Noah Solloway (Dominic West) a tout pour être heureux : une femme magnifique, quatre enfants, son métier d’enseignant et un rêve sur le point d’éclore : devenir écrivain même si le succès n’a pas été au rendez-vous de son premier livre… En vacances à Long Island en famille, il rencontre Allison, une serveuse de restaurant, mariée elle aussi, dévastée par la mort brutale de son fils unique. Leur liaison adultère va faire exploser leurs couples.
En lisant le palmarès des meilleures séries de la décennie ou du siècle, j’ai découvert en janvier dernier "The Affair", coincé entre "Breaking Bad", "Downton Abbey", "Game of Thrones", "Tchernobyl" et "Black Mirror". Je n’en avais jamais entendu parler. De quoi s’agissait-il ? « Un adultère raconté à la Rashomon » ? Mazette….
La marque de fabrique de la série en effet, que ses réalisateurs respecteront jusqu’au dernier épisode, est de raconter une même histoire depuis plusieurs points de vue. Au début, il s’agit de Noah et d’Allison : comment chacun a vécu leur première rencontre, au "Lobster Roll", ce restaurant de fruits de mer où Allison travaille et où Noah s’arrête sur le chemin des vacances avec sa bruyante famille. Mais bien vite le procédé est élargi à d’autres personnages et à d’autres événements : Helen, la femme de Noah, Cole, le mari d’Allison…. Et pour éviter un procédé qui deviendrait vite lassant, il ne s’agit plus de raconter le même événement de plusieurs points de vue, mais d’entrelacer les arcs narratifs en en montrant ce que traverse tour à tour chacun des personnages.
Le scénario est d’une complexité que seule permet une série étalée sur cinq saisons, comptant au total plus de cinquante épisodes de près d’une heure chacun. De quoi laisser le temps de creuser les personnages, de quoi permettre aussi de se perdre dans des histoires secondaires qui auraient été sacrifiées au montage d’un film d’une heure trente pressé comme un citron. Un film doit aller à l’essentiel sans dévier du fil rouge, bref et tendu, autour duquel il est tendu. Une série de plusieurs saisons est une longue pelote qu’un scénariste démiurgique peut dévider à sa guise en s’autorisant des détours, des bifurcations et même des impasses que le cinéma n’autorise pas.
La tension des deux premières saisons est maintenue par une enquête policière autour d’un meurtre dont on ignorera jusqu’au dernier moment et la victime et l’auteur. Le rythme retombe un peu dans la saison 3 malgré l’apparition en guest stars de la trop rare Irène Jacob, l’interprète à jamais lumineuse de "La Double Vie de Véronique", et du gentil Brendan Fraser dans un rôle à contre-emploi de maton sadique. Pour son final, "The Affair" se paie un détour dystopique pas vraiment indispensable dans un 2053 anxiogène.
Pourquoi "The Affair" m’a-t-il tant ému ? Par les thèmes qu’il traite et par la subtilité qu’il y met. "The Affair" est une radioscopie au scalpel du couple CSP+ américain, qui parfois prête à sourire de ce côté-ci de l’Atlantique tant nos cousins américains semblent le surinvestir. Mais au final, qu’on regarde "The Affair" seul.e ou avec son conjoint, on sera immanquablement assailli de questions : qu’est-ce que le couple ? qu’y apporte-t-on ? qu’en retire-t-on ? quels sacrifices suis-je prêt à consentir pour lui ?
Dans "The Affair", il est question d’amour, de désir, de culpabilité et de rédemption. La balance est chargée me direz-vous. Elle l’est. Mais elle se donne les moyens de l’être dans une oeuvre ample et fluide qui évite le piège du manichéisme et du moralisme. Noah qui trompe sa femme et devra en assumer les lourdes conséquences n’est pas un salaud haïssable, pas plus qu’Helen, sa femme, n’est une sainte humiliée ou Allison, sa maîtresse, une victime expiatoire. « Tout le monde a ses raisons » aurait dit Jean Renoir dont "La Règle du jeu" aurait fait une épatante série polyphonique.