On "célèbre" ce 26 avril les 25 ans de la catastrophe de Tchernobyl, tandis que celle de Fukushima continue de hanter l’actualité. Comment le cinéma représente-t-il le fait nucléaire ? Réponse(s) d'une spécialiste, Hélène Puiseux... [Dossier réalisé par Alexis Geng]
Quelle perception du nucléaire émerge des films des années 1950, 1960, bref de ce qui a pu être considéré par certains comme l' "âge d'or" de l'atome au cinéma, après Hiroshima et bien avant les accidents du nucléaire civil ?
Dans les années 1950 on trouve des films essentiellement japonais et américains, soit les deux pays qui ont "tâté" de l’atome, si je puis dire, celui qui a fabriqué la bombe et celui qui l’a reçue sur la figure. Ces deux pays se sont mis à faire des films sur le sujet dès 1948-1950. Dans l’ensemble ce sont des œuvres qui posent le problème sous l’angle suivant : "que faut-il penser de cette puissance ?". Il existe plusieurs manières de répondre à cette question. Et d’abord, faut-il n’avoir que peur ? La peur est présente c’est certain, c’est la base des films, aussi bien en Amérique qu’au Japon, parce que cette puissance est capable de transformer des fourmis en monstres [cf Des monstres attaquent la ville (Them !), 1954], de réveiller Godzilla, etc. Mais faut-il donc n’avoir que peur ? Dès la fin des années 1950 une petite gamme de films, parmi lesquels le très beau Le Monde, la chair et le diable (1959), disent plutôt que certes, l'atome est très dangereux, mais qu’après tout, comme toutes les catastrophes, il permet de rebattre les cartes et offre presque une nouvelle chance à l’humanité. Ces films-là sont intéressants parce qu’ils ouvrent un nouveau rapport à l’atome : ça fait très peur, ça tue tout le monde, mais ceux que l’atome ne tue pas, il leur ouvre le monde. C’est terrible, mais si vous êtes le survivant, le monde est à vous. Cela "clôt" le bon et le mauvais d’avant, et ré-ouvre les possibles. C’est un phénomène très curieux. Dans Le monde, la chair et le diable, les trois survivants (tous trois américains) sont une femme blanche, un homme blanc et un homme noir. Se pose ainsi en 1959 le problème du racisme, parce que les deux hommes sont naturellement amoureux de la seule femme, qui les aime aussi beaucoup… Au début il y a quelques bagarres, et l'on se dit que les choses vont mal tourner, qu’ils vont s’entretuer. Mais à la fin, ils partent main dans la main, en couple à trois, vers le fond de l’écran sur lequel s'inscrit, au lieu du traditionnel "The End", "The Beginning". C’est une solution au racisme, d’une certaine façon, qui ouvre aussi sur les années 1960. Et pourtant en cette même année 1959 sort Le Dernier rivage, qui se passe en Australie et dans lequel, au contraire, il n’y a plus de survivants, le monde entier est ratissé - c’est déjà presque une vieille représentation : les années 1950 sont plutôt pessimistes, mais à partir de la fin de la décennie l’optimisme apparaît dans presque tous les films.
Que représente Godzilla ? Avant tout un mode d'expression du traumatisme japonais ?
Godzilla* est un peu plus complexe, je crois. Il évolue, puisque les Japonais ont fait des films sur lui pendant plus de quinze ans. Dans les premiers, Godzilla est un monstre préhistorique marin réveillé par les radiations atomiques, qui vient, massacre tout Tokyo, bref la nature incarnée qui se venge. Mais au fil des quinze ou seize films [qui lui sont consacrés], Godzilla change. Vers 1965-1966 (je crois que le premier film est de 1954), Godzilla est devenu l’ami des Japonais : c’est un monstre qui sert à se battre contre d’autres monstres, quand il en vient. On s'habitue : oui, Godzilla existe, mais finalement il est "assez sympa", on peut faire avec. Je pense vraiment que c’est le rôle qu’ont joué les films, qui nous ont raconté des choses charmantes (pas tout à fait fausses d’ailleurs, on est très content d’avoir de l’électricité). Mais quand ça craque, ça craque, et là, avec Fukushima, c’est quand même très inquiétant. Aujourd’hui on retrouve ce qui définit fondamentalement la relation entre l’homme et la puissance atomique : le secret. Tepco [l'opérateur de la centrale japonaise] raconte ses salades, mais c’est la même chose depuis 1945, on nous raconte les choses en minimisant (quand on les raconte), et les Japonais sont au top dans ce domaine : ils auraient pu hurler, les victimes des bombardements auraient sans doute bien voulu le faire, mais on les a mis sous le boisseau. Leurs maladies issues des radiations n’ont pas été reconnues. Il règne donc un secret, un blackout qui est la constante de l’histoire de l’atome.
