Fils de la bourgeoisie industrielle de Porto, Manoel de Oliveira, dernier d'une fratrie, est saisi par la passion du 7ème art à l'âge de 18 ans. Avec son physique de jeune premier, ce grand sportif - passionné de saut à la perche et de courses automobiles- débute comme acteur, notamment dans La Chanson de Lisbonne, le premier film parlant portugais. Mais c'est la réalisation qui l'intéresse depuis que son père lui a acheté une caméra 8 mm. En 1931 il, tourne son premier court-métrage Douro Faina Fluvial, documentaire muet consacré à l'activité des ouvriers sur les rives du Douro, salué par la critique internationale.
La vie au bord du fleuve de Porto est aussi le thème du premier long métrage d'Oliveira, Aniki bobo, un film pour enfants sorti en 1942. Mais le climat politique portugais, ajouté au manque d'infrastructures cinématographiques sous la dictature de Salazar, l'obligent à mettre sa carrière entre parenthèses. Il prend alors les rênes de l'entreprise de passementerie familiale. Après de nombreux projets avortés, il peut enfin réaliser en 1963 son deuxième long métrage, Actes de printemps. Cette évocation de la passion de Christ voit le réalisateur s'éloigner du réalisme de ses débuts.
Avec la chute de Salazar, les années 70 marquent le grand retour de Manoel de Oliveira, auteur d'une Tétralogie des amours frustrées, qui comprend notamment Amour de perdition et Francisca (remarqué à Cannes en 1981), des films tirés de la littérature et du théâtre portugais, sources d'inspiration désormais essentielles pour le cinéaste. Nullement prophète en son pays, Oliveira s'attire peu à peu les faveurs des cinéphiles du monde entier, grâce à des oeuvres exigeantes telles que Le Soulier de satin, adaptation-fleuve de l'oeuvre de Claudel en 1985, Les Cannibales, fable ironique présentée à Cannes en 1988, ou encore La Divine Comédie, qui relate les interrogations métaphysiques d'un groupe d'aliénés.
La consécration arrive en 1993 avec Val Abraham, une variation limpide autour de Madame Bovary qui fait sensation sur la Croisette. Tout en s'entourant de fidèles collaborateurs (du producteur Paulo Branco au comédien Luis Miguel Cintra), il peut désormais faire appel à des stars comme Malkovich et Deneuve (Le Couvent), Mastroianni (Voyage au début du monde), ou encore Piccoli (Je rentre à la maison). Tournant régulièrement en France, le maître de Porto signe en 1999 une audacieuse relecture de La Princesse de Clèves dans le Paris d'aujourd'hui. Comme s'il souhaitait rattraper le temps perdu, il tourne désormais un film par an : dépeignant les travers de ses contemporains avec acuité (Le Principe de l'incertitude) voire amertume (Un film parlé), il se penche sur son passé (Porto de mon enfance) et sur celui de son pays (Parole et utopie). Celui qui est devenu le doyen des cinéastes en activité enchaîne les projets les plus originaux : en 2007, pendant que sort Belle toujours, variation autour de Belle de Jour, il tourne un film sur Christophe Colomb ainsi qu'un court métrage commandé pour les 60 ans du Festival de Cannes. Lui-même fête ses 100 ans en 2008. Il est alors le réalisateur en activité le plus âgé et le seul à avoir travaillé à l'époque du cinéma muet. Le Festival de Cannes lui remet en 2008 une Palme d'Or, la première de sa carrière, pour l'ensemble de son œuvre. Toujours aussi actif, il adapte pour la première fois un auteur réaliste, Eça de Queiroz, avec Singularités d'une jeune fille blonde (2009) et présente l'année suivante à Cannes dans la section Un Certain Regard L'Étrange affaire Angélica, récit de l'obsession d'un photographe pour son modèle.
En 2014, le maître repasse derrière la caméra, une ultime fois, pour le court-métrage Le Vieillard du Restelo. Quelques mois plus tard, le 2 avril 2015, le doyen des réalisateurs dans le monde décède, à l'âge de 106 ans.