En 2013, la Bibliothèque du Congrès américain publiait une étude au constat absolument dramatique : 75% des films américains réalisés et produits durant l'époque du muet, soit entre 1912 et 1929, étaient irrémédiablement perdus. Sur 11.000 films produits, seuls 1575 existaient encore.
Et il ne s'agissait pas que de petits films oubliés de tous, mais concernait aussi des oeuvres fameuses, comme le formidable Londres après minuit de Tod Browning avec Lon Chaney, ou la première adaptation de Gatsby le magnifique, sortie en 1926, un an tout juste après la parution du livre de F. Scott Fitzgerald. C'est dire l'étendue du désastre.
Si en France le constat est semble-t-il moins alarmant, du fait d'un impact de la censure moindre et d'une politique de conservation des studios plus affirmée, comme l'écrivait un article de Slate publié également en 2013 dans le sillage de l'étude de la Bibliothèque du Congrès, il reste que ces oeuvres ont posé de très nombreux problèmes de conservation, notamment en raison de la grande fragilité des bobines de films, composées de nitrate d'ammonium, extrêmement inflammable.
Si l'on ajoute à cela des problèmes juridiques divers, des bobines parfois entreposées n'importe où et pas du tout inventoriées par pure négligence, pour ne citer que ces cas de figure, bon nombre d'oeuvres ont été déclarées perdues à jamais.
Un délicieux réveil dans la terreur
Mais, parfois, à la faveur de miracles, de nombreuses décennies plus tard, certaines oeuvres sont retrouvées, pour le grand bonheur des cinéphiles. C'est le cas d'une petite merveille sortie en 1971 : Wake in Fright ("Réveil dans la terreur").
Du réalisateur Ted Kotcheff, le grand public connait surtout son brillant coup d'éclat que fut le premier volet magistral de la saga des Rambo, devenu un classique. Il s'en est fallu de peu pour que les spectateurs ne puissent jamais découvrir cette pure pépite qu'il avait signé onze ans auparavant, tournée dans l'Outback australien.
Soit l'histoire de John Grant (formidable Gary Bond), instituteur d’une école perdue dans le désert australien, qui décide de regagner Sydney pour les vacances. Mais il fait d’abord escale dans la petite ville minière de Yabba. Le soir, il joue son argent et se soûle. Ce qui devait être l’affaire d’une nuit s’étend sur plusieurs jours…
Tendu à craquer, peuplé d'une galerie de personnages rednecks noyant leur ennui dans les beuveries et la violence, Kotcheff dessinait avec ce film un saisissant portrait d'un (arrière) pays très hostile qui ne donnait pas forcément envie d'y séjourner...
Toujours est-il que le négatif du film fut perdu durant des décennies, ce qui suscita une recherche internationale. Jusqu'au jour où, en 2004, le producteur australien Anthony Buckley le retrouva dans un entrepôt de Pittsburgh dans une caisse sur laquelle était inscrit "For Destruction"...
C'est dire si le négatif du film est passé très, très près d'une mort cetaine. Etroitement associé à la restauration de son film, Kotcheff a pu à nouveau présenter Wake in Fright en 2009, édité depuis en DVD et Blu-ray.