L’Horloger de Saint-Paul démonte le mécanisme de la fabrique de l’assassin en confrontant deux quêtes de vérité : celle entreprise par la police et la justice, soucieuse de voir triompher le vraisemblable quitte à forcer le trait, à plaider le crime passionnel, à falsifier des témoignages ; celle poursuivie par Michel Descombes, qui n’a pour finalité que de raccorder un père et son fils suite à l’interruption du dialogue. À la vérité trafiquée qui doit réconforter l’opinion publique, fruit de l’activité de corps parasites qui se camouflent en revêtant une série de masques – le confident, l’ami, le père dépassé –, Bertrand Tavernier oppose la vérité intérieure et insondable de l’être humain, celle qui ne convainc pas, qui ne s’explique pas, sinon par elle-même. L’intelligence du film est d’aborder la traque d’un criminel par l’unique biais de son père, figure d’étranger dont le métier révèle bien la démarche du cinéaste : mettre à nu le fonctionnement du cœur humain et des passions qui tournent ainsi depuis toujours, en témoigne la contemplation des automates dans la cathédrale Saint-Jean qui répètent leurs mouvements circulaires depuis le Moyen Âge. Dialogue entre un père et son fils, dialogue entre les siècles, L’Horloger de Saint-Paul est enfin un dialogue avec sa contemporanéité, à commencer par la nébuleuse médiatique qui manipule selon son bon plaisir les faits et les politise à foison de sorte à schématiser le réel, à le tordre pour l’insérer dans des cases. Dès son ouverture, et jusqu’à sa clausule, les personnages gravitant autour de Michel ne parlent que de menace communiste, de vague rouge et d’insurrection, reflet des préoccupations de la France au début des années 70. L’acte de foi du père en son fils, symbolisée à l’écran par le soutien au tribunal, le recueillement dans la cathédrale et le choix de Michel comme prénom pour le bébé à venir – « si c’est un garçon » –, soit le prénom du père, achève de peindre la paternité comme un transfert d’insondabilité et d’opacité que seul un drame permet de mettre en mots. Une œuvre immense, portée par un Philippe Noiret impérial ; certainement l’une des plus belles réussites de feu Bertrand Tavernier.