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    Beetlejuice 2 : et si ce film parlait de Tim Burton lui-même ?
    Maximilien Pierrette
    Happé par la galaxie lointaine de Star Wars à la vitesse lumière, estomaqué par Matrix, envoûté par 2001, captivé par les batailles de la Terre du Milieu, effrayé par les dinos de Jurassic Park… Il doit quelques-unes de ses plus belles claques à ces univers qui l’ont fait voyager en restant assis.

    Derrière la farce, les fantômes et l'humour poético-macabre, "Beetlejuice Beetlejuice" cacherait-il un sous-texte dans lequel Tim Burton parle de lui-même ? On fait le point.

    ATTENTION - L'article ci-dessous contient quelques spoilers sur "Beetlejuice Beetlejuice", puisqu'il revient sur des éléments de son intrigue. Veuillez donc passer votre chemin si vous ne l'avez pas vu.

    Fausse bonne idée (voire mauvaise idée tout court) ? Aveu d'échec de la part d'un réalisateur autrefois au sommet et qui n'a signé, en cinq ans, qu'un remake commandé par Disney (Dumbo) et des épisodes d'une série de Netflix autour de La Famille Addams (Mercredi) ?

    Dire que l'annonce d'une suite de Beetlejuice a fait se lever quelques sourcils est un euphémisme. Il faut reconnaître que le cinéaste n'avait, jusqu'ici, rempilé qu'à une reprise : pour les besoins de Batman, le défi, fort d'un succès monstre et d'un catalogue DC assez fourni pour raconter plusieurs histoires. Ce qui n'était pas le cas avec le film sorti en 1988, décliné en série animée quelques années plus tard.

    Warner Bros. Television

    Autre source d'inquiétude pour les fans, qui désespèrent de retrouver le Burton pré-Alice au pays des merveilles : cette suite, il aurait pu la faire dès la sortie du premier opus. Un scénario intitulé Beetlejuice Goes Hawaiian avait été commandé par la Warner, mais le réalisateur a préféré quitter Winter River pour les rues de Gotham City, et transformer Michael Keaton en Bruce Wayne.

    Le projet avait refait surface en 2011, pour tomber à l'eau en 2019 et ressusciter quatre ans plus tard, comme l'un des nombreux fantômes qui peuplent son univers. Aujourd'hui, l'inquiétude a fait place au soulagement : le long métrage sorti le 11 septembre contient certes trop de personnages et de sous-intrigues, mais Tim Burton s'amuse (nous aussi) et retrouve par moments l'esprit de ses débuts.

    Et c'est justement l'un des enjeux de ce récit sur fond de deuil et de retour vers le passé, dans lequel le réalisateur semble parler de lui à plusieurs reprises.

    Beetlejuice Beetlejuice
    Beetlejuice Beetlejuice
    Sortie : 11 septembre 2024 | 1h 44min
    De Tim Burton
    Avec Michael Keaton, Winona Ryder, Jenna Ortega
    Presse
    3,5
    Spectateurs
    3,7
    Séances (1 104)

    Un sous-texte qui n'est pas nouveau sans son œuvre : il partage plus qu'une coupe de cheveux avec son Edward aux mains d'argent, Ed Wood est un auto-portrait à peine déguisé en biopic, Big Fish lui permet d'évoquer sa relation avec son père décédé peu de temps auparavant, et Big Eyes l'idée de l'artiste dépossédé de son œuvre. Et les tacles envers Disney dans Dumbo montrent que ses relations avec le studio sont toujours aussi fraîches.

    Dans ce nouveau film, le cinéaste semble parler de lui à travers le personnage de Lydia Deetz (Winona Ryder), dans une forme de prolongement. En 1988, c'était déjà son alter ego, cette adolescente aux idées morbides qui, comme lui plus jeune, s'épanouit plus en compagnie des morts (ou du cinéma d'horreur) que celui des vivants. Et Beetlejuice représentait ce côté sale gosse qui s'exprimait dans la scène de poursuite chaotique de Pee Wee Big Adventure, mais qu'il tentait de contrôler.

