C'était un pays libertin ; Oran, c'était le Pigalle du Maghreb. On a complètement oublié ça.
On ressent un esprit de troupe dans le film...
Ce film est une super expérience humaine avec son lot habituel de galères, mais j'y suis accoutumé. J'ai fait la connaissance de gens géniaux : David Saracino qui est un amour, Marilou Berry dont j'avais connu la mère, Josiane Balasko, sur le tournage du Raid. C'est une sacrée petite bonne femme. On a l'impression que pour son âge elle a déjà une expérience incroyable. C'était du bonheur. Et puis il y avait Karina Testa que j'avais vue dans Ze Film. En plus d'être jolie, elle est très sympa et très cool. On a vécu des choses incroyables, assez touchantes.
On te connaît surtout pour tes rôles de jeune banlieusard. Ne souhaiterais-tu pas changer de registre ?
C'est à cause du Ciel, les oiseaux et... ta mère ! En tout cas, ça prouve que j'ai réussi mon rôle de banlieusard. C'est souvent comme ça en France, on est vite catalogué. Ce n'est pas de ma faute, faut assumer. Mais je n'ai pas pour autant envie de jouer toujours les mêmes rôles. C'est important que le public m'associe à d'autres personnages qui aillent à l'encontre de ce que je suis réellement. A lui ensuite de se faire une idée, de juger si je suis crédible ou non. J'aime prendre des risques, ça valorise mon travail.
Tu connais Djamel Bensalah depuis le court "Y'a du foutage dans l'air". Son état d'esprit a-t-il évolué ?
Djamel a pris en maturité. Il a eu la chance de commencer jeune. On avait 21 ans quand il a fait Le Ciel, les oiseaux et... ta mère !, on n'était que des jeunots. Quand est arrivé Le Raid, on avait 25 ans et on était en pleine effervescence. Ca a été une expérience difficile tant moralement que physiquement. Et la qualité n'était pas toujours au rendez-vous... Aujourd'hui, Djamel a 29 ans, il est revenu à quelque chose de plus intimiste. Il a dorénavant une assise, une expérience. C'est un film qui lui a permis de s'assagir. Il sait pour quel cinéma il est fait - le cinéma léger, populaire, comique - et commence à bien le maîtriser. Ca ne fait que débuter pour lui. Je lui souhaite de faire plein d'autres bons films, mais pas toujours avec moi (rires). Je pense qu'il va falloir qu'il change d'acteurs, qu'il aborde d'autres univers.
Propos recueillis par Guillaume Martin le lundi 10 octobre 2005
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