On n’avait pas attendu la découverte de la radioactivité ou des radiations pour inventer des monstres géants. Le nucléaire, la bombe atomique ne sont-ils alors qu’une corde de plus à la lyre de la SF, notamment au cinéma ?
Il y a deux choses, je crois. D’une part l’atome sert aux films catastrophe de tous types : c’est un excellent outil, parce que dans le genre catastrophe vous avez de tout, des mutations, des incendies, des radiations… Tout ce que vous voulez. Donc de ce point de vue, il ne change rien aux grandes terreurs de l’humanité, il représente seulement un moyen supplémentaire. Mais je pense qu’en même temps ces films ont influé sur nos manières de penser, à nous qui sommes arrivés après le nucléaire, et finalement nous ont habitués à cohabiter avec lui. Au lieu de le refuser (il y aurait pu y avoir un niet général comme il semble s’en redessiner un en ce moment), le cinéma a au contraire joué cette carte, inconsciemment - il n’y a pas eu de table ronde de cinéastes. Il nous a raconté des histoires avec des héros qui, après tout, survivent pour la plupart (il y a très peu de films où personne ne survit). L’atome devient, non pas un espoir radieux, mais quelque chose avec quoi on cohabite, quelque chose à quoi il faut faire place, et je pense que c’est cela le rôle le plus important qu’a joué le cinéma, c’est de nous avoir habitués à vivre dans un monde post-atomique. Le cinéma est un moyen de se rendre sympathique tout ce qui ne l’est pas, ou plutôt de le rendre acceptable : le nucléaire est là, on fait avec.
Est-ce que le cinéma a pu, du coup, faire sciemment ou inconsciemment la promotion du nucléaire ?
Inconsciemment, sûrement. Consciemment, sûrement pas. Moi-même, au total, après m’être gavée de ces films-là, même si je ne peux pas dire que je suis devenue follement pro-nucléaire, je ne suis pas anti-nucléaire. Je me dis qu’on en réchappe toujours… Ce qui est sans doute stupide, mais il n’empêche que ça marche sur moi, alors je suppose que ça marche sur d’autres.
Il ne semble pas y avoir tant de films qui évoquent, même indirectement (comme La Colline a des yeux), les essais atomiques, dont les retombées sont pourtant parmi les plus conséquentes pour l’être humain, bombardements mis à part…
Parmi les premiers films sur le nucléaire dans les années 1950, Des Monstres attaquent la ville [évoqué plus haut] se passe dans le désert - ce qui rappelle les sites du Nevada. Des fourmis y sont devenues géantes à cause des radiations. Il n’est pas dit noir sur blanc que c'est à cause des essais, mais tout le monde pouvait comprendre à l’époque que c’est ce qui fait muter les fourmis, lesquelles envahissent et détruisent les caravanes d’une gentille petite famille, avant de s’en aller jusqu’à Los Angeles...
Existe-t-il un tabou concernant (au moins) les essais atomiques français, malgré quelques films comme le récent Gerboise Bleue (ou Noir océan, à venir) ?
Il y a un blanc absolu, oui. Sur les essais nucléaires français au Sahara, un certain nombre de films sont sortis, en 1996 je pense. Quelques documentaires. Je ne connais pas vraiment de films de fiction, mais ça ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas. On a vu quelques documentaires très inquiétants, mais là aussi je pense qu’il règne une sorte de consensus en France pour ne pas se faire peur - j’en ai peur, pour le coup.
*on parle bien entendu de la version japonaise originelle, et non de la version US plus récente.
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