J’étais à peu près certain que la scène où Michel Descombes (interprété par Noiret) retrouve Madeleine, qui a élevé son fils après la mort de sa femme, avait été tourné dans la propre maison d’enfance de Tavernier. Vérification faite, c’est bien le cas, l’ancienne demeure familiale se situant alors dans le quartier de Montchat, à Lyon. J’ai d’ailleurs appris que Tavernier avait regretté de ne pas l’avoir filmée en plan large (on ne verra que le jardin ainsi que la cuisine où les deux personnages ont une émouvante conversation).
Il s’agit d’une scène un peu à part, qui arrive au mitan du film. On y apprend que Bernard, le fils de Michel Descombes qui est poursuivi pour meurtre, s’y rendait de temps en temps dans le plus grand secret. Il y emmenait parfois sa compagne, Liliane, qu’il n’a jamais présentée à son père. Que venait-il chercher dans cette vieille maison rassurante, auprès de cette femme maintenant âgée pour qui il devait avoir beaucoup d’affection ? Difficile à dire mais le choix du lieu de tournage n’est pas anodin. A quel point le cinéaste a mis de lui dans le personnage mystérieux de Bernard (qui n’apparaîtra finalement que très tard dans le film) ? Un jeune homme en rupture avec la génération qui le précède ? Un amoureux ? Un déraciné venant puiser dans ses images d’enfance ce qui le rattache au monde ? Anecdote amusante : on retrouve des critiques de films dans les affaires de Bernard. Était-ce le cas dans le roman de Simenon ? A vérifier mais j’en doute.
Mais on aurait tort de ne voir Tavernier qu’au travers du personnage de Bernard.
Chacun sait le goût que celui-ci avait pour la transmission. C’est d’ailleurs sa propre fille que l’on voit en ouverture du film, lorsque, depuis l’intérieur d’un train en marche, celle-ci regarde une voiture en feu - image rémanente des tensions qui traversent la France de l’époque -, voiture dont on apprendra plus tard qu’elle appartenait à la victime de Bernard. « C’est la mode de brûler des voitures », dira un journaliste résigné.
Ce que le cinéaste met en scène avec subtilité et pertinence, c’est le fossé béant qui s’est creusé entre Bernard et son père, entre les jeunes encore marqués par les évènements de 68 et la génération qui la précède, entre le « gauchisme », dira ce même journaliste avec dédain, et un certain paternalisme qui lui préfère l’ordre. En somme, ce sont les fractures d’une France pompidolienne qui passent dans la relation de Bernard et son père, une fracture générationnelle magnifiquement incarnée par Noiret. Regard perdu, désespoir profond de découvrir qu’il ne connaît pas, qu’il n’a jamais connu son fils ; mais surtout, le seul à regarder, lucide, la situation en face, le seul à mesurer l’étendue du gouffre entre les jeunes et les vieux,
même si au prix douloureux de l’enfermement du fils
. Tavernier « le passeur » est aussi dans le personnage de Michel Descombes.