C'est peu dire que les dernières décennies ont profondément changé la physionomie de l'exploitation des films en salle. Combien de temps un film reste à l'affiche au cinéma ? La question est complexe. Parce que la réponse dépend de plusieurs facteurs. En règle générale, un film reste à l'affiche pendant 4 à 6 semaines (même si c'est devenu de moins en moins vrai dans les faits), mais cette durée peut s'étendre jusqu'à 3 mois pour les blockbusters populaires.
Un triomphe absolu en salle sera évidemment susceptible de rester longtemps en haut de l'affiche, d'autant que s'il réalise de très bonnes performances au box office, il sera selon toute vraisemblance projeté dans davantage de salles encore, et donc avec un nombre de copies plus élevé qu'au départ.
C'est aussi lié aux décisions des exploitants de salle, qui gèrent la programmation de leurs cinémas, mais aussi lié aux contraintes des fenêtres d'exploitation imposées par la chronologie des médias. Bref, un joli casse-tête.
Aux Etats-Unis, la logique est devenue absolument impitoyable; les studios n'ont plus aucun état d'âme. Comme le sort du film The Bikeriders de Jeff Nichols, sorti en juin chez nous et aux Etats-Unis. Estimant son démarrage beaucoup trop poussif, son distributeur local décidait de le rendre disponible sur plateforme streaming dix jours à peine après sa sortie en salle.
Le dernier exemple en date est encore plus frais : Borderlands. D'ores et déjà considéré comme un des plus gros flops de l'année au box office, son distributeur Lionsgate a décidé de le balancer en streaming dès la fin du mois d'août aux Etats-Unis...
Delgo, le film d'animation indé à 40 millions de dollars
Parmi les exemples édifiants, voire carrément vertigineux, figure un film d'animation sorti en 2008, dans une indifférence générale absolue : Delgo. Un film d'animation en CGI créé et produit en dehors des maisons Disney ou DreamWorks. Une production indépendante donc, signée Fathom Studios, mais pas financée pour autant avec des bouts de ficelle : 40 millions de dollars quand même.
L'histoire ? Elle pourrait tenir sur le coin d'une nappe. Soit les (més)aventures de Delgo, un adolescent naïf mais aventureux, devant rassembler ses amis pour protéger son monde, menacé par le conflit entre les Lockni et les Nohrin.
A quoi ca ressemble ? La bande-annonce, ci-dessous...
Premier film d'un tandem, Marc F. Adler et Jason Maurer, il avait quand même des ambitions extra larges. Comme son très luxueux casting vocal, véritable Who's Who d'Hollywood, qu'on voit plutôt sur des productions Disney ou DreamWorks justement : Freddie Prinze Jr., Jennifer Love Hewitt, Anne Bancroft, Eric Idle, Val Kilmer, Lou Gossett Jr, Malcolm McDowell, Michael Clarke Duncan, Burt Reynolds...
Né dans une grande douleur (les auteurs mettront près de dix ans pour accoucher le film), Delgo s'est pulvérisé devant les portes du box office. Débutant sa carrière aux Etats-Unis sur une combinaison de 2160 salles, il n'a rapporté que... 237 $ par écran lors de son premier week-end d'exploitation, en décembre 2008.
Sur le territoire américain, il n'a rapporté que 511.920 $. Une des pires ouvertures de l'histoire du box office américain pour une oeuvre sortie sur plus de 2000 salles. Si l'on ajoute les recettes à l'international, il ne dépassera même pas les 695.000 $. C'est dire la violence de la gifle. En fait, l'échec fut si terrible qu'il a été retiré des salles au bout de six jours à peine.
"Film d'animation ennuyeux et disgracieux, Delgo vole des éléments à au moins une douzaine de films et de contes emblématiques pour sa saga guindée d'un jeune garçon sauvant son gentil peuple de méchants vengeurs" balançait Variety, expliquant que le désastre à l'écran était aussi le fruit d'une production particulièrement chaotique au sein d'un studio manquant cruellement d'expérience.
Avant d'enfoncer le dernier clou du cercueil : "D'une manière ou d'une autre, il a fallu six auteurs, dont les co-réalisateurs Marc F. Adler et Jason F. Maurer, pour créer un scénario dépourvu d'une seule pensée originale, d'une seule idée d'histoire ou d'un seul gadget". Violent. Entre un marketing inexistant autour du film et des CGI dépassés accusant près de dix ans de retard, Delgo a été condamné aux abîmes, d'où il n'est jamais ressorti.