    Trente-six ans plus tard, Lydia a mis ses capacités à communiquer avec les morts au service d'une émission de télévision qu'elle anime en pilotage automatique, lassée. "Je me suis reniée pour la célébrité", dira-t-elle plus tard, dans une réplique qui sonne comme un aveu de la part du réalisateur, qui reconnaît avoir fait des choix pour les mauvaises raisons (et vise sans doute La Planète des singes, Alice au pays des merveilles et/ou Dumbo).

    Retrouver la "chipie gothique" en Tim Burton

    "Où est la chipie gothique qui m'a tourmentée il y a plusieurs années ?", demande Delia (Catherine O'Hara) à Lydia. "Tu dois la retrouver !" Ce n'est pas forcément cette image que nous aurions employée pour décrire Tim Burton, mais l'un des enjeux principaux du film se trouve là : renouer avec la "chipie gothique" qu'il était en 1988.

    Lorsqu'il dynamitait les studios de l'intérieur en couchant sur pellicule ses monstres et décors flamboyants et inquiétants. Et qu'il enrobait le tout dans un humour à mi-chemin entre le macabre et le poétique, avec un esprit de sale gosse, pour enfin exprimer au grand public ce qui lui avait valu l'étiquette de marginal jusqu'ici, auprès des siens ou lors de son premier passage chez Disney.

    L'évolution du rapport entre Lydia et Beetlejuice est alors intéressant à analyser : le démon revient d'abord dans sa vie sous forme de flashes angoissants et la montre hantée comme lui a pu l'être au gré des rumeurs de suites qui l'ont accompagné pendant toutes ces années. D'abord réticente lorsqu'il réapparaît pour de bon, elle finit par accepter de renouer avec lui (donc avec son passé), pour sauver sa fille, et c'est là qu'elle se retrouve.

    Warner Bros. Pictures

    Comme Tim Burton qui, depuis longtemps, n'a pas donné l'impression de s'amuser autant que dans la seconde partie du film, et notamment ce dénouement en forme de séquence musicale. Et ça n'est peut-être pas qu'une question de déséquilibre dans le scénario.

    Pendant la conférence de presse du film à la Mostra de Venise, le réalisateur a avoué avoir songé à abandonner une industrie avec laquelle il joue à "je t'aime moi non plus", après l'échec au box-office de Dumbo (353,3 millions de dollars de recettes dans le monde). Mais que Mercredi et - surtout - Beetlejuice Beetlejuice lui ont donné ce regain d'énergie. Qui se ressent ici, aussi bien chez Lydia que dans sa mise en scène et la profusion d'idées, décors, costumes et trucages à l'ancienne.

    Ce qui pose la question de la fin. Lydia et Tim Burton ont donc retrouvé Beetlejuice, symbole l'esprit de leur passé. Mais la première a encore réussi à échapper à son mariage avec le démon. Signe, pour elle comme pour le cinéaste, qu'il n'est pas question d'être lié à vie à l'univers et ses personnages, et qu'il fallait repasser par le monde des morts pour se reconnecter avec les vivants et membres de la famille.

    Un aveu et un adieu ?

    Que faut-il donc comprendre de cet extrait de sa dernière émission, dans laquelle elle reconnaît s'être perdue pendant plusieurs années et annonce y mettre un terme ? Une manière, pour Tim Burton, de laisser entendre que sa retraite est imminente et que nous sommes peut-être face à son dernier film ?

    En plus d'épisodes de la saison 2 de Mercredi, il est attaché à un remake de L'Attaque de la femme de 50 pieds, mais on ne compte plus ces projets qu'il n'a finalement pas mis en scène, et celui-ci peut en faire partie. Réaliser Beetlejuice Beetlejuice pourrait être une manière de boucler la boucle en revenant au film de ses vrais débuts (Pee Wee était une commande liée à un personnage préexistant) en même temps que vers ce passé qu'il avait tenté de fuir, avant de passer à autre chose.

    Tout en faisant un mea culpa avec beaucoup de sincérité, et en reconnaissant qu'il ne sera jamais vraiment débarrassé de Beetlejuice, qui va le hanter comme Lydia dans l'épilogue. Qu'il ait vraiment envie d'arrêter ou non, et alors qu'il affirme ne pas prévoir de suite, combien de temps va-t-il résister à l'envie de re-prononcer son nom par trois fois, vu le bien qu'il fait à son cinéma sur le plan artistique et financier ? Et pourrait-il alors nous dire sur lui-même ?

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