Chers lecteurs, chères lectrices, des films sont tombés dans l’oubli malgré leur grande qualité. C’est le cas de "Trois couleurs – Bleu". Premier volet du triptyque réalisé par le polonais Krzysztof (boudu l’orthographe ! il ne peut pas s’appeler Christophe comme tout le monde, non ?) Kieslowski qui voulait explorer successivement les trois thèmes de la devise républicaine, "Bleu" est une très belle entame de cette trilogie. Une trilogie qui a fait parler beaucoup d’elle… et couler beaucoup d’encre. Si l’approche républicaine vous gêne, ou même carrément vous rebute (auquel cas vous n’êtes pas seul du fait qu’il en est de même pour moi), essayez tout de même de voir ce film qui vaut vraiment le coup d’œil. Et oubliez même le terme républicain. Pensez plutôt à la liberté individuelle (vous en saurez davantage plus loin). Pour ce faire, laissez-vous emporter par le microcosme automobile parisien. Des prises de vues rares auront le don de vous captiver. Des plans pris en dessous du véhicule, le bitume qui se déroule au gré des tours de roues, les lumières qui défilent sur les vitres, le défilement des marquages au sol, tout cela sous le regard quelque peu rêvassant d’une petite fille. Et le premier choc survient, un choc tant redouté au vu de la faiblesse du véhicule. Mauvaise pub pour la marque et le modèle du véhicule soit dit en passant (une Alfa Roméo 164 3L V6)… Bon bref ! Malgré tout, le cinéaste a su faire preuve d’une certaine pudeur lors de l’accident, en ne le montrant tout simplement pas. Pas même les corps mutilés. Le bruit effrayant de l’impact se suffit à lui-même, précédé d’un crissement de pneus annonciateur d'un mauvais présage, tout cela sous l’œil quelque peu hagard d’un auto-stoppeur. C’est à partir de ce moment-là que le réalisateur peut dérouler son exposé sur la liberté. N’attendez pas un discours politique quelconque. Du moins pas ouvertement. D’ailleurs en est-ce vraiment un ? Moi il me semble bien que non. Dans le cas contraire, il a su rendre son discours politiquement correct en se servant d’un fait tragique qui peut arriver à n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. Peut-être même est-ce arrivé à certains d’entre vous. Après tout, le thème de la reconstruction, de la reprise de sa vie en main, en soi… ce n’est pas nouveau, et... toujours d'actualité ! Le fait est que le spectateur est pris au piège du destin tragique de Julie : scotché sur son fauteuil devant son écran, voulant irrémédiablement en savoir plus. Réalisé avec maîtrise dans une esthétique des plus abouties, il est plus que très probable que vous vous laisserez envoûter par l’ambiance lourde mise en place pour faire écho au drame vécu par Julie, et par la musique absolument superbe de Zbigniew (à tes souhaits !) Preisner. Et puis surtout, vous vous laisserez emporter par une Juliette Binoche décidément fascinante. Limite si elle ne vous ensorcèle pas, à l’image de cette musique qui fait toujours son apparition au bon moment. Difficile dans tous les cas de lui résister, tant son regard intense suffit à vous déshabiller et reflète son moi profond. Qui plus est, elle semble habitée par la musique de son époux, et le spectateur ne tarde pas à subir le même sort. Oui, Juliette Binoche est superbe dans la peau de cette femme qui doit réapprendre à vivre après avoir perdu son identité dans l’ombre des feux de la rampe dirigés sur son époux. Et voilà la liberté, ou tout du moins comment se la réapproprier. Voilà comment le cinéaste voit la liberté. Il en profite pour écorcher au passage les médias (Hélène Vincent, pour le coup détestable) qui, du moment où ça concerne une célébrité, n’hésitent pas à s’immiscer dans les plus grands drames. Mais là où réside le génie du réalisateur, c’est d’inviter le spectateur à découvrir la partition en temps réel, comme s’il prenait un cours de solfège. Ainsi, il se rend mieux compte de toute la difficulté à rédiger une partition. Seuls les initiés reconnaîtront les sigles. Mais de suivre sur la partition avec le doigt chaque note de musique distillée, moi je trouve ça génial et assez inédit. Cette caractéristique, nous la garderons jusqu’au très joli final (bien que quelque peu bizarroïde), lequel passe en revue tous les personnages qui ont eu une influence sur la vie de l’héroïne. Et cela se passe sous les cœurs tant attendus. Oui tant attendus, parce qu’on en entend beaucoup parler sans qu’on les entende. Après le rythme peut paraître lent. Assurément il l’est. Il peut même se révéler soporifique. Mais il est en phase avec la longue et difficile renaissance de Julie (pas facile de renoncer à ce qui nous habite, à ce qui est ancré en nous profondément, comme ici la musique habite fiévreusement Julie, aspect remarquablement transposé à l'écran). Certains plans pourraient être même considérés comme des longueurs, mais ils ne sont que le reflet du temps qui s’arrête, comme par exemple cette séquence qui s’attarde sur la tasse sous un air de flûte donné depuis la rue. Selon moi "Trois couleurs – Bleu" serait-il un film parfait ? Presque !... s’il n’y avait pas cette petite erreur de montage (appelée aussi faux raccord) qui montre Julie les lèvres pleines de débris de médocs, puis propres sur le plan suivant, puis à nouveau souillées sur celui d’après. Mais assurément, un film à découvrir, ne serait-ce que pour son ambiance, et la performance de Juliette Binoche. Et de par son thème, je considère ce film utile, même s’il peut s’avérer difficile de se regarder en face si jamais le spectateur (ou la spectatrice) est en reconquête de sa liberté sans toutefois y parvenir ou sans oser entamer le long processus de reconstruction.