Bleu c’est l’histoire d’une femme déprimée, enfermé dans son chagrin. L’asservissement dont elle est victime suggère l’idée de liberté dont elle est totalement dépourvue.
Le choc est tel à la mort de sa famille qu’elle ne ressent plus rien.
Elle veut faire table rase du passé. Cette froideur est renforcée par l’omniprésence de la couleur bleue qui renvoie à la discrétion, l’introversion et la raison.
“- Pourquoi pleurez-vous ? - Je pleure parce que vous ne pleurez pas.” (dialogue entre Julie et la femme de ménage).
La première scène avec l’enfant qui joue au bilboquet au bord de la route est inspirée du vécu de Kieślowski. Un jour, quand il avait 17 ans, alors qu’il faisait de l’auto-stop, une voiture est passée devant lui sans le prendre. Il a maudit son conducteur et a ensuite entendu le bruit d’un accident.
La solitude peut parfois être admise comme une forme de liberté. Dans le cas de Julie, la liberté en ce sens n’est pas un idéal mais une contrainte qui lui est imposée de la manière la plus brutale qui soit :
le décès accidentel des personnes qui lui étaient les plus chères. Elle perd tout dans cet accident, jusqu’à sa raison de vivre. Ainsi, elle tente de se tuer à l’hôpital au début du film. Elle n’y parvient pas. Elle n’est pas libre. Elle n’a même pas la liberté de mourir. Elle est en plus dominée et dirigée par des pulsions destructrices, volontaires (briser la vitre de l’hôpital pour faire diversion) ou non (arracher les pampilles du lustre de verre bleu). Ces pulsions visent aussi à porter atteinte à son propre corps : elle frotte son poing contre un mur de pierre. Cet acte peut être assimilé à une punition corporelle qu’elle s’inflige après la faute : la relation sexuelle avec Olivier.
“Avant tu sais j’étais heureuse. Je les aimais, ils m’aimaient aussi. [...] Maintenant j’ai compris, je ne ferai plus qu’une chose : rien. Je ne veux plus de possession, plus de souvenir, d’amis, d’amour ou d’attaches : tout ça sont des pièges” (citation de Julie)
La question de la mémoire est centrale : Julie ne veut plus penser à son mari. Elle détruit ses partitions, elle ne va pas sur sa tombe, elle ne regarde pas d’anciennes photos. Le seul moyen qu’elle trouve pour vivre c’est de profiter des petits plaisirs de la vie : boire un café, manger une glace, écouter un musicien, nager, profiter du soleil.
Elle cherche à s’isoler, à se détacher de tout, oublier son passé. Mais peut-on vraiment oublier ? Elle veut se détacher de ses sentiments ; car ce qui nous empêche d’être libre c’est l’amour. L’amour est-il un esclavage, une entrave ? Elle cherche la solitude mais elle n’est jamais seule. Elle a sans arrêt le concerto dans la tête. L’omniprésence de la musique c’est l’omniprésence de son époux. Elle tente de fuir, elle se bouche les oreilles, elle ferme violemment le piano. Mais la vie finit toujours par la rattraper : la naissance d’une portée de souris dans son appartement, le jeune homme qui se fait agresser qui toc à sa porte, le garçon, Antoine, qui l’appelle parce qu’il a trouvé son collier et surtout l’amante de son mari qui va accoucher. Antoine est un des seuls liens qui nous fait connaître la vie de Julie avant l’accident, le caractère et la personnalité de son mari Patrice. Il provoque un retour dans le passé douloureux de Julie. Elle refuse donc de parler avec lui. Cela risquerait de faire resurgir des sentiments et des souvenirs dont elle ne veut pas.
Cette future naissance lui redonne cependant goût à la vie, lui fait comprendre qu’elle ne peut pas vivre comme elle l’a planifié. Cela la fait alors sortir de sa solitude, et disposer de sa liberté retrouvée.
“Bleu, c’est la Liberté, l’histoire du prix que nous payons pour elle. A quel point sommes-nous vraiment libres ? [...] Bleu est une histoire sur l’esclavage des sentiments et de la mémoire.” (Krzysztof Kieślowski)