Attention, ceux qui aiment laisser exploser leurs émotions au cinéma risquent de sortir vidés de ce chef d'œuvre. Car Au nom du père est un film lessivant, transcendant, un film qui apaise presque le cœur quand il se termine. Le spectateur peut même rester muet quelques minutes après la fin, parce qu'il faut reprendre ses esprits malgré tout, et que, même si elle semble s'être mise en pause l'espace de deux heures, la terre continue de tourner. Se dire que tout cela est tiré d'une histoire vraie est d'autant plus bouleversant. Tour à tour torturé, ironique, mélancolique puis épique, Au nom du père relate avec une intelligence folle ce scandale d'état effroyable et son effet dévastateur sur les vies de ceux qu'il a touchés. La mise en scène de ce film est si originale qu'elle peut en être déroutante au départ, tant les plans sont nerveux et instables. Puis le film avance, et cette mise en scène dynamique épouse l'histoire, si bien que fond et forme fusionnent pour créer un ensemble harmonieux. Sur des musiques magnifiques, Jim Sheridan met en œuvre toute la catharsis cinématographique : l'immaturité de Gerrie, ce gamin emprisonné à perpétuité pour un crime qu'il n'a pas commis, est d'autant plus insupportable qu'elle renvoi celui qui la regarde à sa propre immaturité. L'incommunicabilité de l'amour qui l'unit à son père est bouleversante, et avoir réussi à la retranscrire avec autant de justesse relève du génie. On se révolte en voyant le comportement de cet immature incorrigible face à ce père dévoué, et finalement, certains, comme moi, reconnaissent en ce personnage extrême certains aspects obscurs de leur propre personne. La mauvaise foi de Gerrie et son entêtement sont désolants à observer pour le spectateur, l'installation progressive de la communication entre ces deux hommes qui s'aiment n'en est que plus poignante, et le retour du boomerang fini par être déchirant. Daniel Day Lewis, à l'époque encore jeune, culminait déjà sur des sommets qu'il n'a pas redescendus depuis. Pete Postlethwaite, monstre de talent lui aussi, interprète avec une sobriété magnifique ce héros chrétien, incarnation de la droiture, tel que seuls les anglo-saxons savent les faire..
Puis Emma Thompson creuse sa place dans le film, les thématiques se renouvellent, c'est maintenant de dignité, de persévérance, de justice, dont il est question. Autant de thèmes chers au grand cinéma anglo-saxon qui sont traités, dans cette deuxième partie, avec une force absolument incroyable. Thompson trouve dans ces 45 minutes un rôle magnifique, et nous offre une scène de plaidoirie au tribunal parmi les plus intenses qu'il m'ait été donné de voir.
Finalement, on ressort scandalisé et transporté par ce désastre judiciaire et ses répercussions, mais également désarmé par la complexité de la relation entre ce fils et son père. À couper le souffle.